Sarko Ier, roi d’Europe

Marquée par une série de crises graves, la présidence française de l’UE n’en est pas moins un indiscutable succès.

Publié le 19 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Sinon un sacre, au moins une consécration. Pour avoir ramené l’Europe en première ligne et substitué son influence à l’habituel leadership américain, Nicolas Sarkozy a reçu un accueil des plus flatteurs lorsqu’il a présenté, le 16 décembre, au Parlement européen, le bilan de sa présidence de l’Union. « Vous avez bien travaillé dans cette crise, nous avons tous été impressionnés par votre détermination », l’a complimenté Martin Schulz, le président allemand du groupe socialiste. Benoît Hamon, son collègue français, avait été moins aimable, reprenant les sarcasmes habituels du PS contre ses « gesticulations » et ses « impuissances », avant de conclure : « Qu’est-ce qu’il fait ? Rien ! »

Mais si, il fait du Sarko, selon son style, ses méthodes et ses manières pas toujours policées.

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Armé de ses deux forces principales, une inaltérable confiance en soi et le refus de s’avouer vaincu, il a toujours été le plus rapide à réagir à l’événement, a alterné persuasion et pressions et, finalement, trouvé le moyen de contourner l’obstacle ou de dégager un compromis. De l’avis général, son pragmatisme a plutôt bien fonctionné. Avec, quand il le faut, une pointe de non-conformisme. « Il casse les codes et bouscule les usages », remarque l’un de ses conseillers.

Lorsqu’il retourne à Moscou, le 8 septembre, pour obtenir des dirigeants russes qu’ils appliquent les clauses du cessez-le-feu avec la Géorgie, il constate sans surprise que les drapeaux russe et français flottent côte à côte sur la façade du Kremlin. Il fait alors remplacer l’emblème tricolore par le drapeau étoilé de l’Europe, qu’il avait à toutes fins utiles emporté dans ses bagages. « Chapeau au professionnel ! » s’exclame le narrateur de cette anecdote. Un diplomate rapporte avec le même amusement éberlué qu’à la fin de la réunion du G20, que Sarkozy avait persuadé non sans mal George W. Bush de convoquer à Washington, c’est lui qui présidait les séances, distribuant les rôles, répartissant les temps de parole et proposant les mesures pour « trouver une réponse mondiale à une crise mondiale ».

À six mois des élections européennes, il n’oublie pas le soutien de l’opinion et saisit toute occasion de la mettre dans le coup pour mieux l’attirer dans son jeu. Par exemple, il se demande tout haut ce qui l’a le plus étonné depuis qu’il préside le Conseil européen. Et se répond à lui-même, mais pour l’édification de son auditoire : « la rigidité du système ».

La tirade qui suit est mordante. Réunir le Conseil pendant la crise géorgienne ? « Au mois d’août, cela ne se fait pas. » Réunir les quatre pays européens du G8 pendant la crise financière ? « Crime de lèse-majesté ! » Et comme il déplore que toute idée nouvelle soit d’emblée jugée « sulfureuse », ajoutant comiquement « tous aux abris », il s’empresse de lancer les siennes en rafale, occasion de poser en quelques mots simples les bonnes questions au cœur des inquiétudes populaires. Va-t-on laisser les opérateurs des marchés boursiers prendre des risques irresponsables ? Les grandes banques garanties par les États vont-elles continuer de travailler avec les paradis fiscaux ? Puis, à un niveau plus élevé : les huit grands suffiront-ils à gérer à l’avenir les affaires de la planète sans la Chine, qualifiée au passage de « puissance capitalistique », et sans l’Inde, qui sera dans trente ans la nation la plus peuplée du monde ?

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Dix sommets en six mois

Dans le même souci de proximité, il bichonne les élus européens et cajole leurs chefs de groupe, qu’il reçoit longuement, les uns après les autres. Du jamais vu dans le cérémonial ­strasbourgeois.

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Volant d’un « sommet » à l’autre – une dizaine en six mois de présidence –, il a l’habileté de jouer profil bas et toujours collectif. Ses « moi, je » qui agaçaient par leur accent hâbleur se métamorphosent en modestes « c’est l’Europe qui… » Qui a vendu le G20 à un George Bush hostile… Qui a sauvé de l’échec le plan Paulson en inspirant sa deuxième version finalement votée par le Congrès… Qui a fait approuver le plan gigantesque de l’Eurogroupe et ses 1 800 milliards d’euros pour le sauvetage des banques et le soutien aux entreprises…

C’est encore à l’Europe qu’il attribue la fin de la guerre en Géorgie, le retrait de l’armée d’occupation et l’engagement de négociations internationales sur le statut futur de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhasie.

On dira que c’est une autre façon, en creux, de se mettre en valeur. L’important est, là encore, selon son critère favori, que « ça marche ». Pour lui comme pour sa présidence. Il remonte dans les sondages et repasse, pour la première fois depuis des mois, devant François Fillon, son Premier ministre. Sur ses démarches européennes, les chefs des cinq groupes du Parlement lui octroient la note générale de 15,7 sur 20. Et même de 17,2 sur la crise.

À moitié plein, à moitié vide

Avant de prendre la tête de l’Union et alors qu’aucun chef d’État ne prévoyait la grande dépression qui allait s’abattre sur la planète, Sarkozy avait fixé ses objectifs : « À la fin de la présidence française, je voudrais que l’Europe ait une politique de défense, de l’immigration, de l’énergie et de l’environnement. »

Les soudains bruits de bottes russes en Géorgie, puis l’ampleur foudroyante de la crise monétaire et économique, allaient lui imposer d’autres urgences, sans qu’il néglige pour autant l’importance de son programme initial.

Le bilan en sera apprécié à l’aune du verre à moitié plein pour les uns, à moitié vide pour les autres. Il faudra encore beaucoup de temps pour juger à la seule mesure qui compte, celle des résultats, l’efficacité de ce catalogue d’engagements dont le seul énoncé remplissait les 250 pages du document de travail remis aux vingt-sept gouvernements de l’Union. Défense, immigration, asile et, à l’arraché, le « paquet climat »… « Nous sommes allés bien au-delà de nos objectifs », s’est exclamé le chef de l’État.

L’Union saura-t-elle progresser dans la collaboration et l’harmonisation, tout en poursuivant l’élargissement avec ses risques inhérents de conflits d’intérêts et de replis nationalistes ? Voudra-t-elle se doter de cette gouvernance économique souhaitée par la plupart de ses membres sans qu’ils approuvent pour autant la forme d’un véritable gouvernement que voudrait lui donner Sarkozy ?

Bien qu’il s’en défende mollement, il rêve d’en prendre la direction jusqu’en 2010 pour prolonger sa présidence, veiller à la mise en œuvre de ses décisions et consolider le rapprochement en cours avec le ­Royaume-Uni.

Face à tant d’incertitudes, il se ­déclare « assez optimiste ». Partant de l’idée simple que l’Europe ne pourra s’incarner, se gérer et se gouverner après la crise comme elle le faisait avant, il veut croire qu’elle saisira cette chance historique d’adapter ses institutions comme ses ambitions au monde qui change de siècle et qui bouge. « Elle est la plus belle invention du XXe siècle, a-t-il déclaré à Strasbourg, et on en aura plus que jamais besoin. »

Chateaubriand a écrit que « les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes ». Au moment d’arriver à Bruxelles pour les ultimes combats d’approbation de son programme, le chef de l’État français a la satisfaction d’être désigné « meilleur dirigeant européen de l’année » par le jury peu complaisant des correspondants de presse. Son « énergie », son « hyperactivité » et le « niveau exceptionnel de ses interventions » le classent au premier rang du palmarès EuroTribune, où Angela Merkel, qualifiée de « grosse déception » et taxée « d’immobilisme », n’arrive qu’à la quatrième place.

De retour à l’Élysée, où l’attendent toutes les difficultés franco-françaises, Nicolas Sarkozy aura tout de même réussi cette gageure, lui le président d’une France et d’un pouvoir faibles, d’apparaître comme l’homme fort de l’Europe. 

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