Boumédiène par BBY

Premier journaliste à l’avoir rencontré, Béchir Ben Yahmed a brossé le portrait du leader algérien dans le dossier que Jeune Afrique a consacré au putsch du 19 juin 1965 (n° 239).

Publié le 18 décembre 2008 Lecture : 2 minutes.

Jusqu’au 20 mars 1962, premier jour du cessez-le-feu en Algérie, aucun journaliste ne s’était entretenu avec lui, aucun journal n’avait eu sa photo. Même parmi ceux qui suivaient l’affaire algérienne, très peu nombreux étaient ceux qui connaissaient son nom.

Je l’ai rencontré pour la première fois une semaine avant le cessez-le-feu. […] Il était déjà chef d’état-major de l’ALN et son PC était à Ghardimaou, petite ville tunisienne située à quelques kilomètres de la frontière algérienne. Je venais de passer quarante-huit heures dans les rangs de l’ALN, qui avait entrepris sa dernière offensive avant la paix. […]

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Je prenais congé des officiers qui m’avaient reçu l’avant-veille et accompagné au front. Il était minuit. Le photographe suédois qui avait fait le reportage avec moi était déjà installé dans la voiture qui allait nous ramener à Tunis lorsqu’un commissaire politique s’approcha de notre groupe et chuchota quelques mots à l’oreille de l’officier. « Pourquoi partir si tôt ? me dit l’officier. Rentrons prendre un café. »

Nous rentrons. Dans une grande salle, qui m’est apparue comme une salle de classe, nous nous installons et commençons à bavarder à bâtons rompus. Il est évident que mes interlocuteurs […] attendent quelque chose ou quelqu’un. La porte s’ouvre. Entre un homme grand et maigre. Visage pâle, yeux clairs, pommettes saillantes et le cheveu roux. Il fait penser à Georges Arnaud, auteur du Salaire de la peur. C’est Houari Boumédiène.

Tout le monde se lève et un silence quasi religieux s’instaure jusqu’au moment où il le rompra. Cette autorité qu’il a sur son entourage, le respect qu’il suscite me frappent et contrastent avec l’atmosphère de camaraderie, d’égalitarisme que j’avais trouvée un peu partout dans les rangs de l’ALN.

Nous avons discuté jusqu’à 4 heures du matin, buvant du café, et j’ai eu l’impression que, pour ces hommes, de telles discussions nocturnes étaient l’aliment quotidien. […]

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Boumédiène, dont on dit maintenant que c’est un homme taciturne et secret, participait à la discussion, qui est vite devenue un dialogue entre lui et moi. C’est un homme qui s’exprime avec clarté et qui sait écouter. Il m’a questionné sur Cuba, d’où il savait que je revenais, sur l’Égypte, qu’il connaît mieux que moi, sur la Tunisie et son régime, qui semblaient lui inspirer un mélange de respect et d’irritation. Il était déjà en conflit avec le GPRA [Gouvernement provisoire de la République algérienne, qu’il neutralise à l’indépendance pour mettre au pouvoir Ahmed Ben Bella, NDLR] et laissait transparaître un certain mépris pour certains civils.

Je me souviens qu’il fumait cigarette sur cigarette et que, lorsqu’il s’enflammait, son regard devenait presque blanc. Je me souviens aussi que, par manie du secret sans doute, ce soir-là, personne ne m’avait dit que mon interlocuteur était Boumédiène. Je me souviens enfin avoir dit, en rentrant à Tunis, à certains de mes amis : « J’ai rencontré un homme qui fera parler de lui en Algérie et avec lequel même des gens comme Ben Bella devront compter, parce que c’est un militaire qui a déjà son jugement sur des hommes d’État : Nasser, Bourguiba, Castro. »

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