Que reste-t-il de Boumédiène ?

Les Algériens cultivent une certaine nostalgie des « années Boum » (1965-1978), dont ils ne veulent retenir que les aspects positifs, convaincus que le règne du président du Conseil de la révolution a été d’abord celui de la dignité retrouvée.

Publié le 18 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Plus d’un Algérien sur deux a moins de 30 ans. Cela signifie que la moitié de la population n’a pas connu l’ère de l’homme au burnous et au cigare. C’est sous ses ordres que, le 5 juillet 1962, l’Armée des frontières, les troupes de l’Armée de libération nationale (ALN) basées à l’extérieur (au Maroc et en Tunisie), marche sur Alger et neutralise les maquisards des wilayas III et IV (centre du pays), demeurés loyaux au gouvernement provisoire (GPRA), pour installer Ahmed Ben Bella à la présidence de la jeune République algérienne démocratique et populaire. Houari Boumédiène, de son vrai nom Mohamed Boukharrouba, a marqué durablement l’histoire de l’Algérie. « Mettre en place des institutions qui survivent aux hommes », ne cessait-il de marteler. Il y est parvenu. Trente ans après sa disparition, le système qu’il a instauré pour, dans un premier temps, prendre le pouvoir, et, dans un deuxième temps, le pérenniser, est toujours là. Même si ce système de gouvernance a dû s’adapter à l’évolution sociopolitique et économique du pays, il est resté à peu de chose près le même. Il s’appuie sur l’institution militaire – véritable colonne vertébrale –, des services de renseignements redoutables, une administration loyale au puissant du moment, un discours fortement teinté d’un nationalisme ombrageux nourri de la « légitimité révolutionnaire », celle de la guerre de libération, et un attachement sourcilleux à la souveraineté nationale. Dans l’imaginaire collectif, les « années Boum », comme on qualifie à Alger la période 1965-1978, ne s’assimilent pas à des années de plomb. Pourtant, les libertés publiques étaient des plus sommaires : un parti unique – le Front de libération nationale (FLN) –, pas de pluralisme syndical, monopole de l’État sur l’information et le commerce extérieur, fortes restrictions en matière de liberté de circulation des personnes (Boumédiène avait instauré, à la fin des années 1960, une autorisation de sortie pour les Algériens souhaitant se rendre à l’étranger). Bref, une option socialiste pure et dure qui rendait suspect tout propriétaire privé. Tout cela, les Algériens de plus de 30 ans l’ont presque oublié. Ils préfèrent retenir des années Boum le lyrisme révolutionnaire dans lequel baignait Alger, capitale des mouvements de libération africains, du MPLA angolais d’Agostino Neto au PAIGC d’Amilcar Cabral en passant par la Zanu-PF de Comrade Bob ou l’ANC de Nelson Mandela. Les années Boum évoquent aussi des campus universitaires, certes moins nombreux qu’aujourd’hui, mais exempts de toute influence islamiste, du moins en surface. Les étudiants étaient alors, pour une grande majorité, des volontaires consacrant leurs vacances à la réalisation des « grandes tâches d’édification nationale » que sont les trois révolutions : industrielle, agraire et culturelle.

Vision prospective

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Trente ans après la mort de Boumédiène, les Algériens ne sont pas peu fiers quand ils lisent, chaque année, le classement des entreprises africaines, un hors-série que réalise Jeune Afrique (« Les 500 ») depuis dix ans. Chaque année, ils y trouvent la confirmation que le premier groupe économique du continent est encore et toujours Sonatrach (plus de 67 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2008). Pour de nombreux Algériens, les performances passées, présentes et futures du groupe pétrolier national, poumon économique du pays et principale source de revenus du Trésor public, doivent énormément à la vision prospective de Houari Boumédiène. L’homme d’Héliopolis – nom colonial d’Aïn Hassania, son village natal dans la région de Guelma – évoque également les années fastes en termes de productions et d’événements culturels de grande envergure. Un cinéma national foisonnant, multipliant les consécrations internationales, dont la Palme d’or au Festival de Cannes en 1975 avec Chronique des années de braise, de Lakhdar Hamina, le premier Festival panafricain de la jeunesse, en 1969, avec un plateau des plus prestigieux (de Franco à Miriam Makeba en passant par Archie Shepp ou Nina Simone), une décentralisation du théâtre professionnel avec la création d’une dizaine de troupes régionales et une multiplication des vocations.

Pourquoi les Algériens nourrissent-ils autant de nostalgie à l’égard des années Boum ? S’ils préfèrent garder en mémoire les aspects positifs plutôt que les désagréments liés aux restrictions des libertés et aux autres méfaits du système (corruption, clientélisme, marginalisation des élites…), cela s’explique par la politique choisie par son successeur, Chadli Bendjedid. Ce dernier a entamé son magistère par une « déboumédianisation » des esprits : chasse aux sorcières (Abdelaziz Bouteflika en tête), disparition de toute référence au président décédé dans les médias et les discours officiels, ouverture économique aussi hésitante que floue… La violente intrusion de l’islamisme dans le champ politique et la barbarie qu’ont subie les Algériens durant les années 1990 ont donné aux années Boum un lustre de bonheur et de paix intérieure. La dégradation des conditions de vie et la paupérisation consécutive au deuxième choc pétrolier, en 1986, ont achevé de convaincre les Algériens que le règne de l’homme au burnous et au cigare était celui d’une dignité retrouvée… qu’ils ont reperdue avec la mort de Boumédiène, le 27 décembre 1978.

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