Le français en aumône
L’attribution de trois des principaux prix littéraires de l’année à des écrivains francophones mais non français de souche (le Goncourt à un Afghan, le prix France-Télévisions à un Algérien et le Renaudot à un Guinéen) me paraît être un signe des temps. Non point, comme l’a suggéré un peu bêtement la presse parisienne, une sorte d’« effet Obama » (comprenez : la mode du métissage), mais une véritable tendance de l’intelligentsia française à n’avoir plus pour sa propre langue qu’une espèce de condescendance, de tendre apitoiement, au point de se convaincre que cette vieille langue devenue un peu ringarde – après avoir, certes, beaucoup servi – et très minoritaire dans le monde d’aujourd’hui est bonne à laisser aux miséreux. Comme une chemise usagée, mais pouvant encore être portée, qu’on donne aux pauvres, la langue française est abandonnée par ses premiers propriétaires à ces mendiants culturels, ces doux nigauds que sont les écrivains d’outre-Hexagone. Lesquels, bons bougres se contentant de peu, s’y sentent encore bien, à l’aise, au chaud : ah les braves gens !
Je suis persuadé que, au fond, le rêve, le désir inconscient, le fantasme des écrivains franco-français consiste à écrire… en anglais : la seule langue qui vaille, le seul vrai jargon universel. Par un paradoxe masochiste qu’il serait intéressant d’analyser (psychanalyser), les Français éprouvent en vérité pour la francophonie quelque chose qui ressemble à du mépris. Cela a commencé, bien sûr, par des mots : on a voulu désigner autrement la petite planète composite des écrivains de langue française, remplacer l’expression déjà désuète de « littérature francophone » par celle, plus branchouille, de « littérature monde ». Lui-même auteur d’un livre récent (La Beauté du monde), l’inventeur de ce concept plutôt flou, pour ne pas dire fumeux, l’écrivain-voyageur Michel Le Bris, était candidat à tous les prix littéraires de 2008. Ils lui sont tous passés sous le nez, raflés par les ressortissants de ce monde dont il espérait devenir roi. Raté ! Il a connu le sort du bon docteur Frankenstein, dont la créature finit par lui échapper. Le sort, aussi, du vicomte de Sanderval, dont Tierno Monénembo raconte l’histoire dans le beau roman qui lui a valu le prix Renaudot 2008 (Le Roi de Kahel) : parti en Afrique pour essayer de s’y tailler un petit royaume personnel, l’ambitieux en revint bredouille !
Toutes les fables ont une morale.
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