L’ami palestinien d’Obama

Professeur à Columbia University, l’historien Rachid Khalidi connaît le président élu depuis très longtemps. Il en parle avec affection, mais sans illusions excessives sur sa future politique moyen-orientale.

Publié le 16 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

A l’aéroport Ben-Gourion, à Tel-Aviv, il a eu droit à un accueil privilégié. Les tracasseries habituellement infligées à ceux qui portent un patronyme à consonance arabe lui ont été épargnées. C’est qu’il est « l’ami palestinien d’Obama », ce qui suffit à faire tomber toutes les barrières…

Rachid Khalidi a séjourné deux semaines durant à Jérusalem, le berceau de sa famille, et a pu se rendre en Cisjordanie, mais pas à Gaza. Début décembre, il a pris le chemin de Beyrouth, où il fit naguère ses études à l’université américaine. Avant de reprendre l’avion, cet historien professeur à Columbia University a donné une longue interview à Akiva Eldar, l’un des meilleurs columnists du Haaretz.

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Khalidi connaît de longue date le président élu. « Il était mon collègue à l’université de Chicago, confie-t-il. Il était aussi l’ami de la famille, mon voisin et le représentant de mon district au sénat de l’Illinois. » En 2003, l’universitaire palestinien est parti pour New York et, l’année suivante, Obama s’est installé à Washington. Les relations entre les deux hommes se sont alors espacées.

Khalidi n’aime guère parler de son amitié avec Obama. Il faut dire que, pendant la campagne présidentielle, il a été au cœur d’une polémique provoquée par le camp républicain. Son crime ? Il avait participé à un dîner auquel assistait Obama et au cours duquel un convive avait comparé les colons israéliens aux terroristes de Ben Laden, les uns et les autres « aveuglés par l’idéologie ». Il n’en a pas fallu plus pour que les attaques se multiplient contre le candidat démocrate, désigné comme « l’ami du Palestinien qui hait Israël ». Lequel aurait été, dans les années 1980, le porte-parole de l’OLP à Beyrouth – ce qui est parfaitement faux.

Tradition familiale

Obama a dû protester de ses bons sentiments à l’endroit d’Israël et défendre Khalidi, « un intellectuel respecté qui désapprouve avec force certains aspects de la politique israélienne ».

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Le Palestinien, qui souhaitait la victoire d’Obama, s’est par la suite tenu à carreau et a soigneusement évité les médias. Chez lui, le sens politique est presque une tradition familiale… À Jérusalem, la maison Khalidi remonte au XVe siècle. Au Caire, au temps des Mamelouks, l’un de ses ancêtres siégea au sommet de la hiérarchie des juges. Son oncle était maire de Jérusalem au milieu des années 1930, avant d’être destitué par les autorités britanniques et exilé aux Seychelles. En 1950, il fut le ministre des Affaires étrangères puis le Premier ministre du roi Hussein de Jordanie.

Rachid Khalidi est né à New York en 1948, l’année de la création de l’État d’Israël. À l’époque, son père était étudiant et avait épousé une Libanaise. Il deviendra par la suite fonctionnaire auprès du secrétariat de l’ONU.

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Dans l’interview au Haaretz, l’historien est d’abord interrogé sur les changements qu’il a pu constater, depuis deux ans, dans la société palestinienne. « La colère est à son comble, explique-t-il, parce que la ville est asphyxiée et coupée de son arrière-pays [la Cisjordanie] ; des pressions sont exercées en permanence par les colons ; les expropriations n’ont pas cessé, et les quartiers arabes sont dépourvus des services municipaux les plus élémentaires. »

S’agissant du conflit entre les factions palestiniennes, Khalidi estime que la population renvoie dos à dos le Fatah et le Hamas et se montre « dégoûtée » par leurs querelles. En dépit de cette crise, il est frappé par le « dynamisme extraordinaire, l’ingéniosité et la vitalité de la société palestinienne », fondement de « l’inébranlable force du peuple palestinien », qu’il compare à « l’eau qui ne peut être endiguée et finit par trouver un chemin pour s’écouler ».

L’actuelle direction palestinienne est-elle en mesure, demande Akiva Eldar, de conclure avec Israël un règlement sur les deux États susceptible d’être accepté par le peuple palestinien ? Réponse : l’OLP devrait au préalable passer un « compromis historique avec l’autre aile du mouvement national palestinien [le Hamas] ». Pour être « contraignant et légitime », tout accord devrait « être soumis à référendum ».

Qu’en est-il de l’avenir des Territoires ? « On parle de processus de paix depuis 1991, répond l’historien. En fait, on a assisté sur le terrain à un double processus d’un autre genre : le processus d’occupation et le processus de colonisation. Deux bulldozers qu’il ne faut pas seulement stopper, mais obliger à rebrousser chemin. Autrement, la solution des deux États n’est qu’une vue de l’esprit. »

Comment juge-t-il la politique de George W. Bush au Moyen-Orient ? « Catastrophique. Elle n’a fait qu’empirer les choses entre Palestiniens et entre Palestiniens et Israéliens. Ses répercussions sont désastreuses pour l’ensemble de la région. »

Que peut-on attendre d’Obama ? « Je n’ai pas d’information particulière à ce sujet, confie Khalidi. Je crois qu’il a l’intention de s’occuper sérieusement du Moyen-Orient, mais sa priorité sera la crise économique. » En tout cas, beaucoup dépendra de ceux qui seront désignés pour traiter ce dossier. Khalidi n’attend rien de bon de certains responsables déjà à la manœuvre sous Reagan, Bush père et Clinton. « Dépourvus d’imagination, [ils] assument la principale responsabilité dans la situation désastreuse où nous nous trouvons ». Sans doute pense-t-il, parmi d’autres, à Dennis Ross…

Le MacCarthysme n’est pas mort

Qu’a-t-il retenu de la réaction des médias et des milieux politiques à ses relations avec Obama ? « Que le maccarthysme n’a pas disparu aux États-Unis. Il suffit de critiquer la colonisation israélienne pour être traité de terroriste. Dans la société américaine, les Arabes, les musulmans et, surtout, les Palestiniens sont l’Autre. Plus que toute autre communauté, hormis les Afro-Américains, les Arabo-Américains ont participé massivement au scrutin et ont voté dans leur majorité pour le candidat démocrate. Mais ils sont, littéralement, tenus à l’écart. »

Obama lui-même a dû en tenir compte. « En deux ans de campagne, note son ami, il n’a jamais mis les pieds ni dans une mosquée ni dans un centre communautaire arabe. De même, il n’a jamais mentionné des Américains d’origine arabe ou de confession musulmane dans ses discours. »

Cette attitude résulte sans doute â¨de considérations de stratégie électorale, et il ne serait pas surprenant â¨que le président Barack Hussein Obama redresse la barre. Aux dernières nouvelles, il envisage de se rendre dans un pays musulman pour prononcer un discours « susceptible d’améliorer l’image des États-Unis en terre d’islam ». Morocco Board, un site animé pas des Américains d’origine marocaine, a lancé une pétition pour que le pays choisi soit le ­royaume chérifien.

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