La vengeance de Sarkozy

Accusé de s’être rendu complice d’une obscure tentative de déstabilisation de son rival avant qu’il accède à l’Élysée, Dominique de Villepin est renvoyé devant un tribunal correctionnel. Et crie à l’abus de pouvoir.

Publié le 16 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

C’est peut-être le seul qui ait jamais inquiété Nicolas Sarkozy dans sa marche vers l’Élysée. Le seul qui, au sein de sa famille politique, pouvait prétendre lui disputer la faveur des Français. Et donc celui qu’il fallait tuer. Politiquement, s’entend. De fait, Dominique de Villepin, qui fut ministre des Affaires étrangères, de l’Intérieur, puis chef du gouvernement sous Jacques Chirac, se bat aujourd’hui pour sa survie politique.

Depuis le 18 novembre, il est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour « complicité de dénonciation calomnieuse, complicité d’usage de faux, recel de vol et recel d’abus de confiance ». L’épilogue d’une haine recuite entre deux hommes que tout oppose : l’un est aussi élancé que l’autre est râblé, le premier fréquente les bons auteurs quand le second préfère le show-biz. Il n’est pas jusqu’au verbe qui soit aux antipodes : flamboyant chez Villepin – on se souvient de son discours devant le Conseil de sécurité de l’ONU avant le déclenchement de la guerre en Irak –, volontiers populiste chez Sarkozy. Deux registres pour une même ambition. Comment ces carnassiers auraient-ils pu ne pas finir par s’entre-dévorer ?

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C’est une affaire de listings bancaires falsifiés qui, en 2004, va cristalliser leur affrontement. Ces documents proviennent d’une chambre de compensation internationale, Clearstream, installée au Luxembourg. On le découvrira plus tard, une main malveillante a ajouté à la liste des titulaires de comptes le nom de « Nagy-Bocsa » (le patronyme complet du chef de l’État est Sarközy de Nagy-Bocsa). Un corbeau, Jean-Louis Gergorin, vice-président du groupe EADS (aérospatiale, défense, etc.), s’est chargé de transmettre ces documents à la justice. En suggérant qu’on pourrait bien retrouver là une partie des commissions faramineuses versées lors de la vente par la France, au début des années 1990, de six frégates à Taïwan. Une affaire qui avait passablement ébranlé la classe politique française.

Ainsi accusé d’avoir perçu de l’argent sale, Sarkozy tutoie l’abîme. Le projet de toute une vie, devenir président de la République, est brusquement remis en question. Socialistes et chiraquiens ne vont pas manquer d’utiliser l’affaire contre lui. La Direction de la surveillance du territoire (DST), le contre-espionnage français, enquête. Et conclut à son innocence. Mais le rapport tarde à être communiqué à la justice. À l’époque, le ministre de l’Intérieur se nomme Dominique de Villepin…

Sarkozy enrage. Pour lui, aucun doute : Villepin laisse prospérer la rumeur à dessein. Dans son livre La Tragédie du président, le journaliste Franz-Olivier Giesbert rapporte que le futur président promet de « pendre » son rival « à un croc de boucher ».

Obsédé par les complots

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Il faut attendre avril 2005 pour que soient enfin transmises les conclusions de la DST. Deux magistrats, Henri Pons et Jean-Marie d’Huy, sont chargés de retracer l’origine des fameux listings. Au fil des mois et des années, ils mettent au jour une étonnante machination, dont la cheville ouvrière se révèle être Gergorin, esprit brillant mais obsédé par les complots, avec l’aide d’Imad Lahoud, un informaticien au parcours chaotique qui travaille épisodiquement pour les services français. C’est à leur niveau que les listings ont été falsifiés, avant d’être transmis à Villepin. Qui, en fin de compte, donnera instruction à Gergorin de les remettre à la justice.

Question : Villepin est-il alors au courant que ces documents ont été altérés ? Dans l’affirmative, il est complice de la machination ourdie contre Sarkozy. Dans l’hypothèse inverse, il n’a fait qu’alerter la justice sur des faits délictueux et s’est donc comporté en loyal serviteur de l’État. Bref, est-il complice ou victime de la manipulation ?

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C’est ici qu’entre en scène un troisième personnage : le général Philippe Rondot, un vétéran des services de renseignements. Le ministre lui a demandé de vérifier l’origine des documents. Mais voilà, méticuleux ou imprudent, on ne sait, l’homme de l’ombre a la fâcheuse manie de consigner dans des petits carnets le compte rendu de ses entretiens avec les protagonistes de l’affaire. Des notes sur lesquelles les juges mettent la main. Elles sont explosives : Rondot affirme que Villepin aurait cherché à impliquer Sarkozy alors même qu’il savait que la DST avait lavé ce dernier de tout soupçon. L’examen de son ordinateur, au début du mois de juillet 2007, se révèle encore plus accablant. Villepin aurait donné l’ordre à Gergorin de « balancer » Sarkozy. Autrement dit, de mettre en circulation des documents qu’il savait être faux. Et tout cela, qui plus est, sur instruction de Jacques Chirac ! Cette fois, le scandale devient une affaire d’État. Villepin est aussitôt mis en examen.

Le chat et la souris

Rebondissement un an plus tard, en juin 2008 : le parquet de Paris estime que l’instruction n’a réuni aucune charge contre l’ancien Premier ministre. Villepin respire. Le voilà blanchi, ou presque. Déjà, il se voit revenir en politique. Sarkozy le reçoit par deux fois à l’Élysée et, en août, lui demande de représenter la France aux obsèques du poète palestinien Mahmoud Darwich, à Ramallah. Échange de bons procédés, Villepin loue devant la presse la « simplicité » et le « dépouillement » du chef de l’État. Apparemment, la réconciliation est en marche.

Erreur : le chat ne faisait que jouer avec la souris. Pour mieux lui porter le coup de grâce… Le 18 novembre, Villepin est renvoyé devant le tribunal correctionnel.

Une décision derrière laquelle le prévenu voit la main de Sarkozy. La chronologie des faits semble lui donner raison. Un des magistrats instructeurs a été opportunément maintenu en poste par décret présidentiel afin qu’il signe l’ordonnance de renvoi. Craignait-on qu’un autre magistrat se montre plus circonspect ?

Les avocats de Villepin saisissent le Conseil d’État. L’hôte de l’Élysée est accusé d’avoir « instrumentalisé ses fonctions de président de la République pour la satisfaction de ses intérêts personnels ». L’entourage de Villepin évoque « une nouvelle affaire Dreyfus » et compare son champion aux « dissidents soviétiques ».

Certes, en politique, on a vu d’autres présidentiables revenir sur le devant de la scène après que la justice les eut blanchis. Dominique Strauss-Kahn, impliqué un temps dans le scandale de la Mnef, en est un exemple. Mais Dominique de Villepin est désormais englué dans une posture défensive qui, a priori, l’éloigne de toute perspective de candidature à l’élection présidentielle de 2012. La vengeance est décidément un plat qui se mange très froid.

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