Dur, dur pour les Subsahariens

Regroupés pour la plupart dans un quartier populaire de Rabat, les migrants venus du sud sont pris en tenaille entre le cynisme de leurs employeurs, le harcèlement de la police, et la méfiance grandissante de la population. Reportage.

Publié le 16 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Les chauffeurs de taxi l’appellent le « quartier des Africains » ou « petit Sénégal ». Enclavé entre les maisons cossues de la route des Zaers et la zone industrielle en contrebas, le quartier de Takadoum (qui signifie « progrès ») accueille la plupart des migrants subsahariens de Rabat. C’est un quartier populaire et grouillant, où les vendeurs à la sauvette ont envahi les trottoirs et où les femmes font la lessive sur les toits d’immeubles décrépits. Selon une estimation de Médecins sans frontières (MSF), la capitale marocaine abrite quelque 2 000 migrants subsahariens. « C’est un quartier dangereux », prévient le chauffeur taxi, qui ne semble pas les voir d’un bon œil. Pourtant, les Subsahariens se font discrets. Par crainte de la police, ils ne se promènent jamais en groupe, ne se réunissent pas dans les cafés et rasent les murs pour rentrer chez eux.

Le hammam est tenu par des Maliens. Deux pour frotter les clients et trois pour approvisionner le chauffage. « Avant, c’était des Marocains qui travaillaient ici. Quand on est arrivés, le patron nous a engagés : on coûte deux fois moins cher », explique Seydou, installé dans le quartier depuis trois ans. D’après le propriétaire du hammam, les premiers Subsahariens ont commencé à affluer dans le quartier il y a huit ans. « Depuis 2006, il sont de plus en plus nombreux. Quand un nouveau arrive, les autres l’aident et le prennent en charge. » Mais la solidarité ne suffit pas à améliorer un quotidien qui reste très difficile. Sans papiers, ils ne peuvent travailler légalement. « On fait des petits boulots comme maçon, jardinier ou manutentionnaire. Mais on est exploités par nos employeurs », déplore Seydou. Quand il n’y a pas de travail, ils mendient dans les quartiers chic, sur les parkings des centres commerciaux ou aux abords des mosquées.

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Mohamed connaît bien les Maliens du hammam. Il vient les voir quand il a besoin de main-d’œuvre et leur apporte des cigarettes de temps en temps. « Un jour, sur un chantier, les autres ouvriers n’arrêtaient pas de les appeler “azzy” [nègre] et de se moquer d’eux. Je leur ai rappelé qu’ils avaient un prénom. » Dans la majorité des cas, les migrants dénoncent le racisme dont ils sont l’objet, la méfiance, les insultes. « Ici, explique Seydou, c’est un quartier pauvre et les gens ont peur qu’on leur vole leur travail. Certains ne nous considèrent même pas comme des êtres humains. » Mais Seydou n’en veut pas pour autant à ses voisins marocains, dont il mesure les difficultés et comprend l’inquiétude.

Dans le quartier, très peu de relations intercommunautaires se sont nouées ; l’indifférence règne. Certaines histoires pourtant redonnent de l’espoir. Celle de Souleymane, un jeune Sénégalais qui, à son arrivée, a été caché pendant des mois par une famille marocaine. « J’étais mineur et ils se sont occupés de moi. Ce sont de bons musulmans. » Ou celle de Joseph, Centrafricain, qui a épousé une Marocaine et qui vit avec sa belle-famille. Mais pour la plupart des migrants, la vie à Rabat est encore plus dure que dans leurs pays d’origine. « Ici, on est comme en prison. On ne peut ni avancer ni reculer », se désole Seydou. Aucun d’entre eux n’envisage cependant de rentrer au pays. « Ma famille s’est sacrifiée pour que je puisse partir. Si je rentrais sans rien, j’aurais trop honte », avoue Camara, de Côte d’Ivoire.

À Takadoum, les communautés subsahariennes sont bien séparées. « Les “Ouest Af” d’un côté, les anglophones de l’autre. On ne se mélange pas », ajoute Camara. Les habitants du quartier ont été marqués par les arrestations qui y ont eu lieu. Bien que les migrants disent être plus tranquilles à Rabat que partout ailleurs au Maroc, ils sont régulièrement harcelés par les forces de l’ordre. Des Marocains rapportent des descentes de police, au petit matin, pour surprendre les habitants. « Les policiers m’ont menacé de prison si je louais ma maison à des Africains. » Profitant du désarroi des migrants, beaucoup de propriétaires louent au prix fort des chambres où s’entassent parfois jusqu’à une trentaine de personnes. À l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), on a suivi ces « rafles » avec attention. Un responsable dénonce les arrestations brutales d’Africains, qui se font parfois détrousser (argent, portables…) par la police. « On veut protéger leurs droits. On a recueilli de nombreuses plaintes, fait des requêtes auprès du Premier ministre. À ce jour, une seule plainte a été retenue. Elle avait été déposée il y a trois ans, après la mort d’un clandestin. » Selon lui, la cohabitation avec les Marocains est encore pacifique, mais il craint que le pire ne soit à venir. « On est une société pauvre. Avec le chômage et les difficultés de la vie, les migrants sont de plus en plus rejetés. » Il incrimine certains journalistes, coupables selon lui d’écrire des articles xénophobes où les Africains sont dépeints comme des délinquants ou des malades du sida.

À quelques rues du hammam, Fiston veut nous montrer où il vit. Une pièce glaciale et nue, où il cohabite avec un compatriote. Il a fui la RD Congo en 2002 pour rejoindre l’Europe. « En six ans, je ne suis jamais arrivé à destination. » Après les violences à Sebta et Melilla en 2005, il crée le Conseil des migrants subsahariens pour interpeller les autorités européennes et marocaines. « Je voudrais qu’elles se rappellent que nous sommes des êtres humains. » Ces dernières années, de nombreuses associations sont nées dans le quartier. Elles servent surtout à s’organiser et à désigner un chef qui rassemble les doléances. Lorsqu’un migrant est malade ou quand il faut scolariser un enfant, elles se tournent vers Caritas, une association catholique, ou vers le comité d’entraide internationale dirigé par le pasteur David Brown.

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Rêve d’Europe…

Résigné, Fiston exhibe sa carte de réfugié. Ici, elle ne lui est d’aucune utilité, car la police, bien que le Maroc soit signataire de la convention de Genève, ne donne que rarement de valeur au statut de réfugié lorsqu’il s’agit de Subsahariens. « La seule différence, c’est que quand il y a des rafles ils nous relâchent au bout de deux jours », précise-t-il.

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L’avenir des Subsahariens de Takadoum est incertain ; ils savent que le Maroc risque de ne jamais leur fournir de papiers. Si l’occasion de traverser le détroit se présentait, ils n’hésiteraient pas. Car s’il y a bien une chose qu’ils partagent avec leurs voisins marocains, c’est le rêve d’Europe. Une Europe qui n’est pourtant plus guère idéalisée. « Je sais que ce n’est pas le paradis et qu’on trime là-bas », déclare Fiston. Khadija, voisine du hammam, incrimine l’Europe elle aussi. « Quand j’ai vu les Africains arriver dans le quartier, j’ai eu peur. S’ils sont là aujourd’hui, c’est de la faute de l’Europe, qui est fermée pour tout le monde. » Son fils est parti en Italie il y a quatre ans. Il vient d’obtenir ses papiers et elle n’a jamais pu aller le voir. « Mais les Africains, ils sont encore plus pauvres que nous. »

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