Braquages en série

Les casses perpétrés le 21 novembre contre deux banques de Cotonou relancent le débat sur l’influence du voisin nigérian et la hausse de la criminalité. Ils prouvent aussi que les gangsters sont de plus en plus violents.

Publié le 16 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Pour les Béninois, tous les diables viennent du Nigeria. Braqueurs de banques et de fourgons blindés, agresseurs à main armée, trafiquants de drogue, commerçants roublards : les bandits qui parasitent la tranquillité de leur pays ont forcément un lien avec le géant voisin, dix fois plus grand et, surtout, quinze fois plus peuplé (le Nigeria compte 140 millions d’habitants).

La croyance, vivace, a été de nouveau alimentée par le casse du siècle, le 21 novembre dernier. Une soirée « hollywoodienne », selon certains journaux locaux, qui, trois semaines après, continue de tenir Cotonou en émoi. Il est 19 heures, le jour vient de tomber sur le marché Dantokpa, le plus fréquenté de la capitale économique. Les commerçants commencent à ranger leurs étals, mais les clients et les badauds sont encore nombreux dans ce capharnaüm. Soudain, des armes se mettent à crépiter. On crie, on hurle, on pleure, on court. C’est la panique dans le dédale de venelles. Dix hommes armés viennent de faire irruption. Successivement, ils dynamitent les portes blindées et les coffres d’Ecobank et de Diamond Bank, deux agences éloignées d’une centaine de mètres. Alertés par le vacarme, des renforts policiers et militaires débarquent. « Les assaillants tiraient un peu partout, avec des armes semi-légères », se souvient l’un d’entre eux.

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Après trois heures de fusillade, les braqueurs réussissent à se faire la malle avec un coquet butin : 400 millions de F CFA (610 000 euros). Et laissent derrière eux six morts, dont un militaire, et une vingtaine de blessés. Le mur fendu de la Diamond Bank et les éclats de verre qui jonchent le sol témoignent de la violence de l’attaque. Le 1er avril dernier déjà, les deux agences avaient été attaquées selon le même scénario. Deux membres des forces de l’ordre avaient alors trouvé la mort. Mais les malfrats étaient repartis bredouilles, promettant de revenir…

Dans les deux cas, les regards des enquêteurs se sont immédiatement tournés vers le turbulent voisin. « Toutes nos pistes conduisent vers des groupes basés au Nigeria », indique Marcelin Alidé, un officier de police cité par l’AFP, au lendemain du 21 novembre. Pour Bayo, un jeune homme qui tient une boutique de sacs à main au marché Dantokpa, cela ne fait aucun doute : « Ce sont des Nigérians, ils parlaient ibo », la langue parlée par l’ethnie du même nom, originaire du sud du Nigeria. Et pourtant, le ­commerçant reconnaît ne pas avoir vu les gangsters : il faisait nuit et, par peur, il s’est carapaté…

À l’appui de la thèse du « coupable nigérian », les Béninois, forces de l’ordre ou simples témoins, avancent plusieurs éléments. D’abord, les malfrats sont arrivés en deux groupes, l’un en voiture par la route, l’autre en bateau sur le lac Nokoué, qui s’étend à une vingtaine de mètres du marché. Or ce lac est relié à la lagune qui tient lieu de frontière naturelle avec le Nigeria… Autre argument : le niveau d’armement des assaillants (des fusils d’assaut, selon plusieurs sources), nécessairement made in Nigeria… « Les armes, les méthodes et les moyens nous conduisent à penser que ça ne peut que venir du Nigeria », confirme un colonel de douane.

La loi des séries

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Et puis il y a des précédents : en décembre 2007, un fourgon de la société de convoyage de fonds Sagam Sécurité a été attaqué juste derrière la présidence, à Cotonou. Deux employés sont morts. Les braqueurs, eux, sont repartis avec 80 millions de F CFA. « Ce sont des Nigérians qui ont été arrêtés par la police, rappelle un commissaire. De toutes les façons, à chaque fois qu’il y a des affaires criminelles au Bénin, ils constituent toujours le noyau dur. »

Seule une centaine de kilomètres sépare Cotonou et Lagos. Quinze millions d’habitants, une violence endémique : les maux de la capitale économique nigériane s’étendent comme une tache d’huile chez son voisin immédiat. Sans compter qu’il est plus facile d’être gangster au Bénin qu’au Nigeria. « La police nigériane a la gâchette facile, explique une source souhaitant garder l’anonymat. Les bandits préfèrent donc s’en prendre au Bénin, quitte à être pris par la police béninoise. » Pour beaucoup d’habitants de Cotonou, le dispositif de sécurité dans la métropole n’est pas à la hauteur du danger. Après l’attaque d’avril dernier, le gouvernement avait promis qu’une centaine de militaires seraient déployés à Dantokpa pour mieux sécuriser la zone commerciale. Mais au lendemain du braquage de novembre, une dizaine d’hommes armés seulement gardaient les abords du marché, tandis que leur chef somnolait dans une voiture à proximité… Un système de vidéosurveillance avait été également promis, mais les commerçants l’attendent encore.

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Entre les deux pays, la frontière, de 770 kilomètres, est poreuse. Surveillée par des douaniers facilement corruptibles, elle est le théâtre de toutes sortes de trafics. Plusieurs fois par jour, des 4×4 aux réservoirs « agrandis » font l’aller-retour, chargés d’essence du Nigeria. Sur le lac Nokoué, des barques transportent la même cargaison, qui parfois peut atteindre 250 litres. Idem pour les luxueuses voitures volées au Nigeria et revendues au Bénin. Mais la réciproque est aussi valable : des fripes et des sacs de riz débarqués au port de Cotonou passent la frontière « sous le manteau ». « Il n’y a aucune rigueur, aucun suivi, les douaniers sont complices », témoigne un ancien élu, qui veut ­garder ­l’anonymat.

Inavouables complicités

Les accusations d’exportation du banditisme sont elles aussi mutuelles. En août 2003, le Nigeria décide unilatéralement de fermer la frontière. Raison invoquée : Cotonou n’a pas pris les mesures adéquates pour lutter contre la criminalité transfrontalière. Le président de l’époque, Olusegun Obasanjo, s’émeut de la remise en liberté par la justice béninoise du chef présumé d’un réseau de voleurs de voitures, le Nigérien Hamani Tidjani, qui aurait fomenté une attaque contre l’escorte de sa fille ayant coûté la vie à trois personnes, dont deux enfants. Mais la frontière ne reste pas close longtemps : au bout de cinq jours, Olusegun Obasanjo et Mathieu Kérékou, alors à la tête du Bénin, se rencontrent pour signer un mémorandum d’entente qui prévoit notamment la mise en place d’inspections communes des postes de douane. Nom de l’opération censée faire frémir les gangsters : Fire to fire. La poursuite des trafics fait douter de son efficacité.

Les bandits nigérians ne pourraient être aussi efficaces sans complicités béninoises. « On exagère quand on pointe du doigt le Nigeria, estime Hyppolite Dansou, directeur de publication de ToSo Infos. C’est un moyen de se dédouaner. » Un préjugé défavorable, teinté de méfiance, voire de xénophobie, conduit les Béninois à accuser le Nigeria. « Ces dernières années, explique un interlocuteur anonyme, beaucoup de Nigérians sont venus s’installer au Bénin. Mais les autochtones ne les aiment pas beaucoup, ils les trouvent trop nombreux, trop bruyants. Quand vous leur louez une maison, au bout de deux mois, vous pouvez être sûr qu’ils sont dix à l’intérieur. Il y a même des églises qui font des messes en anglais, rien que pour eux. »

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