Une justice de Blancs ?

Président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH)

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Hissein Habré, Charles Taylor, ­Jean-Pierre Bemba (dont l’audience de confirmation des charges est envisagée pour le 12 janvier 2009)… La liste s’allonge, de ces ­dictateurs, chefs de guerre ou tortionnaires du continent africain derrière les barreaux ou poursuivis par une justice extranationale. Il y a quelques années, les avancées du droit international nous faisaient espérer dans l’avenir, et nous étions nombreux alors, y compris sur le continent africain, à affirmer haut et fort que « la peur avait changé de camp ». Enfin, longtemps ignorées et laissées à leur sort, les victimes allaient avoir gain de cause.

Oui mais, avec le temps, le doute s’est progressivement installé dans l’opinion publique africaine. Pourquoi cette liste aussi longue de personnalités africaines ? Avec l’aide d’une certaine propagande, les rumeurs se sont transformées en soupçons et les soupçons en accusations : la justice internationale ­serait une justice de Blancs, reproduisant des schémas néocolonialistes. Pis, les Africains qui luttent pour que soit reconnu le droit à la justice sont stigmatisés et accusés de faire le jeu des pays du Nord.

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La justice internationale ne s’intéresse pourtant pas uniquement aux dossiers du continent africain, comme le prouvent les activités du Tribunal ­pénal pour l’ex-Yougoslavie, ou celles des Chambres extraordinaires cambodgiennes, dont la mise en œuvre a permis le jugement d’anciens hauts respon­sables Khmers rouges. Et le procureur de la Cour pé­nale internationale (CPI) enquête sur les crimes commis en Colombie, en Afghanistan, en Géorgie… N’oublions pas également que nous fêtons cette année les dix ans de l’arrestation à Londres d’Augusto Pinochet, un épisode crucial qui a ouvert la voie à de nombreuses autres procédures nationales ou internationales.

Enfin, et il ne faut pas se le cacher, le nombre d’arrestations et de poursuites lancées sur le continent africain renvoie aussi à la gravité des crimes qui y sont perpétrés. Viols, exécutions, tortures, déplacements forcés : les pires atrocités, massives et systématiques, commises en toute impunité… Dès lors, une question se pose : devrait-on laisser ces horreurs impunies ? Ne l’oublions pas : si les bourreaux sont originaires du continent, les ­victimes le sont également.

La décision du procureur de la CPI d’engager des poursuites à l’encontre du président soudanais Omar el-Béchir a cependant accru le sentiment de partialité de cette institution, l’événement étant intervenu peu de temps après l’arrestation à Bruxelles de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba. Mais il faut rappeler ici que les États du continent africain (et nous nous en réjouissons) sont les plus nombreux à avoir ratifié le statut de la CPI. Ce sont ces mêmes États qui saisissent le procureur de la CPI et lui ­demandent d’ouvrir une enquête sur les crimes commis sur leur territoire, reconnaissant ainsi l’incapacité de leurs juridictions nationales. Enfin, rappelons que la Cour est composée de juges venant en grande partie du continent africain.

Certes, les pays du Nord – et nous ne cessons de le dénoncer – tentent de protéger leurs ressortissants des poursuites judiciaires internationales. Cette situation est intolérable. Juger les crimes de Saddam ­Hussein sans respecter les règles d’un procès équitable et en exemptant de toute responsabilité les puissances qui le soutenaient au moment des faits, n’est-ce pas donner le sentiment de l’« in-justice internationale » ? Pourtant, Donald Rumsfeld a senti passer de très près le vent de la justice lorsqu’il était en tournée de promotion en France en 2007. Visé par une plainte pour torture, l’ancien secrétaire d’État américain à la Défense n’a échappé à une convocation qu’en rejoignant son ambassade en catimini. De la même manière, des poursuites sont parfois engagées contre des Occidentaux en Afghanistan, en Irak et à Guantánamo.

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C’est une évidence : tout comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous fêtons cette année le soixantième anniversaire, la justice internationale doit pouvoir s’appliquer sur tous les continents et pour ­toutes les victimes. Remettre en question la ­justice ­pénale ­internationale au motif que certaines résis­tances ­freinent son action n’est pas une bonne ­démarche. Il faut au contraire nous unir pour ­vaincre ces ­résistances et faire en sorte que la justice ­s’applique, enfin, de façon universelle.

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