Les habits neufs d’Al-Qaïda

À Bombay, trois jours durant, des combattants islamistes supérieurement organisés et préparés ont résisté aux forces spéciales indiennes. Un tournant dans la « guerre globale » déclenchée contre l’Occident par la nébuleuse djihadiste.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 3 minutes.

La sophistication des ­attaques, l’excellente préparation des terroristes, le choix des cibles, le retentissement médiatique des opérations… Tout incite à faire le rapprochement entre les ­massacres de Bombay, en cette fin novembre, et les attentats du 11 septembre 2001, à New York et à Washington. Sans doute était-ce d’ailleurs le but recherché par les commanditaires du carnage. Puissance mondiale émer­gente, l’Inde s’est réveillée groggy, hébétée, touchée au cœur, comme New York l’avait été après la chute des tours du World Trade Center. Et elle ­compte ses morts : 172, dont 26 étrangers – Américains, Britanniques, Israéliens, Canadiens, Français…

Ce n’est pas la première fois que le sous-continent est victime d’attaques terroristes de grande ampleur. Le 13 décembre 2001, un assaut meurtrier lancé contre le Parlement par des activistes du Lashkar-e-Taïba, un groupe basé au Pakistan, avait conduit New Delhi et Islamabad au bord de la guerre. En octobre 2005, trois marchés de la capitale fédérale avaient été visés par des attentats qui avaient fait une soixantaine de morts. Enfin, en juillet 2007, l’explosion simultanée de sept bombes dans des gares et des trains de banlieue, à Bombay déjà, avait provoqué la mort de 186 personnes.

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Mais « l’opération du 26/11 » est de loin la plus audacieuse et la plus spectaculaire. Elle déborde en outre du cadre de l’interminable conflit indo-­pakistanais. En ciblant (notamment) les deux plus luxueux hôtels de la ville, un restaurant fréquenté par des touristes occidentaux et un centre ­communautaire juif (voir encadré), les assaillants ont cherché à apparaître comme des combattants du djihad international.

L’enquête conduit de plus en plus clairement à la « piste pakistanaise ». Un téléphone satellitaire oublié dans le Zodiac qui a servi au débarquement du commando islamiste, les aveux d’Azam Amir Kasav, apparemment le seul rescapé du groupe, l’interception de communications téléphoniques entre les terroristes et un certain Yusuf Muzammil, présenté comme le chef des opérations militaires au sein du Lashkar-e-Taïba, mais aussi des informations transmises par la CIA américaine, tout semble indiquer que les mystérieux « Moudjahidine du Deccan », qui ont revendiqué l’opération, n’étaient qu’un prête-nom.

À ce stade, rien ne permet d’impliquer Oussama Ben Laden dans le massacre. Il se peut même qu’il n’ait pas été informé de ses préparatifs. Mais Al-Qaïda n’en porte pas moins la « responsabilité morale » : n’est-elle pas l’inventrice du « djihad global », notion dont le champ d’application s’étend à mesure que les capacités opérationnelles de la « maison mère » régressent ?

Le terrorisme djihadiste n’a jamais été aussi décentralisé, voire délocalisé, qu’aujourd’hui. Il peut frapper partout, même s’il utilise largement ces foyers traditionnels d’instabilité que sont l’Afghanistan, les zones tribales pakistanaises, le Cachemire, l’Irak, la Somalie, l’Algérie et la bande sahélienne, le Caucase russe ou le Sud musulman des Philippines. Pour ses combattants, ces régions sont des sanctuaires, des bases logistiques où il est aisé de créer des camps d’entraînement. Les attaques de Bombay marquent cependant un tournant dans la « guerre globale » : les dix assaillants ont manifesté au combat une efficacité supérieure à celle de troupes d’élite. Soixante heures durant, ils ont résisté aux forces spéciales indiennes. Ils connaissaient parfaitement la topographie des lieux et avaient à l’avance entreposé dans les hôtels vivres et explosifs.

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Ce mode opératoire militaire est impressionnant. Il marque une rupture avec les techniques utilisées jusqu’ici par la mouvance djihadiste : les attaques de type kamikaze et/ou à la voiture piégée. Symboliquement, Bombay marque donc la réhabilitation de la figure du fedayin, popularisée – dans des conditions et à des fins certes radicalement ­différentes – par les combattants palestiniens des années 1960 et 1970.

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