Pièce en trois actes

Divergences à propos de l’UPM, tensions israélo-palestiniennes, différend algéro-marocain… Les premières Journées méditerranéennes de Tanger, qui se sont tenues du 26 au 28 novembre, n’ont pas manqué de sel.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

« Ce n’est pas Valéry Giscard d’Estaing, l’ancien président français ? » Au salon d’honneur de l’aéroport de Casablanca, en ce 26 novembre, le service du protocole craint de commettre une bourde. Non, ce n’est pas lui. Si ce n’est lui, c’est donc son frère. Olivier Giscard d’Estaing, 81 ans, patron de Beterson Water, vient promouvoir ses projets en matière d’utilisation des eaux douces sous-marines. Au salon d’honneur, Omar Kabbaj, conseiller de Mohammed VI, assiste, méditatif, au manège des arrivées. L’ancien président de la Banque africaine de développement (BAD) est en partance pour Tunis, où il va plaider pour l’ouverture des frontières avec l’Algérie, devant un parterre d’hommes d’affaires réunis pour les Journées de l’entreprise (voir p. 57).

À Tanger, alors que Giscard est encore sur la route, les discours ont commencé. Éric Besson, le secrétaire d’État français chargé de la Prospective, Miguel Angel Moratinos, le chef de la diplomatie espagnole, Taïeb Fassi Fihri, le ministre marocain des Affaires étrangères, et son jeune fils Brahim (24 ans), le président de l’Institut Amadeus, promoteur des premiers MEDays, vantent, dans un même élan, leur engagement en faveur de l’Union pour la Méditerranée (UPM). « C’est la diplomatie héréditaire », commente, railleur, un journaliste marocain après le passage de Brahim Fassi Fihri. « J’ai mes propres convictions », répond celui que l’on a déjà mis dans la case des « fils de » au service de Sa Majesté.

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Elkabbach, le griot et le PJD

Branle-bas de combat à l’hôtel Mövenpick… Jean-Pierre Elkabbach, arrivé à Tanger dans la nuit, s’est levé dès potron-minet pour préparer la conférence d’ouverture sur le conflit israélo-palestinien. Du côté de l’État hébreu, la délégation est emmenée par un natif de Tanger, Shlomo Ben-Ami, ancien chef de la diplomatie, et par Aharon Abramowitz, directeur général du ministère des Affaires étrangères. Saeb Erekat, négociateur en chef de l’Autorité palestinienne, s’est décommandé à la dernière minute pour participer à une rencontre de la Ligue arabe. Leïla Chahid, la représentante pour l’Union européenne, n’ayant pu se déplacer, c’est Hassan Abderrahmane, ambassadeur de Palestine au Maroc, qui évoque le crève-cœur des Territoires sous embargo : « Nos mères continuent de donner naissance à leurs enfants dans les check-points israéliens. Pour passer de la Cisjordanie à Gaza, il faut traverser plusieurs contrôles et attendre pendant plus de quatre heures. » Abramowitz rétorque, impassible, que l’Autorité palestinienne n’est pas en mesure d’assurer la sécurité des Israéliens, qui sont régulièrement la cible des roquettes du Hamas.

Un dialogue de sourds auquel assistent, un peu embarrassés, les ministres des Affaires étrangères des Républiques de Guinée et du Sénégal, Amadou Lamarana Bah et Cheikh Tidiane Gadio. Le second ne souhaitera pas se mêler du différend, préférant concentrer ses attaques, dans la lignée des déclarations du président Wade, sur une UPM qui oublie l’Afrique, à l’heure où la Chine, l’Inde et le Brésil se tournent vers le continent. Le premier rappellera que le conflit frontalier entre le Mali et le Burkina, dans les années 1970 et 1980, a été réglé grâce à un griot connaissant parfaitement les deux cultures. « La négociation doit tenir compte de la différence entre le riche et le pauvre, le gagnant et le vaincu… Sinon, le petit renoncera à la vie, le grand n’aura pas de victoire… », ajoute le diplomate guinéen. « Pourquoi ne pas nommer un médiateur du continent ? » lance alors, mi-sérieux mi-ironique, Elkabbach. Abramowitz ne sourcille pas…

Autre temps fort de la matinée, les débats sur le thème « l’intégration maghrébine, nécessaire mais utopique ? » Pierre Vermeren, l’historien spécialiste des sociétés maghrébines, ramènera néanmoins tout le monde à une dure réalité : « On est encore dans la cristallisation du conflit du Sahara, qui remonte au début des années 1960. L’Algérie considérait que le Sahara était un butin de guerre arraché à la France, et le Maroc attendait l’indépendance de son voisin pour réclamer la partie orientale du Sahara. La guerre des sables s’est déclenchée en 1963, alors qu’Abdelaziz Bouteflika était ministre des Affaires étrangères. Il ne faut pas attendre de progrès tant qu’une nouvelle génération ne sera pas au pouvoir en Algérie. »

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Morgan Tsvangirai en vedette

Dans l’après-midi, une trentaine de manifestants propalestiniens réussissent curieusement à franchir les deux barrages de police pour scander devant l’hôtel Mövenpick : « Nous ne sommes qu’un peuple avec les Palestiniens ! » « C’est un coup du Parti de la justice et du développement [PJD] », assure un participant. « Le Maroc est une démocratie, les gens ont le droit de manifester », lui répond son voisin.

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Intégration des transports, promotion de l’immobilier et tourisme, développement durable et énergie sont au menu des discussions de la dernière journée. Des séances qui donnent lieu à d’intenses échanges. Belkacem Boutayeb, spécialiste marocain de la finance, raconte l’anecdote suivante : « Dans les années 1970, Tunis était alimenté en électricité par l’Algérie. Un jour, le président Bourguiba déclare, en plaisantant, que l’Algérie devrait céder une partie du Constantinois à la Tunisie. Le lendemain, Tunis était dans le noir. Commentaire surpris du Combattant suprême : “Qolna klima (nous nous sommes permis une petite boutade), sbahna fi dhlima (nous nous retrouvons dans le noir)”. » Mohamed Abou el-Ella, secrétaire d’État égyptien à l’Énergie, est hilare… « Monsieur le ministre, je ne voulais pas vous faire rire, je voulais juste constater avec vous que Gaza se retrouve dans l’obscurité totale », relance Boutayeb. L’Égyptien ne s’en sort pas trop mal en soulignant la volonté de son pays de résoudre le problème.

Mais les organisateurs sont déjà avec celui qu’ils ont choisi de mettre en vedette : Morgan Tsvangirai. Assigné à résidence à Harare par le clan Mugabe, le chef de l’opposition zimbabwéenne a réussi à passer en Afrique du Sud, qui, découvrant qu’il part pour le royaume chérifien, lui refuse l’embarquement à Johannesburg. Tsvangirai avait dénoncé, quelques jours plus tôt, la médiation Mbeki ; et la nation Arc-en-Ciel reconnaît la République sahraouie. Soit deux bonnes raisons de bloquer le Zimbabwéen. Qu’à cela ne tienne, le Premier ministre désigné se rend par la route au Botswana, d’où il rejoint Dakar, Le Caire, puis enfin le Maroc pour recevoir un prix des MEDays, au terme de vingt-quatre heures de vol. Sommé par les journalistes marocains de se prononcer sur le Sahara, Tsvangirai botte d’abord en touche en appelant les deux parties au dialogue. La très officielle Maghreb Arab Press (MAP) indiquera, quant à elle, qu’il s’est prononcé pour une solution négociée dans « le respect de l’intégrité territoriale du Maroc ».

Arrive la séance de clôture. Brahim Fassi Fihri annonce, en présence du Tunisien Habib Ben Yahia, secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA), que l’édition 2009 portera sur les relations entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Albert Mallet, président du Forum de Paris - Euro-Méditerranée, est chargé de présenter la déclaration finale, un document de sept pages, qu’il découvre à la lecture, mêlant de bonnes intentions pour la résolution des conflits régionaux et pour le renforcement de la coopération économique et culturelle, et un appel à l’UPM pour le financement d’une série de projets, notamment sur l’eau potable. Le texte invite aussi le pays de Bouteflika à « un retour à la raison et à un esprit de responsabilité, en normalisant enfin les relations avec le Maroc frère ». Une déclaration maladroite pour beaucoup de spécialistes du Maghreb – y compris marocains –, qui ne devrait pas rester sans réponse du côté d’Alger.

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