Le retour des vieux démons

La tenue d’une élection fin novembre à Jos a provoqué des émeutes qui ont fait plus de deux cents morts. Au-delà de ce bilan macabre, les violences interreligieuses sont devenues un phénomène récurrent.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

C’était l’élection de tous les dangers. Privée de scrutin depuis 2001, à la suite de ­graves incidents qui avaient dégénéré en affrontements interreligieux et interethniques, la ville de Jos, capitale de l’État central du Plateau, a renoué avec la violence, dans la nuit du 26 au 27 novembre dernier, après la consultation qui venait juste d’y être organisée. Le bilan est très lourd : entre 200 et 400 morts, des milliers de blessés, plus d’une dizaine de milliers de personnes déplacées et des dégâts considérables. Plus de 1 500 émeutiers ont été interpellés par les forces de l’ordre.

L’enjeu de cette élection, qui a endeuillé cet État où cohabitent des centaines de groupes ethniques de différentes confessions religieuses, portait sur les dix-sept sièges de l’Assemblée locale que se disputaient le Parti démocratique du peuple (PDP, au pouvoir), à majorité chrétienne, et le Parti de tous les peuples du Nigeria (ANPP, opposition), à majorité musulmane.

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Tout a commencé le 26 novembre en fin de journée, lorsque des militants de l’opposition, alarmés et chauffés à blanc par les allégations de fraude qui circulaient depuis la veille, s’en sont pris aux membres de la commission électorale, qui tardait à publier les résultats. Dans la nuit, le mouvement s’est étendu à toute la ville, déclenchant une terrible explosion de violence : affrontements armés, mais aussi incendies de mosquées, ­d’églises, d’édifices publics, d’habitations et de commerces. Ce n’est que le 29 au matin, soit plus de quarante-huit heures après le début des émeutes, que les autorités locales ont réussi à contenir les violences, après avoir imposé un couvre-feu de vingt-quatre heures et déployé sur le terrain des unités de l’armée fédérale appuyées par des blindés.

C’est dans cette atmosphère apocalyptique que la commission électorale a cru devoir annoncer la victoire du PDP, qui a raflé la totalité des dix-sept circonscriptions qui étaient en jeu. Au risque de raviver le feu qui couvait sous la cendre.

« Ceinture centrale »

La ville de Jos a une triste tradition de violences intercommunautaires, qui remonte à plusieurs décennies. À tel point que l’organisation de la ­moindre consultation électorale présente un risque majeur que les autorités ­locales ne semblent pas avoir évalué à sa juste mesure. Entre la tragédie de 2001, qui avait fait un millier de victimes, et le drame qui vient de s’y dérouler, cette ville a connu une autre poussée de fièvre sanglante en 2004. Les affrontements entre chrétiens et musulmans avaient fait plus de 700 morts.

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Si les conflits entre ces deux communautés, dont les membres se sont affrontés à plusieurs reprises dans d’autres États de la fédération, comme Kaduna et Kano dans le Nord, constituent un phénomène bien connu au Nigeria, il faut cependant se garder de les réduire à une simple guerre de religion. Ce territoire très fertile que l’on appelle généralement la « cein­ture centrale » nigériane, qui ­constitue un trait d’union entre le Nord, majoritairement musulman, et le Sud, ­animiste et chrétien, est l’objet de bien des convoitises. Haoussas et Foulanis, musulmans et originaires du septentrion, traditionnellement pasteurs, y cohabitent, dans un climat de tension permanente, avec différentes ethnies animistes ou de confession chrétienne, comme les agriculteurs taroks.

Au mois de mars 2004, Yelwa, ville également située dans l’État du Plateau, avait été le théâtre d’un bain de sang, avec l’assassinat de 49 agriculteurs chrétiens par des nomades foulanis. Le 2 mai, plusieurs dizaines de Taroks, vêtus de treillis, à bord de Jeep armées de mitrailleuses lourdes s’en étaient pris aux éleveurs. Le bilan est effroyable : 630 morts, selon la Croix-Rouge.

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Lorsque la nouvelle de ce pogrom était arrivée à Kano, la grande métropole du Nord s’était à son tour embrasée. En deux jours, les 11 et 12 mai, les coreligionnaires des Foulanis de Yelwa avaient massacré quelque 500 chrétiens de la ville, obligeant plus de 30 000 autres à prendre la route de l’exode en abandonnant derrière eux leurs maisons et leurs commerces, qui seront systématiquement pillés et brûlés.

Mais là encore, la cause de ces représailles n’est pas seulement confessionnelle. Les tensions autour de la question foncière sont aussi en cause. Installés dans la région depuis un peu plus d’un siècle, les Foulanis, qui ont pris possession de vastes superficies agricoles, sont considérés comme des envahisseurs par les cultivateurs taroks, qui revendiquent leurs terres ancestrales.

Drame à guichets fermés

Les émeutes interconfessionnelles ne sont pas l’apanage du seul État du Plateau. Loin s’en faut. Elles touchent l’ensemble de la fédération du Nigeria depuis au moins deux décennies. Les affrontements entre musulmans haoussas, foulanis et chrétiens yoroubas, ibos ou membres de groupes ethniques minoritaires du Nord sont récurrents.

Parmi les faits les plus saillants de cette flambée de violence endémique, on relèvera les émeutes de Kano, en 1980, qui firent plus de 4 000 morts, dont une majorité de chrétiens, après l’appel d’un imam fondamentaliste invitant ses fidèles à « éradiquer complètement tout ce qui n’était pas conforme à l’islam ». Ou encore l’ubuesque affaire du concours de Miss Monde en novembre 2002, qui aurait prêté à sourire s’il n’y avait eu mort d’homme ! À la suite de la publication, dans le quotidien nigérian This Day, d’un article affirmant, sans la moindre précaution de style, que le prophète Mohammed aurait certainement épousé l’une des reines de beauté présentes à Abuja, propos jugés blasphématoires par la communauté musulmane, de violentes émeutes avaient fait près de 200 morts.

Mais, à la lumière des événements de Jos, force est de constater une certaine radicalisation des protagonistes de ce drame qui se joue pratiquement à guichets fermés depuis bientôt trois décennies. Il est vrai qu’entre-temps l’adhésion du pays, en février 1986, à l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et la question de la charia, introduite, à partir de 1999, dans douze des trente-six États que compte la fédération – qui est néanmoins dotée d’une Constitution ­laïque – auront, dans une large mesure, cristallisé les dissensions. Avec le risque de menacer, à terme, la stabilité d’un pays déjà fragilisé par la lutte des mouvements séparatistes du Delta du Niger.

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