Un homme (et un journal) à part

Publié le 10 décembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Si ce journal à nul autre pareil est toujours le vôtre, après quarante-huit années d’existence et 2 500 parutions, si l’aventure continue et que ce miracle hebdomadaire est depuis longtemps devenu pour vous un réflexe et une habitude élémentaires, c’est évidemment à lui que vous le devez. Lui : Béchir Ben Yahmed, fondateur et toujours, à 80 ans, le capitaine incontournable du Groupe, dont J.A. est le vaisseau amiral.

On a tout dit et beaucoup écrit sur Jeune Afrique, adulé, calomnié, admiré, imité, jalousé, vilipendé, le plus souvent avec passion, rarement avec sérénité, jamais avec indifférence. Tout sauf l’essentiel. Ce pionnier que fut BBY à l’aube des années 1960 a toujours été – et demeure aujourd’hui – un spécimen unique dans le monde de la presse. À la fois patron et journaliste à part entière, éminemment politique et rigoureusement indépendant. Quatre visages confondus en un même personnage, quatre piliers indispensables à la réussite d’une entreprise hors du commun, riche de la diversité culturelle de celles et ceux qui la font et intimement liée aux heurs, bonheurs et malheurs d’un continent auquel la plupart des médias n’accordent qu’un regard distrait et lointain, tour à tour apitoyé et condescendant.

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Cet homme sans cesse en éveil ne prendra jamais sa retraite, cette antichambre de l’au-delà. Ses journées de travail commencent très tôt le matin par l’écoute des radios, la lecture d’une demi-douzaine de journaux et l’absorption d’une revue de presse. Puis il écrit, multiplie les notes à l’encre verte, qui sont autant d’angles, de créations, de suggestions d’articles. Convoque des réunions, ne déjeune jamais – perte de temps. Emporte le soir une pile de livres « utiles » (pas de romans), commandés à New York, Londres, Paris ou Johannesburg. Exige de ses collaborateurs presque autant que de lui-même – c’est-à-dire beaucoup. Ignore le sens du mot « distraction ». Voyage peu. Ne s’intéresse à l’argent que parce que celui-ci lui permet de ne pas dépendre des autres et de dire « non » aux puissants. S’ennuie volontiers, le mois d’août, en vacances, et ne vit, en définitive, que pour le Groupe, dont il est l’âme.

À la fois profondément africain et citoyen du monde, lui qui connut autrefois Che Guevara et Ho Chi Minh, Lumumba, Bourguiba, Houphouët et Senghor et qui pourrait en parler pendant des heures donne parfois l’impression d’être revenu de tout et de tous. Et pourtant, de l’élection d’Obama, qu’il a vécue avec passion comme un tournant de l’Histoire, à la lecture de ses « Ce que je crois », en passant par telle pépite extraite d’un ouvrage à la manière d’un chercheur d’or et qu’il nous communique avec gourmandise ; à l’entendre aussi, ou à le lire, tout de colère maîtrisée, broyer la politique extérieure de George W. Bush ou dénoncer le scandale des tests ADN pour les migrants africains, nous savons, ses collaborateurs, que BBY est toujours capable d’enthousiasme – ou d’indignation.

Lorsqu’il a annoncé, dans ces colonnes, il y a un peu plus d’un an, qu’il avait décidé de prendre de la distance par rapport à Jeune Afrique et de confier les rênes de l’hebdomadaire, depuis longtemps ancré dans l’âge de raison, à une équipe à la fois nouvelle et formée par lui, nul ou presque n’y a cru. Comment une telle présence, une telle empreinte, une telle exigence pouvaient-elles, du jour au lendemain, ne plus se confondre avec la « cuisine » quotidienne de J.A. ? Non seulement BBY était sincère, mais pas une seule fois – l’auteur de ces lignes peut en témoigner – il n’a, depuis, cherché à reprendre d’une main ce qu’il avait délégué de l’autre.

Tout en suivant, avec vigilance et discrétion, l’évolution de Jeune Afrique, le PDG du Groupe consacre aujourd’hui une part de son énergie à son dernier-né, La Revue, bimestriel d’analyse et de réflexion attentif à la marche du monde. À l’heure de l’Internet, BBY en est persuadé, ce n’est plus la censure qui menace la liberté d’expression, mais le trop-plein, le n’importe quoi, l’absence de sens, de recul, de vrai et de rigueur. Non loin de la porte de son bureau, rue d’Auteuil, il a fait apposer cette maxime du poète René Char : « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant. » Deux mille cinq cents numéros après la création de Jeune Afrique, ce rappel quotidien n’a jamais été aussi indispensable. 

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