Mali – Affaire Babani : billets verts et magie noire
Certains le surnomment le « Bernard Tapie africain ». D’autres le croient doué de pouvoirs surnaturels. Depuis le 3 décembre, l’homme d’affaires Babani Sissoko est jugé – par contumace – par un tribunal parisien. Pour escroquerie et blanchiment d’argent.
C’est un procès aux allures de conte oriental qui s’est ouvert le 3 décembre devant la 11e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Défrayant une nouvelle fois la chronique judiciaire, le milliardaire malien Foutanga Sissoko, dit Babani, devait y répondre des accusations d’escroquerie et de blanchiment d’argent en bande organisée. Parmi la dizaine de prévenus : des banquiers, comme Lamseh Looky, ancien président de l’Union togolaise de banque ; des hommes d’affaires, comme le Libanais Freddy Salem ; mais aussi l’épouse de Babani, Marie-Louise Adira Dabany, sœur de Patience Dabany, l’ex-première dame du Gabon ; et le fils de cette dernière, John Steed Rey, collaborateur de Pascaline Bongo Ondimba, fille et directrice de cabinet du président de ce même pays.
Mais Babani n’a pas répondu à la convocation des juges. Dans un geste théâtral, son avocate a même claqué la porte du tribunal, dès le premier jour du procès. Motif : la caution de 2 millions d’euros, fixée pour la levée du mandat d’arrêt international lancé en 2001 contre Babani, serait trop élevée… Pour le portefeuille de ce dernier, bien sûr, mais surtout au regard des sommes censées avoir été blanchies par lui dans l’Hexagone : environ 10 millions de dollars, déposés sur les comptes bancaires d’une trentaine de particuliers et d’entreprises de la région parisienne. Une goutte de cash, il est vrai, dans un océan de suspicions…
Car l’affairiste est soupçonné d’avoir empoché, entre septembre 1995 et mars 1998, 243 millions de dollars détournés des caisses de la Dubai Islamic Bank (DIB). En juin 2000, jugé par contumace dans l’émirat, Babani a même écopé d’une peine de trois ans de prison ferme. Comme Mohamed Ayoub, le sous-directeur de la DIB à l’origine du détournement.
Possédé par les djinns
Selon les aveux de ce dernier, Babani, homme d’affaires déjà très important à l’époque (voir encadré), avait pris contact avec lui pour financer l’achat d’une simple Mercedes. Puis le Malien avait invité l’Émirati à son domicile pour discuter d’un projet de création d’une compagnie aérienne. Lors de son procès à Dubaï, Ayoub avait expliqué en détail comment Babani l’aurait peu à peu subjugué.
Convaincu d’être possédé par des djinns, ces êtres surnaturels et malfaisants présents aussi bien dans les légendes arabes que dans l’islam, Ayoub serait insensiblement passé sous l’emprise de Babani en raison des extravagantes mises en scène que ce dernier organisait chez lui, convoquant les djinns et multipliant les dirhams à volonté. Le tout dans d’épais effluves d’encens…
« Un jour, j’entends un grand cri dans la pièce à côté, témoigne le banquier. En larmes, un ami marocain de Babani me dit qu’il a été frappé par un djinn. Dans une autre pièce, je trouve une montagne de billets de banque. Babani me regardait d’un œil perçant, comme si j’étais ensorcelé. Quand il m’a demandé des transferts de fonds, je me suis exécuté… »
Babani s’étrangle de rire quand on l’interroge sur ses prétendus pouvoirs magiques. « La seule chose vraie, c’est que je possède un don pour guérir certaines maladies », nous a-t-il confié au téléphone depuis Bamako, où il réside. À l’en croire, il a soigné la femme d’Ayoub, qui souffrait de crises de démence. « Mais je n’ai demandé aucun salaire en échange », précise-t-il.
Il reconnaît toutefois qu’Ayoub, pour le remercier, lui a versé de l’argent. Combien ? Il jure ne plus s’en souvenir. « En tout cas, moins que les 243 millions de dollars qu’on m’accuse d’avoir empochés ! »
Frasques et prodigalités
Babani ne serait-il donc, comme l’affirme son avocate, Me Annie Le Masson, qu’un bouc émissaire ? La victime d’un règlement de comptes au sein de la Dubai Islamic Bank ? « S’il a reçu de l’argent, il ne savait pas que celui-ci provenait d’un détournement de fonds », jure-t-elle. Pour Babani, l’affaire va même beaucoup plus loin : « C’est une histoire qui concerne directement la famille princière, affirme-t-il. Et je ne peux pas en parler… » Il est vrai que, fin 1995, une somme de 863 862 FF a été virée par la DIB sur un compte parisien de Marie-Louise Adira Dabany, épouse Sissoko. Le donneur d’ordre ? « S.M. Mohamed ».
Certes, Babani a le profil idéal de l’homme d’affaires sulfureux bon à jeter en pâture aux journalistes. N’est-il pas parfois surnommé par la presse francophone le « Bernard Tapie africain » ? Ses frasques et ses prodigalités – y compris au bénéfice de parfaits inconnus – sont désormais célèbres. Un jour de 1997, il fait un don de 300 000 dollars à la Miami Central High School… Un autre, il offre une Range Rover à une passante, juste parce qu’elle en demandait le prix…
« J’ai toujours voulu le bonheur de l’humanité », assure l’affairiste, qui, en 1985, a entièrement reconstruit et électrifié son village natal de Dabia. Mais pour Me Michel Henriquet, l’avocat de la DIB – qui s’est constituée partie civile –, la générosité de Babani n’a qu’un seul objectif, « la constitution d’une cour d’obligés destinée à le protéger quand le vent tournera. »
Le jugement est attendu à partir du 17 décembre.
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