Un prêt-à-porter décomplexé à l’export

Imbattables, les Zara, H&M et autres grandes marques mondiales d’habillement ? Pas en Tunisie où des enseignes locales font mieux que résister.

Publié le 10 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Saviez-vous qu’il existe des marques de prêt-à-porter 100 % tunisiennes ? Pas sous-traitantes ni cotraitantes de marques étrangères, mais créatrices et autonomes de bout en bout ? Au point d’avoir pignon sur rue en Tunisie et d’essaimer au Maroc, à Alger, à Paris et jusqu’à Minsk (Biélorussie) ou Washington…

Les Tunisiens connaissent bien la marque Mabrouk, qui a fêté son vingt-cinquième anniversaire l’an passé et compte aujourd’hui vingt-cinq boutiques. Mais peu savent que Blue Island, Sasio, Fuchi-Ka et Dixit sont tunisiennes, ou franco-tunisienne pour cette dernière. « Les marques préfèrent ne pas communiquer sur leur origine », explique Néjib Karafi, directeur du Cettex (Centre technique du textile). Leurs clients, qui plébiscitent les produits importés, hésitent souvent à acheter local.

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Distribuer, un autre métier

Question gamme, prix et finition, Mabrouk et consorts jouent pourtant – peu ou prou – dans la même cour que les grandes enseignes européennes, telles que H&M, Mango ou Zara, qui séduisent les jeunes. Mabrouk, qui a dû son succès dans les années 1980 à l’âge d’or du jogging, a su se diversifier dans le sportswear. Offrant un prêt-à-porter plus haut de gamme et plus cher, Fuchi-Ka, bien que née en 1986, est plus confidentielle. Logique : sa fondatrice est styliste, non pas industrielle comme ses concurrents. La marque féminine Dixit, celles d’Aramys Group, Blue Island (hommes) et Sasio (femmes), sont portées par la vague du fast fashion, basé sur un réassort permanent, à l’instar des grandes chaînes européennes. Les marques tunisiennes visent le même créneau, des collections moyenne gamme et à la pointe de la mode. D’ailleurs, « il n’y a pas de mode tunisienne, affirme Feten Khrir, directrice de l’Institut supérieur des métiers de la mode, à Monastir. Elle est universelle, mais nous avons les compétences tunisiennes. » De fait, hormis Fuchi-Ka, toutes sont adossées à de gros groupes familiaux présents dans le textile depuis deux générations comme sous-traitants. Dotées du savoir-faire de confectionneur, elles ont dû apprendre un autre métier, celui de commerçant distributeur. D’autant que l’arrivée en Tunisie des grandes enseignes internationales a accentué la concurrence, vivifiant la stratégie des marques locales, qui soignent l’agencement de leurs boutiques et leur marketing : Dixit s’affiche sur le réseau Facebook et Sasio décline son catalogue 2009 sur le mode horoscope. Mabrouk dit consacrer près de 1,5 million de dinars (DT, 850 000 euros) à l’aménagement de chacun de ses points de vente.

Limitées par l’encombrement du marché tunisien, ces marques se sont lancées à l’international depuis environ quatre ans, mais n’ont pas emprunté les mêmes voies ni ciblé les mêmes marchés. Les unes se focalisent sur le Maghreb, les autres sur l’Europe. Préférant se développer en local, Mabrouk est la plus timorée : Actua, créée en 2006 à Alger, est sa seule enseigne à l’étranger. Son gérant, Mehdi Abdelmoula, refuse de parler chiffres, mais reconnaît que « la boutique d’Alger fait mieux que la meilleure boutique en Tunisie » – un montant circule : Actua aurait généré un chiffre d’affaires de 2,4 millions de DT en 2007. Au Maghreb, Blue Island et Sasio sont les plus offensifs, dotés aujourd’hui de deux boutiques à Alger (une troisième est prévue dans le futur centre commercial de Bab Ezzouar) et de cinq autres au Maroc. Pas mal, quand on sait qu’outre les filiales des grandes chaînes de l’habillement, le Maroc a aussi ses propres enseignes (Flou Flou, Marwa). L’Algérie offre un marché moins concurrentiel mais « compliqué » et onéreux – non signataire des accords d’Agadir, elle impose des frais de douane de 30 %. Les jeunes Algériens sont séduits par Actua, Dixit, Blue Island et Sasio, mais les trouvent trop chères. « L’absence de classe moyenne est flagrante », note Belhassen Gherab. Autre obstacle : le poids de l’informel, comme pour les jeans. « Du coup, se plaint Sid-Ali, fashion victim algéroise, tous les franchisés font du déstockage, et nous fourguent leurs vieilles collections. »

24 franchisés en Russie

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Se lancer sur le marché européen est autrement plus audacieux et périlleux : Aramys, qui a tenté la France en 1998, à Aix et à Marseille, a dû fermer boutique au bout de quatre ans. À l’inverse, Dixit a un ancrage solide en France. En janvier 2006, cette franco-tunisienne a racheté la petite chaîne française Fassionados, qu’elle a aussitôt restructurée. Son bureau de style est basé à Paris, elle compte aujourd’hui 42 boutiques dans 6 pays (Tunisie, Maroc, Algérie, France, Russie, Biélorussie), dont quatorze seulement en Tunisie, et 24 en… Russie (en un an d’existence). « Les volumes de commandes des franchisés russes vont peser autant que le reste du réseau », affirme ainsi Nafâa Ennaifer, dirigeant de la marque.

Fuchi-Ka s’est adjoint les services de Philippe Xerri, cofondateur de la marque française Viaero (revendue en 2001) et doté d’une grande expérience à l’export. Ayant franchi les frontières en 2005, la marque à consonance japonaise fournit aujourd’hui des boutiques de prêt-à-porter chic en France (7 à Paris, 24 en province), à Bruxelles, Athènes, Londres… et jusqu’aux États-Unis, à Washington ! Fuchi-Ka se trouve bien sur son marché de niche et s’emploie précisément à restructurer sa politique commerciale, songeant à réduire le nombre de ses points de vente en Tunisie pour les agrandir (100 m², contre 40 m² en moyenne).

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Dans un environnement de plus en plus concurrentiel et mondialisé, quelle peuvent être les marges de croissance ? Le développement en Europe et en Russie de Dixit est exceptionnel, difficile d’imaginer semblable percée pour les autres. Mais… « Et si la crise favorisait le fast fashion de proximité… », se prend à espérer Néjib Karafi.

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