L’économie du Ghana : un modèle à parfaire

A la veille des élections générales, la plupart des indicateurs sont au vert et la découverte de pétrole dynamise le pays. Mais le « bon élève » du FMI doit encore construire une véritable industrie locale.

Publié le 8 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Deux cents kilomètres et tout un monde séparent Lomé et Accra. D’un côté, il y a des routes boueuses à la moindre averse, des villas défraîchies en bord de mer et de rares immeubles de plus de dix étages. De l’autre, des voies rapides goudronnées, des centres internationaux de conférences, des banlieues pavillonnaires… Vu du Togo voisin, le Ghana apparaît bien comme la « bonne nouvelle de l’Afrique » que décrit le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Pour les diplomates ayant traîné leurs guêtres en Afrique de l’Ouest, c’est « le » pays de la région qui a su trouver la bonne recette du décollage économique. Et si le Ghana n’a pu déboulonner la Côte d’Ivoire du rang de principale puissance de la région, la capitale Accra s’impose comme le lieu privilégié du monde économique d’Afrique de l’Ouest (colloques, représentations…). Les hommes d’affaires, eux, y voient un marché attrayant grâce à l’émergence d’une classe moyenne, et un pays stable – qualité très recherchée dans une zone de turbulences politiques – et plus accueillant que ses voisins .

Des impressions confirmées par les chiffres. La dynamique a été amorcée en 2000, quand la barre des 4 % de croissance du PIB a été franchie. Elle s’est élevée à 6,3 % en 2007, alors même que la flambée des cours du pétrole a pénalisé un pays largement importateur qui n’assure ­actuellement que 12 % de sa consommation (6 000 b/j). Et, selon les derniers calculs du Fonds monétaire international (FMI), le Ghana devrait encore survoler 2008 avec une croissance du PIB de 6,5 %.

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Le président, John Kufuor, dont le deuxième et dernier mandat s’achève avec l’élection du 7 décembre prochain, s’attribue volontiers la paternité du succès. « Le bilan de mon gouvernement a été très impressionnant et très positif », s’est-il déjà félicité au cours d’une conférence de presse. Faisant scrupuleusement appliquer les préceptes du FMI (notamment la contraction des dépenses publiques), Kufuor a effectivement permis au pays de bénéficier d’une réduction substantielle de la dette extérieure en 2004, passée, cette année-là, de 5 milliards à 2,4 milliards de dollars. « Le Ghana a été un élève zélé », se souvient un économiste, à Accra.

En partie désendetté, l’État s’est ensuite tourné vers le secteur privé avec la volonté d’attirer des investisseurs étrangers, utilisant sa crédibilité pour lever, en 2007, un emprunt obligataire de près de 750 millions de dollars. Menés parallèlement, les efforts pour mieux collecter l’impôt ont augmenté les rentrées fiscales, passées de 14 % du PIB en 1999 à 27 % en 2007. La lutte contre l’inflation a permis de la ramener d’un taux de 40 % en 2000 à 10 % en 2007, avec un objectif fixé entre 7 % et 9 % par la Banque centrale. Mais l’envolée des prix du début d’année l’a fait rebondir jusqu’à 17,9 % en septembre, avant d’amorcer une légère décrue en ­octobre, à 17,3 %.

IDE en augmentation de 133 %

« Les fondamentaux sont solides », assure toutefois l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le cadre est propice aux investissements directs étrangers, qui ont augmenté de 133 % entre 2005 et 2006, à 335 millions de dollars. Autre atout : l’environnement des affaires est plus favorable aux entreprises qu’ailleurs en Afrique de l’Ouest. « C’est simple de créer une entreprise, témoigne Thomas Pelletier, délégué à Accra du groupe de distribution CFAO (automobile notamment). On arrive à remplir toutes les formalités en quelques semaines, voire en quelques jours. » Dans le classement annuel de la Banque mondiale « Doing Business », paru en septembre, le Ghana fait partie des pays du continent les moins tatillons avec la paperasse. Un obstacle demeure : le foncier. Les investisseurs déplorent des prix élevés, mais aussi la complexité des procédures pour devenir propriétaire.

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Les activités de services, la construction et les mines sont les plus dynamiques, selon une étude de l’Institute of Economic Affairs (IEA), un think-tank ghanéen. Pour le secteur des biens d’équipement, le Ghana est, avec 23,5 millions d’habitants, un marché qui devient juteux. Une petite classe moyenne se développe et la bancarisation est en cours. En 2007, la baisse des taux d’intérêt a dynamisé la consommation. Ce qui a, par exemple, augmenté de 30 % le chiffre d’affaires de CFAO l’an passé.

« Nous sommes dans un cycle positif », assure un investisseur. Il faut dire qu’il flotte dans l’air ghanéen un parfum d’or noir. À la suite des découvertes, à partir de 2007, de réserves offshore de près de 2 milliards de barils – sur le gisement du Jubilee Field, au large de la ville portuaire de Takoradi –, la perspective de l’exploitation pétrolière rend le pays attractif et stimule la croissance. « C’est l’une des plus grandes découvertes africaines de pétrole de ces dix dernières années », a annoncé l’anglo-irlandais Tullow Oil, qui partage le Jubilee Field avec les américains Kosmos Energy et Anadarko. La production devrait atteindre les 120 000 b/j en 2010 et 250 000 b/j à partir de 2015. Ces premières découvertes ont créé l’effervescence. Dans la foulée, une dizaine d’entreprises, pour la plupart anglo-saxonnes, se sont lancées dans l’exploration de pétrole et de gaz le long des côtes.

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Les hydrocarbures promettent de diversifier l’économie, qui repose sur deux piliers : l’or et le cacao, qui assurent, avec le bois, 80 % des ressources du pays. Deuxième producteur d’or du continent (derrière l’Afrique du Sud) avec 2 millions d’onces par an, le Ghana est dépendant du métal jaune. Comme du cacao, dont il est le numéro deux mondial. En 2007, la production a atteint 600 000 tonnes. Le gouvernement vise le million de tonnes en 2010. L’arrivée de Cargill y contribuera. Le 4 novembre, l’américain a inauguré sa cinquième usine du pays. Un investissement de 100 millions de dollars qui transformera 65 000 tonnes de fèves de cacao en liqueur, en beurre et en poudre d’ici à trois mois.

Toutefois, une part jugée encore trop faible des richesses du pays est transformée sur place (50 % dans le cas du cacao). « La production de valeur ajoutée est minime et la base productive est fragile », déplore un économiste. La stratégie de Kufuor d’inciter les investisseurs étrangers à s’installer dans le pays a fait l’impasse sur l’exigence de transformer la production sur le territoire. C’est le grand reproche que l’opposition fait au président sortant. « En huit ans de Kufuor, la part du crédit au secteur manufacturier a baissé de 55 % », indique Nii Moi Thompson, porte-parole pour l’économie du Convention People’s Party, dans l’opposition. Mais le Ghana n’est pas pour autant le paradis des investisseurs étrangers. Le Parlement veille. Le 17 juillet, les députés ont invalidé la privatisation à un consortium étranger de 70 % de la société de production d’aluminium nationale, Valco, pour un montant de 175,5 millions de dollars, ainsi que la cession de 70 % du capital de Ghana Telecom au britannique Vodaphone contre un chèque de 900 millions de dollars. Et alors même que l’opérateur public (4 000 salariés) accuse une dette de 400 millions de dollars. Suspendues, les opérations de privatisation attendront l’après-présidentielle pour être réexaminées.

Retards industriels

Dans ce contexte, l’agriculture reste le premier secteur économique (38,8 % du PIB) et les envois de fonds de la diaspora demeurent une importante source de revenus pour la population : en 2007, ils ont atteint 5 milliards de dollars. Mais « cet argent est très peu investi dans l’activité productive », note un économiste. Le développement industriel est également entravé par un mal qui frappe toute la région : les délestages. L’an passé, la production d’électricité a chuté de 15 %. En cause, les infrastructures vieillissantes et le niveau d’eau qui baisse dans le lac Volta, à l’est du pays, qui constitue la première source énergétique à partir du barrage d’Akosombo. « L’année 2007 a été catastrophique, se souvient un entrepreneur, mais, sur 2008, on est en progrès. » Recourant à des groupes électrogènes et utilisant d’autres énergies, comme le gaz, les autorités ont été « réactives », juge le même interlocuteur. Remède plus durable au déficit énergétique, la construction d’un barrage hydroélectrique. Le projet est ancien, mais les financements ont été trouvés en août dernier seulement, à Pékin. La China Exim Bank va en effet prêter 582 millions de dollars à Accra pour les travaux, qui seront assurés une compagnie chinoise.

La prise en charge du chantier par la Chine est nécessaire, car les ressources humaines manquent. « Il y a un déficit de main-d’œuvre intermédiaire compétente pour le management de petites équipes, souligne un homme d’affaires français. Sur ce plan-là, il y a encore un long chemin à faire. » Comme sur le plan de la corruption : « Nous sommes très souvent sollicités, poursuit le même interlocuteur. Mais si vous refusez de verser un bakchich pour le dédouanement de vos marchandises au port de Tema, vous les obtiendrez quand même. Ça prendra plus de temps, c’est tout. » L’une des différences avec les pays voisins qui, au bout du compte, incite les investisseurs à chanter les louanges du Ghana.

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