L’aigle à deux têtes

Ils se sont durement affrontés lors des primaires démocrates, mais ont choisi le pardon des offenses. Depuis la mi-novembre, ils négociaient pied à pied. Finalement, Hillary Clinton sera bel et bien la secrétaire d’Etat de Barack Obama.

Publié le 8 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Ce n’est pas le poste dont rêvait Hillary Clinton, elle qui a failli être la première présidente américaine de l’Histoire. Battue à l’issue des primaires du Parti démocrate, elle a pourtant accepté de devenir la secrétaire d’État du premier président noir des États-Unis, Barack Obama. L’annonce de sa nomination à ce poste – le plus important après celui de président – devait être officialisée vendredi 28 novembre.

Il faut à l’une et à l’autre beaucoup de professionnalisme et de capacité d’oubli pour faire ainsi équipe. Certes, dans la dernière ligne droite de la campagne, Hillary a soutenu Barack sans réserve, de la voix et du vote, contre l’adversaire républicain John McCain. Mais que d’avanies ne s’étaient-ils pas infligées auparavant ! Pendant que Bill Clinton tentait de réduire Obama à n’être que le candidat des Noirs, son épouse le traitait de « naïf » parce qu’il avait fait savoir que, dès son élection, il rencontrerait « sans condition » les « méchants » de l’imaginaire américain – l’Iranien Mahmoud Ahmadinejad, le Cubain Fidel Castro ou le Nord-Coréen Kim Jong-il – pour renouer avec eux les fils du dialogue. Histoire de souligner l’inexpérience de son adversaire sur la scène internationale.

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Obama avait contre-attaqué astucieusement en se moquant de « l’erreur de jugement » de la sénatrice de New York, qui avait voté en faveur de l’invasion de l’Irak en 2003, alors que lui-même, convaincu que cela n’aboutirait qu’à « renforcer Al-Qaïda », y avait toujours été hostile.

Les négociations entre ces deux fortes personnalités ont, depuis la mi-novembre, été très laborieuses, chaque camp tentant d’imposer ses conditions. Se souvenant des malheurs de Colin Powell, le premier secrétaire d’État de George W. Bush, paralysé par un cabinet dominé par les néoconservateurs, la dame entendait pouvoir choisir son équipe à sa guise et disposer d’un accès direct au président.

Le camp Obama voulait que Bill Clinton rende publics les noms des généreux sponsors de sa William J. Clinton Foundation (parmi lesquels, selon le New York Times, la famille royale saoudienne et le roi du Maroc), ainsi que ceux de sa bibliothèque de l’Arkansas.

Par ailleurs, pour éviter tout conflit d’intérêts, l’ancien président a été prié d’informer la Maison Blanche des conférences qui ne manqueront pas de lui être proposées, dans le monde entier. Pour mémoire, il a gagné depuis son départ de la Maison Blanche, en 2001, 52 millions de dollars grâce à cette très lucrative activité. Bill Clinton a promis tout ce qu’on voulait pour que sa femme obtienne le poste.

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Dans le camp républicain, cette nomination a suscité beaucoup de moqueries. Et pas mal de déceptions dans celui d’Obama. Où est le changement promis par le futur président, dès lors que le clan Clinton fait apparemment son grand retour à la Maison Blanche ?

Timothy Geithner, au Trésor, Larry Summers, patron du conseil économique présidentiel, ou Peter Orszag, directeur du budget à la Maison Blanche, ont tous occupé de hautes fonctions dans l’administration Clinton (1992-2000). Et que dire de Hillary, qui a toujours eu tendance à se comporter en véritable numéro deux de l’administration dirigée par son mari ! Commentaire sarcastique du New York Times, encore : « Le changement atterrit dans de vieilles mains. »

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Les choix d’Obama semblent pourtant très astucieux. Dans la tempête économique qui fait rage, il a choisi de vieux briscards qui ne perdent pas leur sang-froid et sont tout sauf des doctrinaires. De surcroît, ils rassurent les marchés. Enrôler Hillary Clinton participe de la même tactique. Avec elle, il fait d’une pierre deux coups.

D’une part, il contente les quelque 18 millions de démocrates qui lui ont préféré l’ex-First Lady lors des primaires et conforte sa stature de rassembleur capable de fédérer les talents bien au-delà de ses affinités naturelles.

De l’autre, il s’attache les services d’une femme beaucoup plus connue que lui à l’étranger, quelqu’un qui a rencontré tous les leaders de la planète, qui est la dirigeante américaine ayant la meilleure approche de l’Afrique, où elle s’est souvent rendue, et n’ignore rien des zones de conflits planétaires puisqu’elle siégeait à la Commission des forces armées du Sénat.

Les observateurs sont nombreux à souligner les points de convergence qui devraient cimenter l’alliance du président et de sa secrétaire d’État. Avec des nuances, ils sont partisans d’un retrait graduel des troupes américaines d’Irak. Le premier veut mettre le paquet sur l’Afghanistan, ce qui ne devrait pas déplaire à la seconde. Laquelle devrait d’autre part se laisser convaincre d’aborder les Iraniens avec diplomatie et de demander un peu plus fermement aux Israéliens de tenir les promesses faites aux Palestiniens.

Tous deux donneront la priorité à l’Afrique, au moins dans leurs préoccupations et peut-être dans les budgets de l’État fédéral. Barack se souviendra de ses chromosomes luos et de sa famille kényane. Hillary reprendra le chemin de l’Afrique du Sud, où elle compte de nombreux amis, à commencer par â¨Nelson Mandela et Desmond Tutu.

Lorsqu’elle était candidate à la candidature, la sénatrice envisageait, en cas d’élection, de nommer Bill « ambassadeur itinérant » afin de réconcilier l’Amérique avec le reste du monde. Finalement, c’est elle qui sera chargée de la tâche, sous la houlette de Barack Obama. Il lui revient de faire oublier les huit années catastrophiques de la présidence Bush et de rétablir le leadership d’une Amérique redevenue bienveillante. « Yes we can ! » comme le proclamait le slogan d’Obama. Oui, elle le peut.

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