Reconstruction à (très) petits pas

Si les avancées en matière économique, dues à l’amélioration de la situation sécuritaire, sont indéniables, leurs effets sur la vie quotidienne de la population tardent à se faire jour.

Publié le 8 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Avant même de se trouver sur les lieux d’un attentat à la voiture piégée, Sadiq Jassim Hassan avait décidé qu’il était trop risqué de continuer à tenir une boutique de prêt-à-porter dans le quartier de Kerrada, à Bagdad. « Il y avait trop de bombes qui explosaient », explique Sadiq, devenu depuis chauffeur de taxi. « La seule manière de survivre quand on conduit un taxi, c’est de ne jamais s’arrêter », ajoute-t-il. Contrairement à ce qu’il fit, un jour, sur une place centrale de Bagdad, juste avant un attentat-suicide. Son visage en porte encore les cicatrices.â

Entre ses revenus de taxi, l’aide de sa famille et l’assistance alimentaire sporadique du gouvernement, Sadiq parvient tout juste à subvenir aux besoins de sa famille – son épouse Suhuila et leurs six enfants. « Nous avions de quoi nous nourrir, mais pas assez pour faire quoi que ce soit d’autre », confirme Suhuila. L’été dernier, dans leur quartier, ils n’ont eu droit qu’à trente minutes d’électricité par jour. Il y a quelques semaines, ils se sont installés dans le Nord, dans la province du Kurdistan, à la recherche d’une vie meilleure.

la suite après cette publicité

Si, comme pour la famille Hassan, les conditions de vie des Irakiens s’améliorent progressivement, l’existence au quotidien reste une lutte. Beaucoup considèrent que leur qualité de vie s’est dégradée par rapport à ce qu’elle était sous Saddam Hussein. Pourtant, économistes et diplomates s’accordent à dire que l’environnement économique s’est nettement amélioré, parlant même de « fenêtre d’opportunité » pour le gouvernement. « Il y a des indicateurs qui montrent que l’économie est repartie, assure Marc Wall, nouveau coordinateur pour la transition économique à l’ambassade des États-Unis. La croissance sera assez soutenue, l’inflation limitée. On peut voir les signes d’une reprise de l’activité économique. Tout cela est très positif. »

7 % de croissance en 2008

Selon le Fonds monétaire international (FMI), l’économie irakienne devrait enregistrer une croissance de 7 % en 2008, après une année 2007 marquée par la stagnation. L’inflation, qui avait atteint 60 % en 2006, tourne aujourd’hui autour de 13 %. Un retournement largement dû à une amélioration de la sécurité sur l’année écoulée et à une augmentation des revenus du pétrole après la reprise de la production et de l’exportation. Même avec un baril en dessous de 100 dollars, Bagdad devrait voir ses recettes pétrolières, qui représentent 94 % des revenus de l’État, croître de 65 %. Le Fonds de développement pour l’Irak, où est versé le produit des ventes de l’or noir, totalisait 23,6 milliards de dollars fin juillet, soit deux fois plus qu’en janvier, tandis que les réserves de change détenues par la Banque centrale ont atteint la barre des 40 milliards de dollars.

Mais lorsqu’on se penche sur les investissements réalisés par Bagdad, le bilan n’est guère satisfaisant. Le Government Accountability Office (GAO) du Congrès américain – équivalent de la Cour des comptes française – a révélé, en août, que l’Irak n’avait dépensé, en 2007, que 28 % des 12 milliards de dollars de son budget de reconstruction. Avec des recettes estimées entre 73 et 86 milliards de dollars cette année, l’Irak pourrait donc, selon le GAO, afficher un excédent budgétaire de quelque 79 milliards en décembre. L’insuffisance des investissements irakiens et les sommes importantes que consacre encore l’Amérique à l’Irak sont devenues un sujet éminemment politique outre-Atlantique. « Nous [les États-Unis] dépensons encore 10 milliards de dollars par mois, alors que les Irakiens dégagent un solde excédentaire de 79 milliards de dollars, dans un contexte de grandes difficultés sur le territoire américain », a rappelé Barack Obama, lors du premier débat présidentiel.

la suite après cette publicité

Selon Marc Wall, les financements proviennent de plus en plus de Bagdad et de moins en moins de Washington. « La sécurité s’est améliorée et les Irakiens disposent des moyens nécessaires et de l’environnement propice pour faire bon usage de leur manne. » En septembre, le gouvernement irakien a annoncé qu’il comptait allouer 78,9 milliards à la reconstruction, aux infrastructures et à la protection sociale en 2009, soit 60 % de plus qu’en 2008. Il pourrait cependant être contraint de revoir ses plans à la baisse, dans la mesure où les revenus du pétrole risquent fort d’être moins élevés que prévu.

Erik de Vrijer, du FMI, considère que le gouvernement irakien dispose désormais d’une « fenêtre d’opportunité » pour investir. « Les projets d’investissement dans la production d’électricité, la construction de routes, la rénovation des systèmes de distribution et d’assainissement de l’eau, la construction d’écoles et d’hôpitaux peuvent maintenant voir le jour. »

la suite après cette publicité

Pour Hedi Larbi, à la tête de la division Moyen-Orient de la Banque mondiale, ce n’est pas le manque de ressources ou de sécurité qui a entravé l’action du gouvernement, mais le manque de compétences. Pour mettre à exécution son programme, l’État a besoin de fonctionnaires recrutés sur la base de leurs compétences et non de leur affiliation politique. Erik de Vrijer est « prudemment optimiste » sur la capacité de Bagdad à tirer profit du nouvel environnement économique. « Il est vrai que la situation est difficile, mais les autorités ont fait de gros progrès sur le plan de la gestion macroéconomique, et c’est là le fondement du développement économique. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires