Les cent jours d’Abdelaziz
Quatre mois après avoir renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le chef de l’État autoproclamé a trouvé une légitimité auprès des plus démunis. Mais ses mesures populistes n’ont convaincu ni la communauté internationale ni le front de soutien au président déchu.
Il était pour tous le général de l’ombre. Son épaisse moustache et ses silences inspiraient la crainte. Un coup d’État et quatre mois plus tard, les plus démunis offrent à Mohamed Ould Abdelaziz de bien aimables surnoms : le « Chávez de la Mauritanie », le « président des pauvres », le « Guide ». « C’est terrible, déplore un anti-putsch, à Nouakchott. Toutes ces vieilles dames qui détestaient les militaires, les voilà aujourd’hui qui font l’éloge d’Aziz. »
En renversant Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le 6 août dernier, Mohamed Ould Abdelaziz, alors commandant du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep), fait voler en éclats le rêve de la démocratie en Mauritanie. À la tête d’une junte de onze membres, le Haut Conseil d’État (HCE), il s’assied sur le fauteuil d’un président civil librement désigné par les urnes en mars 2007, après vingt-neuf ans de pouvoirs militaires successifs entrecoupés de putschs. « Empêcher la dérive » du pays, « sauver » la démocratie : les motivations avancées par le chef de la junte, limogé, avec trois autres cadres de l’armée, quelques heures avant son coup de force, sont alors trop vagues pour convaincre. Mais quatre mois plus tard, l’homme de caserne est populaire. Même les récalcitrants, même ceux qui refusent la terminologie officielle l’admettent – pour les médias publics, le 6 août n’est pas un coup d’État mais une « rectification ». Selon Mohamed Fall Ould Oumère, rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Tribune, « Aziz » est « sacralisé ».
Personnalisation du pouvoir
La communauté internationale ayant commencé à tirer à boulets rouges sur le énième coup d’État mauritanien dès la mi-août, son auteur a recherché la légitimité ailleurs : dans le cœur des classes populaires. Pour le conquérir, une série de mesures économiques visant l’amélioration des conditions de vie ont été prises. Les prix des produits de première nécessité ont baissé : – 10 % pour les médicaments, – 25 % pour la bonbonne de gaz butane et l’essence à la pompe, – 10 % à – 20 % pour le pain. Crise alimentaire oblige, les prix ont augmenté sous le régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Pour marquer des points face à son prédécesseur, Mohamed Ould Abdelaziz a voulu montrer que la hausse du coût de la vie n’était pas une fatalité. La stratégie, menée à coups de subventions, a payé. Parmi les plus démunis, beaucoup ont oublié le coup d’État : « Dans les poches de pauvreté, les gens veulent du concret, explique un observateur. Qui est devenu président, comment il y est arrivé, ce n’est pas leur problème. »
Pour se distinguer un peu plus d’un Sidi Ould Cheikh Abdallahi discret et peu porté sur les bains de foule, le général a également joué la proximité avec le peuple. Il s’est rendu plusieurs fois dans les quartiers populaires de Nouakchott, promettant monts et merveilles à leurs habitants : raccordement aux réseaux d’électricité et d’eau potable, distribution de terrains. « Il y est allé en personne, il est rentré dans les baraques, se souvient un journaliste. Là-bas, ils n’avaient jamais vu un président en chair et en os. » Les promesses ne sont pas des paroles en l’air : des travaux ont déjà commencé.
Se sachant « surveillé » par la communauté internationale, qui menace de geler la coopération, Aziz mise sur l’action immédiate pour disposer rapidement d’un argument à opposer aux partenaires étrangers : la satisfaction populaire. En visite à l’hôpital national de Nouakchott, il promet l’achat d’un scanner – dont la Mauritanie est dépourvue. Les technocrates avancent la nécessité d’une étude de faisabilité. Perte de temps, riposte Aziz. Et la commande du scanner est passée. Idem pour le chantier de l’avenue Moktar-Ould-Daddah, à Nouakchott, inauguré le 5 novembre.
Avec Aziz, les Mauritaniens ont renoué avec la personnalisation du pouvoir et l’homme à poigne, figure que Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’est refusé à incarner. Mais visant le résultat immédiat au lieu de s’attaquer aux problèmes de fond, sa politique est jugée populiste par les détracteurs du putsch. L’État, avec un budget 2009 de 665 millions d’euros, ne pourra pas supporter la multiplication des chantiers et des baisses de prix. « Des économies sont faites sur l’argent gaspillé », se défend Abderrahmane Ould Moine, le ministre de la Communication nommé par la junte. Mais selon plusieurs sources, la Société nationale industrielle et minière (Snim) a été mise à contribution. Dans le secteur portuaire notamment, des investisseurs ont retardé la signature de leurs contrats. « Les milieux d’affaires sont angoissés, témoigne un cadre dans une société de transport maritime. Ils suspendent leurs investissements car il n’y a pas de visibilité. »
Une classe politique divisée
Au sein de l’armée, Mohamed Ould Abdelaziz ne fait pas l’unanimité. Certains colonels n’acceptent pas qu’un général de 52 ans, donc leur cadet, se soit emparé du pouvoir suprême. La classe politique, elle, est divisée. Des partis bien implantés comme le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), d’Ahmed Ould Daddah – le chef de l’opposition avant le coup d’État – ; Hatem, de Saleh Ould Hanena ; l’Union pour la démocratie et le Progrès (UDP), de Naha Mint Mouknass ; et le Parti républicain pour la démocratie et le renouveau (PRDR), de Sidi Mohamed Ould Mohamed Vall, n’ont pas condamné le coup d’État. Ces deux derniers ont même rejoint le gouvernement. Mais d’autres continuent de dénoncer le putsch et militent au sein du Front national pour la démocratie et le développement (FNDD) pour le rétablissement de Sidi Ould Cheikh Abdallahi dans ses fonctions : l’Alliance populaire progressiste (APP), de Messaoud Ould Boulkheir – président de l’Assemblée nationale – ; l’Union des forces de progrès (UFP), de Mohamed Ould Maouloud ; et Tawassoul, le parti islamique de Jemil Ould Mansour. Sollicitées, certaines personnalités politiques influentes refusent de rallier le général. « Il n’a pas une bonne compréhension de ce qu’il veut faire, c’est un homme de réaction, pas de vision », explique l’une d’entre elles, qui a pourtant reçu la visite courtoise de deux émissaires. S’il a obtenu le soutien d’une majorité de parlementaires, Mohamed Ould Abdelaziz s’appuie sur des hommes plus que sur un parti : Mohcen Ould El Haj, vice-président du Sénat et leader de la fronde parlementaire contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi ; Mohamed Mahmoud Ould Brahim Khlil, ancien ministre du Tourisme ; et Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou, le ministre des Affaires étrangères nommé par la junte.
En l’absence de calendrier électoral et de déclaration du général sur sa candidature, les bailleurs de fonds occidentaux, eux, ont arrêté leur opinion : « Désormais, il n’y a plus de doute, confie une source proche de l’Élysée. La seule motivation d’Ould Abdelaziz, c’était de prendre le pouvoir et c’est maintenant de le garder. » Pour cette même source, la promesse des « états généraux de la démocratie », forum national au cours duquel les règles du scrutin doivent être fixées, ne tient pas la route. Et le transfert, le 13 novembre, de Sidi Ould Cheikh Abdallahi dans son village natal (après trois mois de résidence surveillée au Palais des congrès) n’est pas un gage de bonne volonté. Pourtant, les menaces de sanctions agitées par la communauté internationale n’ont pas officiellement été mises à exécution. « Ce coup d’État a valeur de test, prévient un pourfendeur d’Aziz. Si la communauté internationale ne le sanctionne pas, on continuera à croire que l’on peut prendre le pouvoir impunément par les armes, et il y aura d’autres coups d’État, en Mauritanie et ailleurs en Afrique. »
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