L’Afrique à vendre …
Le groupe sud-coréen Daewoo annonce vouloir produire du maïs sur 1 million d’hectares à Madagascar. Conséquence de la flambée des prix des produits agricoles, les terres arables du continent attisent l’appétit des investisseurs de tous horizons.
Les chiffres donnent le tournis. Le 20 novembre, la multinationale sud-coréenne Daewoo annonçait son intention d’exploiter 1,3 million d’hectares de terres arables à Madagascar. Sur cette superficie plus vaste que la Gambie, Madagascar Future Entreprise, filiale de Daewoo Logistics, envisagerait de consacrer 1 million d’hectares à la production de maïs et 300 000 hectares à l’aménagement de plantations de palmiers à huile. Pour une récolte attendue de 4 millions de tonnes de maïs et 500 000 tonnes d’huile de palme par an.
Disposant d’un bail de 99 ans, Daewoo ne devrait pas payer de fermage à l’État malgache pour l’exploitation de ces terres. En revanche, la multinationale s’est engagée à valoriser les terrains concédés et à réaliser des infrastructures nécessaires. L’investisseur annonce la création de plus de 70 000 emplois grâce à ce projet.
Mais ce que la multinationale présente comme le contrat du siècle n’est pas encore signé, loin de là. Quelques heures après l’annonce faite par les dirigeants de Daewoo, les autorités malgaches niaient être parvenues à un accord avec le géant sud-coréen. « On en est au stade de la prospection », précisait seulement, le 25 novembre, Marius Ratolojanahary, le ministre de la Réforme foncière et de l’Aménagement du territoire, sans s’étendre sur la nature du deal.
Il est vrai que le sujet est éminemment sensible. À Madagascar peut-être plus qu’ailleurs, la « terre des ancêtres » revêt un caractère hautement sacré, et toute intervention politique dans le domaine foncier peut embraser l’opinion. Ainsi, en septembre 2003, la réforme de la loi régissant l’accession à la propriété pour les étrangers, initiée par le président Marc Ravalomanana, a été adoptée à reculons par le Parlement. Et elle demeure très peu appliquée.
Quoi qu’il en soit, le texte ne permet pas à un opérateur étranger d’acquérir plus de 2,5 hectares. Une superficie sans commune mesure avec celle que souhaite cultiver Daewoo sur la Grande Île. Aussi le contrat ébauché avec les autorités malgaches prévoit-il la signature d’un bail emphytéotique de 99 ans, sorte de contrat de concession qui permet à l’État de demeurer propriétaire du sol. De là à y voir une vente déguisée… Aussi contestable qu’elle puisse paraître, « cette disposition ne règle pas le problème pour autant, estime un expert du droit foncier à Madagascar, car un bail ne peut être concédé qu’à partir d’un titre foncier. Or il n’existe aucun titre couvrant une telle surface. »
Au-delà du contrat lui-même, certaines modalités sont susceptibles de déplaire fortement aux Malgaches. Et notamment l’absence de loyer. La firme sud-coréenne annonce que les retombées de son projet pour la Grande Île ne seront pas sonnantes et trébuchantes. En revanche, elle indique vouloir investir pas moins de 6 milliards de dollars sur les vingt prochaines années. Cette somme considérable correspond à la mise en valeur des plantations par la réalisation d’infrastructures, notamment des voies ferrées, des routes, des équipements portuaires, des silos et des bâtiments de stockage. Mais cette mise de fonds, équivalente à plus de 4 600 dollars par hectare, est finalement très élevée compte tenu du retour sur investissement que l’on peut attendre d’une activité agricole.
S’agit-il pour autant d’un partenariat gagnant-gagnant ? « Cela reste à prouver, explique Louis Bockel, spécialiste des politiques agricoles à la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Toutefois, les apports liés à un tel investissement ne doivent pas être minorés. Car la contribution de Daewoo ne se limitera pas aux seules infrastructures. Les paysans malgaches devraient bénéficier de nombreux effets induits par cet investissement, que ce soit en termes de création d’emploi, de fourniture d’intrants agricoles, de mécanisation des exploitations ou de transferts de technologie en général. »
Par ailleurs, « le versement d’une rente annuelle n’est pas forcément la panacée, précise un agronome spécialiste des politiques de sécurité alimentaire. Car ce mode de rétribution facilite les détournements, comme c’est parfois le cas dans les pays pétroliers. Pour Madagascar, le paiement en nature peut s’avérer plus avantageux pour la collectivité. À condition que les termes du contrat soient minutieusement définis en amont. Or, dans ce type de négociations, il est toujours à craindre que les gouvernements concernés se fassent spolier, car ils sont moins outillés que les multinationales pour faire valoir leurs intérêts. »
Intérêts déclarés
En tout cas, les intérêts de Daewoo, eux, sont clairement identifiés. La Corée du Sud, densément peuplée et dépourvue de terres cultivables en suffisance, cherche à Madagascar les champs nécessaires à la sécurisation de ses importations agricoles. Victime en 2008 de la hausse des prix des denrées alimentaires, le pays du Matin calme, qui est aujourd’hui le quatrième importateur mondial de maïs (11 millions de tonnes par an), a décidé de mettre en place une stratégie destinée à assurer ses approvisionnements.
Encouragées par la flambée des prix des produits de base sur les marchés internationaux, un nombre croissant de multinationales investissent ou envisagent d’investir dans l’agriculture, en particulier dans les pays du Sud. C’est-à-dire là où il reste encore des terres disponibles. Et, sur ce plan, l’Afrique a des atouts à faire valoir. « Ce n’est pas un phénomène nouveau, explique-t-on à la FAO. Mais il faut reconnaître que depuis un an celui-ci s’accélère. Et l’on enregistre des montants inédits jusqu’alors. Le projet de Daewoo à Madagascar bat tous les records, mais il est loin d’être le seul investissement de grande ampleur en Afrique. »
Principaux opérateurs intervenant sur ce créneau, les fonds souverains des Émirats arabes unis, d’Arabie saoudite, du Koweït ou du Qatar, qui cherchent à réinvestir sur le long terme les bénéfices faramineux engrangés lors de la flambée des cours pétroliers. Victimes de la déprime de la Bourse, ces investisseurs bien pourvus désertent les places financières pour miser massivement sur le retour à la terre. Et en profitent du même coup pour sécuriser leurs importations alimentaires.
Convergence d’intérêts ?
Le mouvement a commencé en 2007. Depuis, les investissements agricoles issus des monarchies du Golfe ont atteint 50 milliards de dollars. En août dernier, par exemple, trois poids lourds de la finance islamique – Gulf Finance, Al Ihmar et Abu Dhabi Investment House – se sont alliés pour créer un fonds d’investissement agricole, Agricapital, doté de 3 milliards de dollars. L’Arabie et le Qatar ont trouvé au Soudan un régime compréhensif. À la mi-2008, Khartoum avait déjà cédé près de 900 000 hectares de terrains agricoles à des partenaires étrangers, pour un montant global de 670 millions d’euros.
Tout aussi dépendants de l’extérieur pour se nourrir, la Chine, la Corée ou le Japon leur ont emboîté le pas. Ainsi, à proximité de la cité antique de Louxor, la firme nippone Kobe Bussan Co. a acquis en juillet dernier une superficie de 3 000 hectares pour y cultiver épinards, brocolis et autres légumes. Des investisseurs chinois ont déjà pris pied en Ouganda et s’intéressent de près au Cameroun. En Afrique australe, l’Angola figure également sur la liste des nouvelles terres à conquérir. L’ancienne colonie portugaise, autrefois exportatrice de denrées alimentaires, espère relancer son agriculture en concédant de larges domaines à des investisseurs privés. Des opérateurs américains, brésiliens, canadiens et européens ont été sollicités, et certains semblent bien décidés à sauter le pas. C’est notamment le cas du britannique Lonrho, qui envisage de louer 20 000 hectares de terres agricoles à Luanda, et du groupe Chiquita, qui projette d’exporter des bananes d’Angola.
Parmi les autres multinationales très intéressées par l’Afrique, le groupe Danone a annoncé son intention d’installer des fermes géantes pour sécuriser l’approvisionnement en lait de ses usines implantées sur le continent, notamment en Algérie et en Afrique du Sud. Ces investissements sont destinés à faire face à la flambée des prix des produits laitiers, qui a coûté près de 300 millions d’euros au groupe en 2007.
Absents de cette course à la terre, les entrepreneurs africains ne font pas vraiment le poids. Alors que la plupart disposent d’une surface financière limitée, une minorité d’entre eux sont sensibles aux placements à long terme. A fortiori dans un secteur totalement négligé par les États depuis les indépendances. Pourtant, si l’on en croit les analystes financiers, la terre arable vaudra bientôt de l’or. Ne serait-ce que parce que les « surfaces agricoles utiles » ne sont pas extensibles. Alors que la superficie par personne était de 0,32 ha en 1960, elle devrait chuter à 0,12 ha en 2050. Faut-il y voir les prémices d’un néocolonialisme agraire ? Force est de constater que les investisseurs les plus riches disposeront toujours d’arguments imparables pour convaincre les États économiquement faibles. Et que les paysans risquent d’être particulièrement vulnérables face à des intérêts qui les dépassent.
Il est vrai que, si l’Afrique dispose d’un immense potentiel agricole, les capitaux manquent encore cruellement. Alors, faut-il condamner ou encourager les investissements directs étrangers dans l’agriculture, au risque de compromettre l’approvisionnement des marchés locaux ? Compte tenu de l’état de déliquescence des filières agricoles de nombreux pays subsahariens, cette ruée vers la terre peut être une formidable chance, explique-t-on avec circonspection à la FAO. À condition que les contrats soient conclus en toute transparence. Ce qui, de Khartoum à Luanda en passant par Tana, est encore loin d’être gagné.
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