La démocratie à quitte ou double

La campagne pour les élections générales du 7 décembre s’achève dans un climat tendu. Certains redoutent ouvertement un scénario à la kényane. Heureusement, le pire n’est pas sûr.

Publié le 5 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

On s’attendait à ce que les élections générales du 7 décembre au Ghana se traduisent par une consolidation de la démocratie et une accélération du décollage économique. Hélas ! les surenchères de certains des huit candidats à la présidentielle en font un scrutin à hauts risques. À l’approche de l’échéance, la fièvre monte et les menaces se précisent. Elles font craindre sinon le chaos, du moins des lendemains incertains. C’en serait alors fini de la belle histoire de ce pays volontiers donné en exemple à ses voisins. Parce qu’il est revenu de l’abîme par le travail, le sérieux et une certaine rigueur.

La fin de campagne est très tendue. Les services de sécurité annoncent avoir recensé un bon millier de foyers potentiels de troubles violents. Et les organisations de la société civile jugent ces estimations vraisemblables. Les forces de l’ordre sont sur le qui-vive, et l’on en oublie presque qu’il y a deux mois à peine la consultation s’annonçait comme un grand moment de liesse populaire.

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Subjugués par l’élection américaine, les Ghanéens s’étaient mis à singer, avec plus ou moins de bonheur, la campagne de Barack Obama : sites Internet, coûteux meetings orchestrés comme des spectacles, débats télévisés entre les principaux candidats calqués sur le modèle américain (et dans l’ensemble d’assez bon niveau). Même Tamalé, dans le grand Nord, a eu le sien…

Un peu comme l’a fait Bill Clinton pour Obama dans la dernière ligne droite de la campagne américaine, l’ancien président Jerry John Rawlings est allé sur le terrain, fin novembre, pour soutenir son ancien vice-président, le Pr John Atta Mills, du National Democratic Congress (NDC). « Ne commettez pas l’erreur de maintenir le New Patriotic Party [NPP] au pouvoir ! a-t-il lancé à la foule. Une petite poignée de membres du gouvernement sortant amassent des fortunes considérables dont ils jouissent avec leurs familles en ignorant tout des privations auxquelles vous, gens du peuple, êtes confrontés. »

Le Pr Atta Mills ne dit pas autre chose. Le 17 novembre, à Bawku, il a conseillé aux électeurs d’examiner de manière critique les propositions et les pratiques de chaque parti, afin de choisir celui qui se souciera le mieux de leur bien-être. Et de promettre que, s’il arrive au pouvoir, il apportera la prospérité à tous les Ghanéens, quelles que soient leurs sympathies politiques et leurs origines ethniques ou sociales.

De la même façon que les démocrates américains ont tenté de faire endosser à John McCain le bilan de George W. Bush, Rawlings s’efforce de rendre Nana Addo Dankwa Akufo-Addo responsable de celui de John Kufuor et du NPP. Dans le pays profond, ce genre de discours porte. Comme Bill, Jerry rappelle à l’envi que c’est à lui que le pays doit ses meilleures performances économiques. Du coup, Akufo-Addo ne revendique que rarement le bilan de Kufuor, et de manière très sélective.

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D’Esiama, sur la côte atlantique, jusqu’à la lisière du Burkina, les Ghanéens redoutent que l’élection ne se traduise par un fâcheux retour en arrière. Comme s’il était écrit que le candidat du NPP allait forcément gagner et que les vaincus allaient forcément refuser de reconnaître leur défaite. Il y a six mois, certains opposants envisageaient ouvertement, en cas de manipulation des résultats, un scénario à la kényane. Un rapprochement pas franchement rassurant, y compris pour le président Kufuor, qui, en tant que président en exercice de l’Union africaine (à l’époque), a joué les médiateurs dans la crise kényane avant d’être contraint de jeter l’éponge. Comme l’on sait, c’est finalement un autre Ghanéen, Kofi Annan, qui est parvenu à ramener un peu de raison et un fragile équilibre au sommet de l’État, à Nairobi.

Est-ce pour prévenir un tel chaos que l’ancien patron de l’ONU a chargé son centre de recherche sur la prévention des conflits (le Kofi Annan International Peacekeeping Training Centre) d’enquêter sur le terrain, au Ghana ? L’étude publiée par ce dernier est en tout cas franchement alarmiste. Certains se demandent si toute cette agitation n’a pas pour unique but d’exagérer le danger afin de dissuader les fauteurs de troubles potentiels.

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En principe, ce scrutin devrait être à peu près transparent dans la mesure où ni le président ni le vice-président sortants n’y participent. La presse joue normalement son rôle d’analyse du discours des candidats et d’éveil de la conscience des citoyens. Quant à la Commission électorale, elle est de loin l’une des plus crédibles de la sous-région, même si son travail reste perfectible.

Le Ghana n’est pas encore un modèle de démocratie et de développement économique, mais il évolue dans une direction plutôt rassurante. Si elle sort indemne de ces élections, la démocratie aura de bonnes chances de s’y implanter de manière irréversible.

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