Président d’un jour
C’est un petit bouquin bien roboratif. Écrit par un expert britannique du continent, Giles Bolton, et publié sous le titre provocateur d’Africa Doesn’t Matter (« L’Afrique ne compte pas »), il contient un chapitre étonnant intitulé « Président d’un jour ». Bolton y décrit un État fictif, la République d’Uzima (« réalité », en swahili), dont les indicateurs économiques et sociaux sont calculés d’après la moyenne de ceux des quarante-sept pays d’Afrique subsaharienne – Afrique du Sud exclue. Et il imagine que son lecteur, vous en l’occurrence, vient tout juste d’être élu à la tête de cet État. Tout plein de bonnes intentions, vous prononcez devant un auditoire sceptique votre discours d’investiture. Puis, vous passez au briefing. Quel est l’état réel de cet Uzima, dont vous venez de prendre les rênes ?
Il n’est guère brillant, reconnaît le Premier ministre : 15 millions d’habitants, dont 45 % au-dessous du seuil de pauvreté, un revenu annuel par tête de 500 dollars, 47 ans d’espérance de vie et un taux de croissance de la population de 2,2 %, ce qui signifie pour vous un citoyen de plus à gouverner toutes les deux minutes. Penaude, la ministre de la Santé avoue que son budget lui permet à peine de dépenser 20 dollars par Uzimien et par an – contre 7 000 aux États-Unis ! Ses collègues de l’Agriculture, des Transports, de l’Énergie et de l’Éducation sont tout aussi alarmants.
Déterminé à prendre le taureau par les cornes, vous suggérez de procéder à des coupes claires dans le budget de la défense. Pourquoi entretenir une armée coûteuse quand on manque dramatiquement d’hôpitaux, d’écoles et de routes ? Votre conseiller politique roule de gros yeux : impossible, l’Uzima est entouré de quatre voisins instables. Sans sécurité, point d’investissements. Qu’à cela ne tienne : vous allez nettoyer la haute administration, diviser par deux les ministères, faire rendre gorge aux corrompus ! Le même conseiller manque de s’étouffer : vous n’y pensez pas ! Vous ferez autant d’aigris, d’ennemis, de saboteurs, eux, leur famille, leur communauté.
Résigné, vous appelez votre ministre des Finances et vous faites vos comptes. Votre budget global est de 2,5 milliards de dollars, soit 152 dollars à dépenser par an pour chaque Uzimien. 133 en réalité, car le service de la dette est passé par là. Une fois chiffrées vos promesses en matière de santé, d’éducation primaire gratuite, d’accès à l’eau potable, à l’électricité, et de routes asphaltées, vous êtes déjà à moins 2 dollars. Et il vous reste à payer les militaires, les fonctionnaires, la police, les juges, les douaniers, les diplomates, sans compter vos propres frais de fonctionnement. Votre déficit par habitant est de 46 dollars. Où les trouver ? Comme vos prédécesseurs, en mendiant de l’aide auprès des pays riches, susurre le ministre. Or, en ces temps de crise financière, les riches sont de plus en plus pingres et c’est justement le piège que vous vous étiez juré d’éviter. Désespéré, le soir même, vous démissionnez…
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