Difficile reconversion

Cinq ans après la fin de la guerre, le Liberia doit réinsérer plus de 100 000 anciens combattants. Le taux de chômage dépasse les 60 % et l’argent manque pour financer les programmes d’aide. La situation est explosive.

Publié le 4 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Miattah avait 16 ans quand elle a été enrôlée par le Lurd, les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie, une des factions qui combattaient au Liberia dans la seconde vague de violence à la fin des années 1990. « J’étais dans un camp de déplacés avec ma mère, à quelques kilomètres de Monrovia. Les combattants sont arrivés. Le commandant a dit à ma mère que je devais le suivre. Il s’appelait Général Dirty Way (« mauvaises manières »). J’ai servi d’esclave sexuelle puis j’ai pris les armes et j’ai combattu à mon tour. On prenait beaucoup de drogue, j’ai même pris du plaisir à combattre. Et puis on nous avait promis 2 000 dollars américains quand on aurait fait tomber Charles Taylor. On l’a chassé du pouvoir, mais on n’a rien eu. »

Miattah vit dans une petite chambre de 4 m2, elle montre du doigt un paquet de préservatifs qui traîne sur sa table de nuit et, la voix étranglée, explique qu’aujourd’hui pour survivre elle est « obligée de sortir avec toutes sortes d’hommes ».

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Entre 1989 et 2003, dans un état de guerre quasi permanent, le Liberia a été un champ de bataille pour des factions rebelles, recrutant souvent sur des bases ethniques, et dont l’unique but était de prendre la capitale, et donc le pouvoir. Des dizaines de milliers d’enfants ont servi dans les rangs de ces groupes armés. Le Front patriotique de Charles Taylor, le NPFL, a été l’un des premiers à mettre en place des « Small Boys Units », des unités spéciales dirigées et composées d’enfants-soldats.

Prêts à reprendre les armes

À 18 ans, Maurice Vaye était général dans une unité du NPFL et dirigeait 400 combattants. « J’avais trois véhicules personnels et deux épouses. J’ai été l’un des premiers à rendre les armes parce qu’on nous avait promis des formations. J’ai fait un stage de mécanique auto mais, depuis, plus rien. Ils ne m’ont pas aidé à ouvrir un garage et pour le moment c’est la galère. » Celui que les chefs militaires de la rébellion admiraient pour son courage et sa bravoure n’est plus qu’un homme seul, abandonné par ses deux « épouses », et « prêt à reprendre les armes ».

Le Liberia, cinq ans après la fin de la guerre, reste une poudrière. En 2003, 103 000 combattants, hommes, femmes et enfants, ont rendu leurs armes. On leur a donné un pécule, certains ont eu une formation, beaucoup restent aujourd’hui sans emploi dans un pays où le taux de chômage dépasse 60 %. Comme Johnny Mad Dog, le héros du film de Jean-Stéphane Sauvaire, les jeunes Libériens ont combattu en espérant un jour être récompensés. Ils attendaient de l’argent, du travail, une sorte de gloire pour avoir lutté contre l’ennemi, même si souvent les ressorts de cette longue guerre leur échappaient totalement.

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Certains, comme John Paye, recruté à l’âge de 15 ans par Prince Johnson, ont pu refaire leur vie. Le redoutable chef de guerre s’est transformé en paisible commerçant à Bong, dans le centre du pays. Il vend un peu de tout dans sa boutique, mais son principal revenu vient du minerai de fer. Des anciens combattants ont en effet pris le contrôle d’une mine, abandonnée pendant la guerre. Ils vendent le métal à des grossistes qui exportent vers l’Europe, les États-Unis ou l’Asie.

Le gouvernement veut mettre de l’ordre, chasser ces squatters pour attribuer la mine à un opérateur privé. « Avec cette activité, ces jeunes peuvent s’occuper de leur famille. Ils n’ont aucun autre moyen de survivre. Si on leur enlève leur gagne-pain, ils risquent de devenir un danger pour la sécurité nationale », répond Richard Kollie, coordinateur du programme national de réinsertion des combattants.

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Violentes manifestations

Le même problème s’est posé dans les plantations d’hévéa. Des combattants s’y étaient installés et exploitaient des parcelles sans autorisation. « Plusieurs agents de sécurité de la compagnie Firestone ont été tués en essayant de les chasser », rappelle Richard Kollie. Finalement, en 1996, les anciens soldats sont partis et certains sont venus à Bong.

« Les compagnies privées étaient ici avant la guerre. On ne va pas retarder la reprise de leurs activités pour satisfaire des ex-combattants. C’est avec l’argent de ces compagnies que l’on reconstruira ce qui a été détruit par la guerre », souligne le ministre de l’Information, Laurence Bropleh.

L’argent manque en effet, et surtout pour financer les programmes de réinsertion. Plus de 23 000 anciens rebelles attendent toujours une formation, une aide pour retourner à une vie « normale ». Soixante-quinze mille ont déjà bénéficié de programmes, mais quelques semaines de formation ne garantissent pas l’accès à l’emploi.

Selon une étude effectuée récemment par le United States Institute of Peace du Congrès américain, les combat­tants formés et sans travail sont les plus susceptibles de reprendre les armes, ainsi que les femmes qui ont des familles à charge et sont incapables aujourd’hui de faire face.

Certains s’exportent, louant leurs services dans d’autres zones de conflits. Ils l’ont fait en Sierra Leone et plus récemment en Côte d’Ivoire. Sans compter ceux qui, après la guerre, se sont reconvertis dans le banditisme.

Depuis deux mois, de violentes manifestations se multiplient dans le pays. La dernière a eu lieu début novembre à Zwedru, capitale provinciale de Grand Gedeh, dans le sud-est du pays. Armés de gourdins et de pierres, plus de 500 ex-combattants sont descendus dans la rue pour demander un pécule pour leur réintégration. Ils ont pris en otage le responsable régional de la réintégration. Il a fallu le déploiement de la police antiémeutes pour rétablir le calme. Deux semaines plus tôt, à Ganta, dans le nord, ils étaient 300 à prendre la rue, contraignant les commerçants à fermer boutiques. Ellen Johnson-Sirleaf, au pouvoir depuis trois ans, malgré tous ses efforts, reste assise sur une poudrière.

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