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 africaine désespérément

Régions très convoitées, l’Afrique centrale et de l’Ouest verront leur trafic passager augmenter de 10 % par an jusqu’en 2015. Trop petits, trop fragiles, les pavillons nationaux ne peuvent tenir tête aux groupes étrangers. Air Cemac et Asky éviteront-elles les erreurs d’Air Afrique ?

Publié le 4 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Effet Obama ? Le 14 novembre, la compagnie américaine Delta Air Lines a annoncé le lancement d’un vol entre Atlanta, aux États-Unis, et Nairobi, au Kenya, via Dakar, à partir du 3 juin 2009. Les passagers embarqués dans la capitale sénégalaise s’ouvriront 150 destinations aux États-Unis, en Amérique latine et vers les Caraïbes. Les ambitions du groupe américain sont une nouvelle illustration de l’intérêt majeur des compagnies internationales pour l’Afrique de l’Ouest et centrale.

Des ambitions d’autant plus légitimes que la concurrence locale ne brille pas par sa combativité ni par sa capacité à opposer un front de défense puissant et uni. Après Air Afrique, liquidée en août 2001, Nigeria Airways, Ghana Airways, Air Gabon et, tout récemment, la Camair ont alimenté le cimetière des compagnies aériennes africaines, emportant avec elles l’essentiel de leur réseau. « La durée de vie des compagnies aériennes africaines est très brève. Surtout en Afrique de l’Ouest ou centrale, si l’on observe toutes celles qui sont malades ou mortes. Elles disparaissent, font faillite, laissent des ardoises faramineuses. Des nouveaux investisseurs tentent de les relancer, louent deux ou trois avions, et mettent la clé sous la porte à leur tour au bout de un ou deux ans », constate Jacques Courbin, le président du conseil d’administration de l’Asecna, l’organisation chargée de la sécurité et de la navigation aérienne en Afrique subsaharienne francophone.

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À la différence du nord, de l’est et du sud du continent, qui ont su se doter de compagnies dynamiques et agressives, le centre et l’ouest offrent peu de résistance. « Les compagnies ont du mal à exister, poursuit Courbin. Elles ne peuvent résister à la concurrence et au savoir-faire des grandes compagnies internationales. Et elles font preuve de trop de laxisme dans le management. » Par faiblesse, elles se contentent pour l’essentiel des miettes des liaisons intra-africaines dans les deux sous-régions. « La plupart des compagnies aériennes nationales ouest-africaines se sont effondrées. Il y a un vide et un grand besoin de transport dans cette région que nous satisfaisons », justifie Victoria Kaigai, porte-parole de Kenya Airways.

Les européens dominent

De fait, voyager en Afrique centrale et de l’Ouest, c’est d’abord prendre les airs avec des compagnies européennes (Air France/KLM, Lufthansa, British Airways), maghrébines (Royal Air Maroc, Air Algérie, Tunisair ou la libyenne Afriqiyah), très offensives actuellement, d’Afrique de Sud (South Africa Airways) ou de l’est (Ethiopian Airlines, Kenya Airways), et, de plus en plus, à l’avenir, du Golfe (Emirates, Qatar Airways…) ou des États-Unis, qui affichent un intérêt croissant pour la zone. Ce n’est pas un hasard. Selon des projections de Boeing, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest connaîtront jusqu’en 2015 la plus forte croissance du trafic aérien du continent, avec une progression moyenne de 10,5 % par an. Ce qui rejaillit sur les liaisons intercontinentales. « Sur le marché international, les compagnies étrangères, surtout européennes, détiennent plus de 60 % du trafic », précise Délia Bergonzi, directrice générale du cabinet Ectar, spécialisé dans le transport aérien en Afrique. Les compagnies du Golfe, de l’est et du sud du continent se positionnent, elles, pour capter le trafic vers l’Asie. « Si les relations entre l’Afrique et les compagnies occidentales resteront majeures, celles des pays du Golfe veulent capter le trafic vers le Moyen-Orient et l’Asie, qui progresse de 10 % par an », ajoute-t-elle.

En face, les deux sous-régions n’ont presque que des canards boiteux à opposer. Les compagnies locales ne sont pas parvenues à occuper l’espace laissé vide par Air Afrique. Par orgueil, la plupart des États ont relancé leur pavillon national. Et décidé de faire de l’aéroport de leur capitale un hub, une plate-forme de correspondances permettant aux passagers internationaux de poursuivre simplement leur voyage vers une destination régionale. En Europe, les trois grandes compagnies ont en effet chacune leur hub : Paris (Air France), Londres (British Airways) et Francfort (Lufthansa). Abidjan, Dakar, Libreville et Yaoundé, par exemple, n’auront jamais un trafic similaire. Leurs marchés sont trop étroits pour être de vrais hubs, leurs compagnies trop petites et peu profitables, d’autant moins que les coûts fixes augmentent (sécurité, maintenance, droits de trafic avec les pays voisins…). « La fuite des cerveaux est un autre très grave problème. Les compagnies du Moyen-Orient pillent les ressources du continent en termes de pilotes et de personnel navigant », alerte Délia Bergonzi.

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Résultat ? Les compagnies locales vivotent. Air Burkina, rachetée en 2001 par le groupe Aga Khan, via le Fonds Aga Khan pour le développement économique (Akfed) et Industrial Promotion Services (IPS), affichera un déficit de « plusieurs millions de dollars » pour 2008, selon son directeur, le Tunisien Mohamed Ghelala. Pour lui, la concurrence d’Air France/KLM pèse lourdement sur l’exploitation. Pour survivre, Air Burkina recherche des économies d’échelle (ouverture de nouvelles lignes, échanges de pilotes…) au sein du groupe Celestair, qui englobe les activités aériennes du groupe de l’Aga Khan, avec la Compagnie aérienne du Mali (CAM) et Air Ouganda. Et se recentre sur l’Afrique centrale (liaisons vers Pointe-Noire, Libreville et Douala en 2009).

Mêmes difficultés financières pour Air Sénégal international (ASI). L’accord avec RAM pourrait s’achever en décembre. Fait troublant, la représentation d’ASI à Paris devrait être fermée d’ici à la fin de l’année pour être intégrée dans le réseau de la compagnie marocaine. Guère plus flamboyante, la nouvelle Air Ivoire amorce une sortie timide de la zone de turbulences (voir encadré), malgré des dettes cumulées de plus de 7 milliards de F CFA (10 millions d’euros) à la fin de juillet.

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La fin des petits acteurs

« À terme, les petites compagnies nationales ne sont pas viables, note Délia Bergonzi. Le seul moyen d’avoir une compagnie pérenne et solide, c’est de mettre en commun des moyens et d’atteindre la taille critique grâce à la création de compagnies régionales. » Or la constellation de compagnies nationales bancales freine leur émergence. Passée relativement inaperçue, toutefois, la réunion du Conseil des ministres chargés de l’aviation civile des États de l’Afrique de l’Ouest et centrale, qui s’est tenue à Accra les 6 et 7 novembre, a adopté une résolution visant à faciliter l’exploitation de deux nouvelles compagnies aériennes régionales : Air Cemac (Centre) et Asky (Ouest). À cette occasion, la première s’est vu accorder les droits de trafic de chacun des États membres de la Cemac. « Il faudrait s’inspirer de l’exemple tragique d’Air Afrique et faire exactement le contraire pour bâtir un outil de gestion rationnel, professionnel et le plus transparent possible pour que les actionnaires ne se réservent pas des passe-droits. Les États devront s’interdire toute ingérence et trouver un moyen pour que l’offre et la demande se rencontrent en augmentant le pouvoir d’achat et en aidant à diminuer les coûts d’exploitation des compagnies. Sinon, le taxi-brousse aura encore de beaux jours devant lui », ironise Jacques Courbin.

Le projet pour l’Afrique centrale est le plus avancé. Il représente un investissement de 40 milliards de F CFA (80 millions de dollars). Les États de la sous-région ont sécurisé 30 % du capital. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) porte la part des institutions de la Cemac (15 % du capital). Après la rupture d’un projet de collaboration avec la RAM, South African Airways tiendrait la corde pour prendre 40 % du capital. Enfin, les promoteurs d’Air Cemac ont approché des investisseurs privés pour les 15 % restants. Le tour de table pourrait être bouclé avant la fin de l’année pour un lancement en 2009. « Il est primordial que ce projet démarre car le ciel d’Afrique centrale est quasiment vide, lance Anicet Dologuélé, le président de la BDEAC. C’est un secteur compliqué parce qu’il faut être solide financièrement au départ, établir une bonne gouvernance, verrouiller le fonctionnement, équilibrer les comptes pour sécuriser la pérennité de l’entreprise. Il faut à tout prix démarrer en évitant les problèmes qui ont fait couler les autres compagnies. »

À l’Ouest, Asky, présenté comme un projet à 100 % privé, doit mobiliser 200 millions de dollars pour un démarrage repoussé à la mi-2010. Ethiopian Airlines (20 % du capital) sera le partenaire technique. Le 15 septembre, le cabinet Ernst & Young et Ecobank Development Corporation ont été chargés de ratisser les investisseurs privés pour lancer la première compagnie aérienne régionale privée qui veut desservir toute l’Afrique subsaharienne francophone. Mais si ces projets parviennent à décoller, n’arriveront-ils pas trop tard ? « Emirates n’existait pas il y a dix ans », lance avec optimisme Jacques Courbin.

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