Les jeunes de Conakry sont-ils manipulés ?

Pillages, incendies, affrontements avec la police… les émeutes qui paralysent fréquemment la capitale illustrent le désarroi d’une jeunesse déçue par ses dirigeants. Reste à savoir à qui profite cette violence.

Publié le 2 décembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Ils tiennent la Guinée en otage, bloquent le pays à leur guise, hantent le sommeil du gouvernement… Ceux qu’on appelle aujourd’hui communément à Conakry « les jeunes de banlieue » paralysent la capitale. Au grand dam du Premier ministre, Ahmed Tidiane Souaré, qui, à bout de patience, est sorti de sa réserve, le 11 novembre : « Les vaillantes populations guinéennes, celle de Conakry en particulier, ont vécu de récurrentes atteintes à leur droit naturel à la quiétude, engendrées par de multiples revendications catégorielles et sectorielles, qui se sont souvent exprimées par des pulsions violentes aux conséquences néfastes pour la paix sociale et la poursuite d’une vie normale dans nos cités. »

Le Premier ministre s’exprimait après trois journées de troubles. Les 3 et 4 novembre, puis le 10 novembre, des centaines de jeunes armés de pierres, de bouteilles et de bâtons ont investi les grandes artères de Conakry, érigé des barricades, brûlé des pneus, empêché toute circulation… Ils ont coupé la capitale en deux, avec, d’un côté, la commune de Dixinn, qui mène à Kaloum, le quartier administratif et des affaires, et, de l’autre, Hamdallaye, point de passage obligé vers Taouyah, Kipé, Kaporo, Nongo… Certains ministres qui habitent dans ces deux derniers quartiers – résidentiels – ont été contraints de rester à leur domicile. Bilan de ces derniers soulèvements : trois morts, dont un policier ; trois journées de quasi-ville morte ; des véhicules calcinés ; de multiples atteintes aux personnes et aux biens ; des stations-service et des habitations saccagées…

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Depuis l’insurrection populaire des mois de janvier et de février 2007, qui s’est soldée par 120 morts et la chute du gouvernement, la Guinée est le théâtre à intervalles réguliers de ce type de convulsions. Si la dernière entendait riposter à la baisse jugée trop faible du prix de l’essence – réduite par le gouvernement de 7 000 à 5 500 francs guinéens (FG ; 1 euro = 6 200 FG) le litre, pour tenir compte de la baisse du prix du baril de pétrole –, tout est désormais prétexte à l’escalade de la violence.

De « Bagdad » à « peshawar » En cause : une jeunesse impatiente qui attend toujours de percevoir les effets de la « révolution » de début 2007 sur son quotidien. Après avoir bravé les balles des militaires pour renverser un gouvernement dans lequel elle voyait la source de tous ses maux, elle est toujours privée d’emplois, d’eau courante, d’électricité, d’espoir… Les « jeunes de banlieue » qui enflamment Conakry sont désœuvrés, peu ou pas formés, issus des familles paupérisées qui peuplent les bidonvilles bondés et insalubres de la ville, le long de la Transversale 2. Généralement peuls, leurs parents ont quitté les bourgs du Fouta (Labé, Mamou, Dalaba, Tougué, etc.) pour s’installer progressivement à la périphérie de la capitale, dans les quartiers défavorisés de Hamdallaye, Bambéto, Cosa, Wanindara, Enco 5…

Âgés entre 15 et 30 ans, ils ont rebaptisé leurs quartiers « Bagdad », « Peshawar », « Intifada »… De plus en plus organisés – ils communiquent par SMS pour coordonner des actions de moins en moins spontanées –, ils disposent même d’armes à feu arrachées aux forces de l’ordre au cours des événements de début 2007 ou acquises au marché noir dans un pays où se sont répandus ces engins mortels depuis les guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone au début des années 1990. De plus en plus dangereux, ils identifient, au cours de leurs manifestations, tout élément des forces de l’ordre qui use de son arme, le prennent en filature pour déterminer où se trouve son domicile et, parfois, s’y rendent la nuit pour l’exécuter froidement. De plus en plus politisés, certains ont été récupérés par Mamadou Bilo Barry, président des jeunes de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR, présidée par Ousmane Bah), et tête de file des jeunes de Bambéto, quartier d’où partent la plupart des manifestations.

D’autres, plus exaltés, disent puiser dans le Coran la justification de leur « combat ». La motivation première reste toutefois plus matérielle. Les manifestants ont ainsi réclamé une « consolation » sonnante et trébuchante au ministre de la Sécurité, Morifing Diané, parti à leur rencontre le 5 novembre pour négocier un cessez-le-feu… Le 11 novembre, le Premier ministre a montré du doigt « ceux qui achètent les services d’une partie de la jeunesse pour semer la violence, le désordre et la désolation ». L’agitation peut profiter à tant de personnes, leaders de l’opposition ou même membres du camp présidentiel qui espèrent revenir aux affaires, qu’il est risqué de dire qui, aujourd’hui, contrôle réellement la rue.

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