Cuisine et marketing

Publié le 1 décembre 2008 Lecture : 2 minutes.

L’un des meilleurs ambassadeurs d’un pays, c’est sa cuisine. Si on aime d’instinct les Italiens, ce n’est pas seulement à cause de Venise ou des milliers de monuments historiques parsemés dans la péninsule, c’est surtout grâce aux pâtes et aux pizzas. Et si la Thaïlande est devenue à la mode, c’est pour ce qu’elle propose aux palais gourmands, et non à cause des œuvres complètes du grand écrivain X (vous en connaissez, vous, des écrivains thaïs ?).

Donc, le meilleur ambassadeur d’un pays, c’est sa cuisine. À cette aune-là, nous autres Marocains n’avons eu dans le Benelux, pendant des années, que l’équivalent diplomatique du néant. Pendant des décennies : rien. Il y avait bien des restaurants qui prétendaient s’appeler « Marrakech » ou « Les délices de Nador », mais c’était la Bérézina dès qu’on prenait place parmi les poufs. La première génération d’immigrants en provenance du Maroc se composait de rudes montagnards, sobres et travailleurs, qui avaient quitté leur village natal justement parce qu’ils n’arrivaient pas à y faire bouillir la marmite. Leurs enfants non plus n’étaient pas très calés en cuisine, et quand ils ouvrirent des restos, dans les années 1980, ils y proposèrent des… pizzas. Parfois, il y avait aussi dans le menu une soupe atroce, de couleur orange, qualifiée abusivement de harira ainsi que quelques méchantes sardines de la mer du Nord, baignant encore dans leur huile de vidange, et pourvues de faux papiers d’identité (« sardines d’Essaouira ») pour abuser le client.

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C’était l’époque où mes collègues, pris de pitié, me proposaient parfois de manger chez eux pour échapper à cette cuisine indigente qu’ils croyaient être la mienne. J’avais beau leur expliquer que la vraie table marocaine était riche, goûteuse et raffinée, ils hochaient la tête en pensant : « Le pauvre, il délire, c’est la folie des grandeurs. »

Et puis le vent a tourné, d’autres Marocains se sont installés dans le Benelux, en provenance des villes millénaires et des plaines prospères. Et voilà qu’on commence à bien manger dans cette partie de l’Europe. Le bouche-à-oreille fonctionne, ou plutôt le bouche-à-estomac. Du coup, à Liège ou à Maastricht, on regarde d’un autre œil ces étrangers qui les régalent. Le Maroc commence à prendre les traits d’une civilisation qu’il n’est pas interdit d’apprécier.

La seule chose qui manque encore à ces ambassadeurs des fourneaux, c’est le sens du marketing. La preuve : l’un des meilleurs restaurants marocains, le plus authentique, le plus traditionnel s’appelle… Paloma Blanca (publicité gratuite). Paloma Blanca ! Qu’est-ce qui leur a pris ? L’Européen y mange divinement et s’en va raconter que la cuisine espagnole est encore plus délicieuse qu’on ne le croit. Je passe mon temps à rectifier : Paloma Blanca, non, non, c’est nous, c’est pas les Espagnols ! Parce qu’il fournit une pitance savoureuse, le chef s’est pris pour un grand communicant. Il a dû se payer une séance de brainstorming d’enfer, tout seul dans ses casseroles, avant d’arriver à ce nom qu’il croit être très beau : Paloma Blanca. Mais non, mais non ! Il fallait choisir « l’hmama l’beïda », en marocain dialectal ; ou, à la rigueur, « Le Pigeon Blanc », en flamand : De Witte Duif ! Et tant pis pour les mauvais esprits qui passeraient leur chemin en se disant : je ne tiens pas à me faire pigeonner…  

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