Marchés agricoles
 Les prix baissent,
les problèmes demeurent

Relancée en urgence après le choc alimentaire du début de l’année, voilà l’agriculture africaine frappée par l’effondrement soudain des cours des céréales, qui ruine les efforts des exploitants. La « révolution verte » n’a-t-elle vécu qu’un semestre ?

Publié le 1 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Pris à la gorge par la flambée des prix des denrées alimentaires ces derniers mois, les consommateurs commencent enfin à souffler. « Le prix du sac de 50 kg de riz a baissé de près de 10 000 F CFA (15 euros) depuis mars, à moins de 20 000 F CFA actuellement », explique Bernard Njonga, directeur de publication de La Voix du paysan au Cameroun. Au Burkina, les filets des ménagères sont aussi mieux garnis avec le même budget. Au Niger et au Togo, les céréales ont baissé sur les marchés locaux. Au Sénégal, le prix de l’oignon reste stable à 400 F CFA le kilo. Mais c’est en partie la faute des intermédiaires car le paysan cède son produit entre 50 et 100 F CFA.

Au Maroc, les industriels ont promis une diminution du prix de l’huile de table, à partir de janvier 2009, en raison de la chute des cours du soja. « La répercussion de cette baisse ne saurait s’effectuer de manière instantanée en raison du circuit logistique et des stocks de sécurité alimentaire, qui représentent trois mois de consommation », explique un industriel. En Algérie, le ministre des Finances, Karim Djoudi, prévoit une baisse de la facture d’importation qui permettra de réduire les subventions publiques de soutien à l’achat du pain, du riz et de la semoule. En Tunisie, l’une des plus grandes enseignes d’hypermarchés du pays vante ses efforts en matière de réduction des prix. À la Bourse agricole de Chicago, le riz, le blé, le soja, le maïs perdent leurs couleurs. Une chute de 150 dollars pour les cours du blé tendre sur les trois derniers mois. AIG Fund, en pleine déroute financière, liquide ses matières premières. « Les fonds communs de placement ont vendu plus des deux tiers de leurs positions entre février et octobre. On revient aux valeurs d’avant la crise de mars », explique Xavier Rousselin, de l’Office interprofessionnel des grandes cultures en France.

la suite après cette publicité

Un retournement spectaculaire du marché également lié à la hausse attendue des récoltes, qui relance les exportations alors que plusieurs pays, particulièrement en Asie, mais aussi l’Égypte, avaient instauré des taxes ou carrément interdit les ventes à destination de l’étranger. La météo a été particulièrement clémente chez les principaux exportateurs de céréales que sont de loin les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Europe, la Russie et l’Argentine. L’an passé, la sécheresse avait notamment décimé la moitié de la production de blé australienne. Selon la FAO, la production céréalière mondiale devrait atteindre 2,24 milliards de tonnes en 2008-2009, en progression de 5,3 %, dont 450 millions de tonnes pour le riz. En Afrique, la récolte augmentera de 8 %, à 152,8 millions de tonnes. Elle progresse de 10 % en Afrique du Nord (34,4 millions de tonnes), de 7 % en Afrique de l’Ouest (54,6 millions), de 3 % en Afrique centrale (3,5 millions), de 21 % en Afrique australe (28,4 millions), et accuse un fléchissement de 1,3 % en Afrique de l’Est (31,9 millions). Mais elle ne couvre toujours pas la demande. Patricio Méndez del Villar, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et auteur du Rapport mensuel du marché mondial du riz, prévoit une hausse des importations de cette céréale en Afrique à 10 millions de tonnes en 2008, contre 9,8 millions en 2007. « Les traders africains recherchent du riz bon marché d’origine vietnamienne et pakistanaise », ajoute le chercheur. Ils veulent bénéficier des prix très bas pratiqués par les armateurs pour remplir leurs bateaux et faire face au ralentissement du commerce mondial.

RETOUR DES IMPORTATIONS

Des prix en baisse, une demande couverte… Dans les cabinets ministériels, c’est le soulagement. Le spectre des émeutes de la faim s’éloigne et, avec lui, les coûteuses mesures qu’il avait fallu prendre pour contenir la hausse des prix. Revers de la médaille, le retour en grâce des importations « bon marché » risque de dissuader les États de poursuivre leurs efforts naissants destinés à relancer les productions locales. « Les riz malien et sénégalais devenaient compétitifs. La baisse des cours pourrait contribuer à renforcer la dépendance alimentaire et énergétique », avertit Jean-Marc Gravellini, directeur Afrique à l’Agence française de développement (AFD). Autre risque : une remise en cause des projets de développement confiés à des entreprises chinoises, qui sont gagés sur les recettes liées aux matières premières.

Dès mars dernier, les pays africains ont abaissé leurs droits de douane sur les produits alimentaires ou mis en place des subventions avant de relancer les activités agricoles. Donations d’engrais et de semences, déblocage de crédits, révision de l’encadrement, toutes les mesures ont été essayées pour faire face au déficit. Réunis en juin au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les chefs d’État ont promis 30 milliards de dollars par an pour la relance de la production. L’ancien secrétaire général de l’ONU, le Ghanéen Kofi Annan, a même pris la tête de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique, destinée à accroître les récoltes d’un bout à l’autre du continent en utilisant massivement engrais et semences. Cinq mois plus tard, c’est la désillusion. Moins de 10 % de l’enveloppe promise ont été versés et la crise financière ne permet pas d’être optimiste alors que les pays du Sud s’attendent à une baisse de l’aide publique au développement. La question sera au centre des débats de la 35e conférence ministérielle de la FAO, qui se tient à Rome du 18 au 22 novembre. Son directeur général, le Sénégalais Jacques Diouf, vivement critiqué en début d’année pour le manque d’initiatives de l’institution, a retenu la leçon. Dans un message de félicitations adressé au sénateur Obama au lendemain de son élection, il a invité le nouveau président des États-Unis à assumer dès 2009 « un rôle de chef de file dans l’organisation d’un Sommet mondial sur la sécurité alimentaire ». Alexandre Vilgrain, patron des Grands Moulins de Paris, dont les filiales sont très présentes dans la minoterie et l’industrie sucrière en Afrique, se veut plus concret : « Les financiers comme Lehman Brothers ont profondément perturbé les marchés céréaliers en spéculant à la hausse. La dérégulation a engendré une catastrophe et ce sont ceux qui font correctement leur boulot qui payent l’addition. J’espère que l’on se dirige vers un meilleur encadrement mondial. »

la suite après cette publicité

comment Maintenir l’effort

« Il faut annuler au plus vite les mesures fiscales de dédouanement des importations de produits alimentaires pour protéger nos paysans », estime, pour sa part, le Camerounais Bernard Njonga. Objectif : ne pas retomber en 2009-2010 dans les mêmes travers avec une demande largement insatisfaite. À l’image de certains agriculteurs européens, qui, par manque de visibilité, ont déjà choisi de remplacer une partie de leur culture de blé par une production moins onéreuse en intrants, comme les herbes fourragères.

la suite après cette publicité

D’autres ont joué la carte de la mixité en ajoutant du pois et de la féverole au blé, une pratique moins coûteuse en herbicides. Au Burkina, les représentants des planteurs sont également inquiets. « L’État a pris des mesures pour soutenir les prix à la consommation, il doit maintenant aider les producteurs exposés à la chute des cours », indique Bassiaka Dao, président de la Confédération paysanne du Faso (CPF). L’organisation réclame la fixation d’un prix minimum garanti pour le riz et les céréales sèches. Au Niger, les autorités ont récemment débloqué 11 milliards de F CFA pour racheter tout le stock de niébé détenu par les paysans. Au Togo, le gouvernement a demandé que les négociants achètent le sac de maïs de 100 kg au prix minimum de 14 000 F CFA.

« Si les producteurs sont mal rémunérés, on peut craindre une nouvelle flambée des prix en 2009-2010, prévient Concepcion Calpe, économiste à la FAO. Cela déclencherait une crise alimentaire encore plus grave que celle que nous venons de vivre. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires