La belle romaine

L’antique cité de Volubilis et les abords de la ville impériale de Meknès, par leur patrimoine architectural et naturel, symbolisent l’histoire partagée des peuples méditerranéens.

Publié le 1 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Si on rêve assez fort, il paraît qu’il est encore possible, au petit matin, de voir les anciens habitants de Volubilis vaquer à leurs occupations comme il y a deux mille ans… Cette légende, entretenue par quelques passionnés, reste troublante pour celui qui a la chance de se promener, à l’aube, au milieu des vestiges de l’ancienne cité romaine, à 30 km au nord de Meknès. Quand la lumière du levant joue avec les murs de pierre, les colonnes élancées et le majestueux arc de triomphe, l’endroit semble s’animer d’une vie nouvelle. Témoin privilégié de ce spectacle, Mohammed Makdoun a dédié la sienne à Volubilis.

« Ce fut l’un des plus gros centres urbains de la Méditerranée antique, explique cet historien et archéologue, arpentant une ancienne voie romaine bordée des restes de riches demeures aux péristyles soigneusement ordonnés. Du temps de sa splendeur, elle s’étendait sur 40 ha et était protégée par une enceinte de 2,7 km. »

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Si quelques pierres polies retrouvées sur le site laissent supposer une présence humaine dès le néolithique, le premier noyau urbain remonte au IIIe siècle avant J.-C. La ville se développe ensuite sous l’influence des rois maurétaniens – qui en font leur capitale –, et de Carthaginois qui viennent y trouver refuge après la chute de leur cité. « Mais c’est du temps des Romains que Volubilis connaît son heure de gloire, poursuit Mohammed Makdoun. En 42 après J.-C., l’empire annexe le royaume de Maurétanie Tingitane, déjà sous protectorat romain. Volubilis devient alors capitale régionale de l’administration romaine. »

Fruit d’un brassage des cultures entre les Romains et les Maurétaniens, la ville de Volubilis abritait également des Grecs d’Asie mineure, des Juifs de Palestine et quelques Européens. De ce mélange est née la richesse architecturale et artisanale qui fait de Volubilis un site unique en son genre.

Au cœur des influences

Berceau de plusieurs civilisations, la cité accueillera, au VIIe siècle, la première dynastie marocaine. C’est ici que Idriss Ier, premier sultan du Maroc, installera sa capitale, avant de construire sa propre ville, à 3 km au nord-ouest : l’actuel Moulay Idriss. Ce site, perché sur les flancs du Zerhoun, abrite toujours le mausolée de celui que l’on considère comme le fondateur du pays.

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« Volubilis c’est aussi un patrimoine naturel hors du commun, ajoute El Hadi Khriss, inspecteur régional des monuments et sites historiques. Le climat et l’environnement de la région de Meknès n’ont pas beaucoup changé depuis la préhistoire. » Les cultures maraîchères le long des oueds et les champs de céréales dans les plaines existaient déjà du temps des Romains. Les pressoirs retrouvés sur le site témoignent que la région était déjà, au début de notre ère, une terre privilégiée pour l’olive, mais aussi pour la vigne, qui s’épanouit à merveille au pied des contreforts de l’Atlas. Ce terroir d’exception, qui a fait la fortune de Volubilis à l’Antiquité, nourrit encore la région. En témoignent les milliers d’hectares de vignobles et d’oliviers qui s’étendent à perte de vue dans les environs. Entre les gigantesques exploitations du Français Castel et des Celliers de Meknès – premier groupe viticole du pays et propriété de Brahim Zniber, l’une des plus grandes fortunes du royaume –, cette terre a récemment attiré des viticulteurs du Bordelais.

Les traditions viticoles et oléicoles

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Avec ses quelque 70 ha de vignes et d’oliviers, leur domaine de la Zouina paraît bien modeste face aux deux mastodontes de la viticulture marocaine. Mais il a déjà réussi à se faire remarquer. Son huile d’olive a été élue meilleure du monde par un guide italien spécialisé. Quant à son vin, il s’arrache aujourd’hui dans les lounge-bars de Marrakech et les restaurants de Casablanca. Qu’il s’agisse d’huile ou de dive bouteille, la marque reste la même : Volubilia. « On a voulu perpétuer cette tradition d’il y a deux mille ans », explique Christophe Gribelin, administrateur du domaine.

Bien entendu, islam et vignes n’ont pas toujours fait bon ménage. Néanmoins, Almoravides et Almohades n’ont pas réussi à empêcher sa culture. Les Berbères montagnards ont obtenu, après leur islamisation, l’autorisation exceptionnelle de boire du vin jusqu’au XVIIe siècle. Cette culture s’est ensuite perdue jusqu’au protectorat. Pour Meknès, ce fut alors la grande époque des « vins médecins ». Exportés par bateaux dans d’énormes cuves, ils venaient rallonger et donner de la teneur aux productions du sud de la France.

À l’époque, l’ancien Versailles du Maroc – baptisé ainsi du temps de Moulay Ismaïl, qui fit de Meknès la majestueuse capitale de son empire, en 1672 – renoue avec son faste d’antan. Et, il n’y a pas si longtemps, « on l’appelait le Petit Paris, se souvient, nostalgique, Roger Buatois, un Français installé ici depuis 1946. Plusieurs cabarets recevaient des artistes du monde entier. Joséphine Baker, Brel, Aznavour… Ils ont tous chanté à Meknès ! »

Et, derrière les remparts de Moulay Ismaïl, ses portes magiques, ses médersas et ses palais, subsiste un patrimoine souvent délaissé par les touristes. Comme le cinéma Caméra, qui semble figé après une séance de 1938. Sans oublier l’incroyable Poste, qui passe pour être la plus grande d’Afrique de l’époque coloniale… Autant de témoignages d’un passé, parfois douloureux, qui, si l’on n’y prend garde, risquent de disparaître à la merci des promoteurs immobiliers. « Ça aussi, c’est notre passé, conclut Mohamed Khoukhchani, journaliste à Al Bayane et passionné de Meknès. C’est dommage de le voir remplacé par des bâtiments sans âme… »

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