Blue Card contre Green Card

L’Union européenne s’apprête à créer, sur le modèle américain, une sorte de permis de séjour avantageux destiné à attirer les « cerveaux » du monde entier.

Publié le 1 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Bientôt le symbole d’un « rêve européen » ? Au cours de la première quinzaine du mois de décembre, les vingt-sept membres de l’Union européenne devraient entériner la création d’une « Carte bleue » à l’intention des travailleurs migrants les plus qualifiés. Inspirée de la Carte verte américaine, cette précieuse Green Card, notamment délivrée par loterie à quelque 55 000 heureux lauréats chaque année, la Blue Card a été conçue comme un permis de séjour avantageux destiné à attirer en Europe les « cerveaux » du monde entier.

Selon le projet du Conseil de l’UE, sur lequel le Parlement européen rendra un avis fin novembre, elle entrerait en vigueur en 2011 et disposerait d’une validité de un à quatre ans, à l’appréciation du pays d’accueil. Elle serait en outre renouvelable et délivrée dans un délai relativement bref (quatre-vingt-dix jours). Son titulaire devrait bénéficier des mêmes droits sociaux que les ressortissants du pays où il s’installe, d’un regroupement familial dans les six mois, d’un statut de résident de longue durée au bout de cinq ans et, surtout, de la possibilité de travailler dans un autre pays de l’Union au bout de dix-huit mois.

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Critères contraignants

Les migrants très qualifiés originaires des pays en développement sont évidemment les premiers concernés par le précieux sésame. Le demandeur devra répondre à toute une série de critères très contraignants. En déposant son dossier à l’ambassade du pays où il souhaite se rendre, il devra prouver qu’il dispose d’un diplôme au moins égal au baccalauréat, ou d’une expérience professionnelle dans un emploi de haut niveau d’au moins cinq ans ; fournir une copie d’un contrat de travail (ou d’une promesse d’embauche) d’une durée égale ou supérieure à un an ; et prouver qu’il touchera un salaire annuel brut d’un montant au moins 1,5 fois supérieur à la moyenne de son pays d’accueil (1,2 fois dans les secteurs où les besoins en main-d’œuvre sont importants). Enfin, en cas de chômage pendant la durée de validité de sa Carte bleue, le titulaire ne disposera que d’un délai de trois mois pour retrouver un emploi du même type, faute de quoi il sera expulsé.

Pour Bruxelles, la création de cette carte répond à deux impératifs :

1. rajeunir une population vieillissante en vue de pérenniser le modèle social européen ;

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2. attirer davantage de médecins, d’infirmières, d’ingénieurs et d’informaticiens qui ont tendance à « snober » l’UE.

Selon différentes projections, un tiers des Européens aura en effet plus de 65 ans en 2050. Ce qui signifie que chaque retraité ne sera plus, à cette date, financé que par deux actifs, contre quatre actuellement. En outre, 55 % des immigrés titulaires d’un diplôme universitaire qui décident de quitter leur pays souhaitent aujourd’hui se rendre aux États-Unis, et seulement 5 % en Europe. Celle-ci accueille en revanche 85 % des migrants qui n’ont pas fait d’études supérieures.

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En Australie, au Canada, aux États-Unis et en Suisse, les immigrés à forte valeur ajoutée représentent respectivement 9,9 %, 7,3 %, 3,2 % et 5,3 % de la population active, contre 1,72 % dans l’UE. Cette distorsion est la conséquence de « l’existence de vingt-sept systèmes d’admission différents, tous à peu près illisibles, ne permettant pas aux travailleurs de se déplacer librement et qui limitaient les possibilités de regroupement familial », expliquait récemment la députée européenne Ewa Klamt (PPE, Allemagne), rapporteur du projet au Parlement.

Reste que la Carte bleue européenne a peu de chances de concurrencer sa grande sœur américaine. Les conditions d’accès au Vieux Continent qu’elle impose sont sensiblement moins intéressantes et administrativement beaucoup plus lourdes. Alors que la Carte verte est un passe qui donne accès à cinquante États pendant dix ans, sans restriction, la Carte bleue n’est valide que dans un seul État membre à la fois, elle n’autorise à exercer qu’une seule et unique activité précisément définie et exclut la liberté de mouvement sur le marché unique européen. En outre, chaque gouvernement se réserve le droit de l’octroyer en fonction de la situation de son propre marché de l’emploi et des quotas d’étrangers qu’il s’est fixés. « Dans les faits, nous nous dirigeons vers la mise en place non pas d’une, mais de vingt-sept Blue Card, chaque État étant libre de la délivrer ou pas. Trop nationale, elle va perdre de son attractivité », déplore Marco Cilento, conseiller à la Confédération européenne des syndicats (CES).

Toutes ces restrictions sont largement la conséquence de la procédure retenue pour l’adoption de cette directive, qui devra être votée par les Vingt-Sept à l’unanimité. Pour trouver un compromis, le projet a déjà été plusieurs fois amendé, les États membres rechignant à renoncer à la moindre de leurs prérogatives en matière d’immigration. Les pays d’Europe centrale et orientale, par exemple, y sont carrément hostiles tant que leurs ressortissants ne pourront avoir librement accès au marché du travail européen, notamment allemand. L’Allemagne, pour sa part, n’a pas vu d’un très bon œil ce projet beaucoup plus libéral que la réglementation sur l’immigration qu’elle mettait au point au même moment.

Pour compenser ses faiblesses, la Carte bleue européenne aurait pu mettre en place un dispositif éthique ou solidaire, mais tel n’est pas le cas. Alors qu’elle est accusée (comme d’ailleurs la Green Card) d’encourager la fuite des cerveaux, aucune logistique d’accueil commune n’est prévue pour recevoir décemment ses titulaires. D’autre part, aucune contrepartie financière ni aucun mécanisme d’incitation au retour ne sont prévus pour dédommager les pays d’origine.

« Peut-être faudrait-il mettre en place un système de codéveloppement, mais l’Europe ne peut pas tout faire ! » estime l’eurodéputé Patrick Gaubert (PPE, France), par ailleurs président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). « Les pays de départ devraient être ravis que leurs ressortissants acquièrent de l’expérience à l’étranger. Et c’est aussi leur rôle de s’assurer que leurs compatriotes puissent, à leur retour, travailler dans de bonnes conditions. Or, à ce jour, les médecins et les ingénieurs que nous accueillons ne veulent pas rentrer chez eux, parce qu’ils ne peuvent y travailler avec le matériel sur lequel nous les formons. Si bien que lorsqu’on leur demande de partir, ils ne s’envolent pas pour l’Afrique, mais pour les États-Unis ! » Le rêve américain, â¨décidément…

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