Le réseau électrique prend une nouvelle dimension
Pour lutter contre les délestages et faire baisser les coûts, le continent développe de grands programmes de liaisons interrégionales.
Électricité : le paradoxe africain
Lentement mais sûrement, une gigantesque toile d’araignée s’étend sur l’Afrique. Voeu pieux il y a cinq ans, l’interconnexion électrique entre pays est en passe de devenir réalité. On est encore loin des échanges instantanés réalisés entre les pays européens qui permettent d’assurer un prix compétitif de l’électricité et de sécuriser le réseau par des secours mutuels. Mais la tendance est là. Et heureusement. Selon la Banque mondiale, seul un gros quart des ménages a accès à l’électricité en Afrique subsaharienne, cette proportion tombant à 10 % dans les zones rurales. « Elle paie cette pénurie par une perte de croissance de 1 à 3 points », affirme Lionel Taccoen, président de l’ONG Global Electrification.
Croissance
Les rapports décrivant les dégâts causés dans les entreprises et le commerce par les coupures électriques sont légion. « Permettre le développement du secteur privé via la baisse des coûts de l’énergie est l’un des grands enjeux de ces interconnexions », confirme Zakou Amadou, expert en énergie à la Banque africaine de développement (BAD).
Une croissance économique qui s’accompagne elle-même d’une hausse de la consommation d’électricité. Selon une étude de l’université de Sherbrooke (Canada), celle-ci aurait progressé d’environ 50 % entre 2004 et 2010. « Le phénomène s’amplifie, mais tout reste à faire du côté des moyens de production et des lignes de transport », explique Lionel Taccoen. « Des interconnexions électriques existent depuis des décennies, pondère Zakou Amadou. Mais il s’agit de lignes de petites capacités, dites de point à point. Désormais, ce sont des interconnexions à l’échelle régionale qui se développent. »
Ces projets de liaisons trouvent leur origine dans la création, depuis 2003, de pools énergétiques, l’Afrique étant désormais divisée en cinq grands réseaux régionaux ayant un statut d’agence spécialisée auprès de chaque communauté économique régionale. « La première phase a été la mise en place de plans directeurs, suivis par des études de faisabilité souvent financées par les bailleurs de fonds internationaux et réalisées par des bureaux d’études occidentaux – parfois en partenariat avec des locaux, explique Zakou Amadou. La phase de travaux débute, avec pour objectif de mailler tous les réseaux du continent. »
Ainsi, d’ici à 2015, au sein du Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA), le corridor de transmission électrique devrait être achevé. Ce développement exponentiel s’explique aussi par la multiplication des centrales électriques (gaz, pétrole), des parcs éoliens et solaires, et surtout des barrages. « L’augmentation de la capacité de production hydroélectrique dans une aire allant de la RD Congo à l’Éthiopie et l’interconnexion des grands réseaux électriques régionaux suscitent un engouement infrastructurel sans précédent, qui s’exprime en dizaines de milliards de dollars d’investissements dans la prochaine décennie, explique Alexandre Taithe, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Rien que dans la zone de l’Eastern Africa Power Pool [EAPP, un organisme intergouvernemental régional basé à Addis-Abeba, en Éthiopie, et qui oeuvre à la mise en commun de ressources d’énergie électrique, NDLR], il existe une quinzaine de projets d’interconnexion à l’horizon 2020-2025, pour un montant d’environ 6 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros). »
Sécurité
L’Éthiopie fait figure de leader avec son plan d’électrification sur vingt-cinq ans lancé en 2005. Le potentiel hydroélectrique du pays (estimé à 40 GW) commence à peine à être utilisé. La production, d’environ 2 500 MW, devrait doubler cette année avec le barrage Gilgel Gibe III, associé à une centrale hydroélectrique de 1 870 MW. Puis doubler de nouveau avec le barrage Renaissance (6 000 MW), en 2015. Soit des capacités de production bien supérieures aux besoins du pays. Après l’interconnexion de l’Éthiopie avec Djibouti en 2011 (qui a permis d’y diviser les prix de l’électricité par deux, selon la BAD) et avec le Soudan en 2012, c’est le projet de ligne à haute tension vers le Kenya qui a été lancé début mai, pour 1,26 milliard de dollars.
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Si, à terme, le secteur privé africain profitera de cette sécurité électrique, en attendant, ce sont les sociétés étrangères qui se frottent les mains. « À ma connaissance, il n’y a pas d’entreprises africaines ayant la compétence technique pour développer ces projets », note Zakou Amadou. « Les grandes compagnies occidentales sont très peu présentes et ont laissé la main aux entreprises chinoises un peu partout sur le continent », tacle Lionel Taccoen. En Éthiopie par exemple, le groupe italien de BTP Salini construit le barrage Gibe III, tandis que la firme chinoise Dongfang fournit les turbines et les composants électriques.
Pour ce qui est des lignes à haute tension reliant le barrage à Addis-Abeba, c’est encore une entreprise chinoise, China Electric Power Equipement and Technology Company (CET), qui a obtenu ce contrat de 1 milliard d’euros… entièrement financé par un prêt de China Exim Bank. « Nous voyons des entreprises de toutes les nationalités lorsque les financements ne viennent pas de Chine », relativise Zakou Amadou.
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