Ce grand corps malade

Incapable de tenir ses positions face à l’avancée rebelle, l’armée nationale se rend également coupable d’exactions sur les populations civiles.

Publié le 1 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

«Mon neveu avait 19 ans. Il travaillait dans un restaurant. Le 29 octobre, des soldats de l’armée nationale sont arrivés sur son lieu de travail. Le menaçant de leurs armes, ils lui ont dit qu’ils avaient faim et voulaient manger. Mon neveu leur a servi un repas. Après, ils ont exigé, en plus, de l’argent. Comme il n’en avait pas, il a été tué par balles. Quand nous avons retrouvé son corps, il avait la posture de quelqu’un qui venait d’implorer la clémence de ses bourreaux. » C’est ainsi qu’Albert Mukoza, un habitant de Goma, raconte le drame qui a frappé sa famille le jour où des éléments des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont semé la terreur dans la ville, pillant, violant et tuant quelque vingt-quatre personnes, selon le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku.

Une semaine plus tard, toujours dans la province, d’autres soldats s’en sont pris à plusieurs localités dans la zone de Kanyabayonga. Un pillage à grande échelle, selon la mission de l’ONU en RDC (Monuc). À Kirumba, le chef de la cité, Ladislas Kakwira, est désespéré : « L’attaque a commencé le 10 novembre à 23 heures et elle s’est poursuivie le jour suivant. Ils avaient déjà fait la même chose en 2003 et en 2004. Ils nous ont tout pris et ont contraint la population à aller se réfugier dans la forêt. Il a fallu l’intervention des miliciens progouvernementaux, les Pareco (Patriotes résistants congolais, NDLR), pour qu’ils battent en retraite. » En conséquence de quoi les hommes de Nkunda ont pu progresser pour se trouver à quelques kilomètres de Kanyabayonga, le 14 novembre.

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Les récits d’exactions commises par des soldats contre la population civile sont légion. Mais tout cela n’est pas bien nouveau. Rappel historique : les errements ont commencé avec les mutineries de juillet 1960, quelques jours seulement après l’accession du Congo à l’indépendance. L’anarchie politique des années 1990 a conduit ensuite à la mise à sac de Kinshasa par les Forces armées zaïroises (FAZ) ainsi qu’à l’assassinat, jamais élucidé, de l’ambassadeur de France. Et quand le conflit de l’Est éclate en 1996, l’armée, déjà tribalisée, régionalisée, clochardisée et très corrompue, est incapable de défendre l’intégrité territoriale. Tout comme pendant les guerres qui suivront, à partir de 1998. Les Kinois se souviennent d’une expression jadis utilisée par les militaires. Ils disaient en lingala : « Soda asekaka le 20 », c’est-à-dire « le soldat sourit le 20 du mois », sous-entendu parce qu’il peut rançonner les salariés qui viennent de toucher leur paye. En 2008, rien n’a changé.

De l’avis général, l’armée congolaise souffre de plusieurs maux. Un membre du gouvernement estime notamment que le brassage des ex-mouvements rebelles – intégrés au processus de paix à partir de 2002 – n’a été qu’un simple démantèlement des groupes armés mais qu’il n’a en aucune manière donné naissance à une armée nationale qui représente 25 % du budget national et qui compte 120 000 hommes. Un bon nombre d’entre eux sont d’anciens combattants qui doivent être désarmés. Quant à la réforme du secteur de la sécurité et de la défense, elle a échoué, car sur de nombreux points Kinshasa estime que les partenaires étrangers n’ont pas à se mêler d’une question relevant de la souveraineté nationale. « Mais on se dit souverain sans se donner les moyens de cette souveraineté », se plaint un observateur militaire congolais. Formées par des Belges, des Tanzaniens, des Ougandais, des Angolais, des Rwandais voire des Américains, « les unités de notre armée souffrent d’un manque d’homogénéité », explique un colonel. D’où des problèmes de commandement. Il arrive souvent, faute d’une bonne organisation, qu’un bataillon reste au front au moins deux mois sans qu’il y ait la moindre relève. « Nous n’avons pas voulu écouter les Français qui nous proposaient une stratégie plus réactive face à l’ennemi », s’indigne un autre officier. Pour lui, la solution passe par des unités mieux entraînées, réorganisées et équipées en fonction de la force de frappe de l’adversaire.

Les FARDC sont également gangrenées par l’incurie de leurs responsables, qui en ont fait une « mangeoire ». Au cours de sa récente tournée dans l’est du pays, le Premier ministre Adolphe Muzito a été surpris d’apprendre par exemple que le responsable de la police nationale dans la Province-Orientale reçoit mensuellement 5 000 dollars de frais de fonctionnement. En réalité, l’État débourse 100 000 dollars. Des cas de corruption avérés parmi les officiers n’ont jamais été sanctionnés. Durant la première quinzaine de ce mois, des provisions destinées à la troupe ont encore été détournées par le commandement de la 15e brigade, au Nord-Kivu. Objectif réel ou supposé : saper le moral des soldats, dont le salaire moyen oscille entre 22 dollars et 40 dollars par mois. Ce qui fait dire à un responsable du renseignement militaire que « l’armée est infiltrée notamment par des responsables de l’ancienne branche militaire du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) d’Azarias Ruberwa qui jouent un double jeu. Ils organisent la progression de l’ennemi, donnent ensuite l’ordre de décrocher en abandonnant le matériel sur le terrain. »

Les profonds désaccords entre l’ancien ministre de la Défense, Chikez Diemu – débarqué lors du dernier remaniement et visiblement peu au fait des réalités militaires –, et le chef d’état-major général de l’armée, le général Kayembe, n’ont rien arrangé. Ces tiraillements au plus haut niveau maintiennent, de fait, les FARDC dans un état de délabrement avancé. En attendant, l’Est est en feu.

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