Le péché originel
Chez les fonctionnaires onusiens, du côté des diplomates occidentaux, dans les rues de Kinshasa et les couloirs de l’Assemblée nationale, le « Kabila bashing » – en d’autres termes : la critique systématique d’un président, tête de turc et cible idéale – est la dernière fureur à la mode. L’excuse de la jeunesse et de l’inexpérience n’étant plus de mise, ce sont les capacités de gouvernance, de décisions, de prise de responsabilités, de leadership en somme, mais aussi la fiabilité et l’aptitude à communiquer de Joseph Kabila qui sont en cause, sur fond de débandade militaire dans le Nord-Kivu.
Pour certains, le climat actuel n’est pas sans rappeler celui du milieu des années 1990, à la veille de l’effondrement du régime de Mobutu. À la fois avides de démocratie et nostalgiques d’un pouvoir fort et omniprésent, les Congolais, il est vrai, sont prompts à prédire le pire. L’apocalypse est pour eux une notion familière, relayée chaque jour que Dieu fait par une myriade de faux prophètes, dont les Églises prospèrent sur l’humus de la crise.
Bien sûr comparaison n’est pas raison. Si Laurent Nkunda n’a pratiquement aucune chance de rééditer l’aventure victorieuse de Laurent-Désiré Kabila, c’est que, en à peu près une décennie, l’ex-Zaïre a profondément changé. Le triste spectacle d’une armée mal encadrée, à la fois humiliée et prédatrice, ne doit pas faire oublier que le nationalisme congolais, si vif dans les années 1970 à la grande époque de Mobutu, a fait sa réapparition.
Dans ce pays improbable, qui a su résister à toutes les tentatives d’implosion, ne perdant pas une miette de son territoire dans la tourmente, il existe une Assemblée nationale active et inventive, auteur d’un plan de sortie de crise pour le Kivu, porteuse d’espoir. Élu à la suite d’une présidentielle miraculeuse et démocratique, dont la bonne tenue lui est en partie imputable, Joseph Kabila serait bien inspiré de s’appuyer sur cette initiative – qui prône le dialogue et la réconciliation – afin de neutraliser ses adversaires, lesquels depuis des années inhibent toute solution en accusant le fils du Mzee d’être… d’origine rwandaise.
L’une des clés de ce que l’on reproche en ce moment au président congolais, en l’occurrence une certaine forme d’hésitation et une prise trop lointaine sur les événements, est là. Aux yeux des faucons de Kinshasa, Kabila est en permanence contraint de faire la preuve de son patriotisme et d’expier un péché originel qu’il n’a pas commis. Alors que, prêt chinois à l’appui, il se lançait dans ses cinq travaux herculéens pour tenter de remettre sur ses pieds le géant congolais, malgré les sarcasmes sommaires de commentateurs expéditifs, au milieu de difficultés inimaginables ailleurs qu’en Afrique, la nouvelle guerre du Kivu ne pouvait pas plus mal tomber.
De quel soutien extérieur le jeune président congolais – jeune uniquement par l’âge tant il a accumulé d’expérience en peu de temps – bénéficie-t-il ? Dans la région, seule l’Angola de son « parrain » José Eduardo dos Santos, puissance en gestation quelque peu lestée par la chute des cours du pétrole, mais forte d’une capacité de projection militaire non négligeable, est un allié sûr. Le Rwanda est un adversaire et les autres voisins observent, parfois agacés – en particulier les francophones – par une rigueur nationaliste et une fierté teintée d’ironie qu’ils ne sont pas loin de prendre pour de l’arrogance juvénile.
Ailleurs, plus loin, les relations ne sont plus ce qu’elles étaient. Avec le départ de Thabo Mbeki et de Jacques Chirac, Kabila a perdu deux soutiens précieux, qui nourrissaient à son égard une affection quasi filiale. Ce sont les Américains et surtout les Britanniques qui, aujourd’hui, mènent la danse dans les Grands Lacs. Londres, qui est en tête des pays contributeurs de l’aide au Rwanda et au Congo, a vu son influence croître considérablement au détriment de Paris et de Bruxelles. Or le régime en place à Kinshasa ne dispose pas des mêmes leviers de lobbying – culpabilisation post-coloniale, réseaux… – chez les anglophones que chez les francophones.
Reste la Chine, où Joseph Kabila a fréquenté un temps, à la fin des années 1990, l’université de la Défense nationale de Pékin. S’orientera-t-il, sur le plan de la défense et de la sécurité, comme il l’a fait pour la construction des infrastructures, vers le grand frère chinois ? On ne met tous ses œufs dans le même panier que lorsqu’on y est acculé. Ce qui n’est pas – encore – le cas…
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