Ce que l’Afrique attend du G20
Les ministres africains de l’Économie et des Finances réunis à Tunis le 12 novembre vont s’entendre pour tenter de peser sur les discussions internationales en cours. Rendez-vous à Washington le 15 de ce mois.
Le G20, qui se déroulera le 15 novembre à Washington, sera-t-il le sommet de la crise mondiale ? Ou le témoin de la crise qui ébranle le sommet des institutions financières internationales ? La réunion des chefs d’État des vingt premières puissances économiques de la planète tentera, en fait, de répondre aux deux interrogations. « La crise est mondiale. Tous les gouvernements, tous les États doivent l’affronter. Il faut réformer le G20 pour répondre aux crises par des actions coordonnées qui permettront aux pays émergents de contribuer aux solutions et d’utiliser tous les outils économiques et financiers pour assurer la stabilité et le bon fonctionnement des marchés financiers », a souligné Guido Mantega, le ministre de l’Économie du Brésil, le pays qui préside actuellement le G20.
L’Afrique ne veut manquer à aucun prix ce rendez-vous des principaux dirigeants pour trouver des parades à la crise et mettre sur la table les premières propositions pour réformer les institutions de Bretton Woods, et notamment le Fonds monétaire international (FMI), qui retrouve son statut d’outil mondial de régulation. Pour ne pas être relégués, une fois de plus, en marge des négociations et des décisions futures, les États africains ont pris les devants. À l’initiative de la Banque africaine de développement (BAD), les ministres de l’Économie et des Finances ainsi que les gouverneurs des Banques centrales débattront le 12 novembre, à Tunis, des effets de la crise financière sur les économies du continent. Ils entendent établir eux-mêmes, et de manière concertée, les mesures qui seront les plus adaptées pour que les économies africaines traversent au mieux ces turbulences. « C’est une très bonne initiative. Elle permettra aux gouvernants de discuter et d’anticiper les effets de la crise avant qu’ils ne frappent le continent. C’est un excellent signal à destination de la communauté internationale », se réjouit Thierry Tanoh, le vice-président pour l’Afrique subsaharienne et l’Europe de l’Ouest de la Société financière internationale (SFI), le bras armé de la Banque mondiale pour le financement du secteur privé.
Un statut d’observateur
Mais avec cette réunion du 12, le continent veut aussi démontrer sa capacité politique à s’atteler aux institutions mondiales et à faire entendre sa voix lors du G20. Dans leur déclaration finale, les ministres appelleront à un renforcement du système d’observation et de régulation de la finance mondiale. « Toutes les régions du monde se sont déjà concertées. Les Africains veulent porter eux-mêmes à Washington les propositions de réformes communes qu’ils arrêteront à Tunis », explique Youssouf Ouédraogo, le conseiller spécial du président de la BAD, Donald Kaberuka.
Mais à ce jour, seul le président sud-africain Kgalema Motlanthe est convié le 15 novembre, à Washington, mais en tant que dirigeant d’une puissance émergente membre du G20, et non en tant que porte-drapeau du continent. Dans les coulisses, les tractations diplomatiques vont bon train. Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo, devrait ainsi décrocher un statut d’observateur à l’occasion du G20, où il se rendra avec les recommandations africaines. Une annonce qui sera officialisée le 12 novembre à Tunis.
Denis Sassou Nguesso a bien joué. L’idée de représenter l’Afrique à Washington avec un second chef d’État, aux côtés de l’Afrique du Sud, a été suggérée par Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine. Du 27 au 30 octobre, le président du Congo a fait le forcing pour s’imposer comme cet émissaire auprès de ses pairs, lors du Forum mondial du développement durable, qui s’est tenu à Brazzaville. Mis devant le fait accompli et sans parvenir à taire leurs rivalités régionales, les chefs d’État présents (Laurent Gbagbo pour la Côte d’Ivoire, Omar Bongo Ondimba, du Gabon ; Blaise Compaoré, du Burkina ; François Bozizé, de la République centrafricaine ; Pierre Nkurunziza, du Burundi ; Faure Gnassingbé, du Togo ; Thomas Yayi Boni, du Bénin ; et Fradique de Menezes de São Tomé e Príncipe) ont fini par s’incliner devant cette OPA.
Dans ce combat, le continent a notamment obtenu le soutien de la France. « Il n’est plus possible, aujourd’hui, d’avancer sans l’intégration du continent. Il serait dommage que l’Afrique reste en marge des réformes », justifie Youssouf Ouédraogo. Ces dernières années, de fait, le continent affiche des résultats économiques qui méritent d’être reconnus et justifient sa montée en puissance dans les institutions internationales. La croissance du PIB s’est établie entre 6 % et 7 % par an. L’inflation a été maîtrisée jusqu’à ces derniers mois dans la plupart des pays qui ont réalisé d’importants sacrifices pour réduire leur endettement. Même si la situation est loin d’être idéale, l’environnement des affaires gagne en efficacité et en transparence. « Je suis optimiste, il y a une réelle opportunité pour l’Afrique de se prendre en main. Le continent peut réduire sa dépendance à l’égard des bailleurs s’il améliore encore l’environnement des affaires pour attirer les investisseurs, facilite les échanges régionaux et investit dans les infrastructures pour développer les marchés, relève Thierry Tanoh. Le secteur des télécommunications a démontré que des investisseurs pouvaient gagner de l’argent en Afrique dans le privé tout en contribuant à créer de la croissance et des emplois. »
Publié le 10 septembre dernier, le dernier rapport « Doing Business 2009 » de la Banque mondiale, sur l’arsenal réglementaire qui encadre la vie des entreprises de 181 pays, place quatre africains (Sénégal, Burkina, Botswana et l’Égypte) dans les dix premiers pays réformateurs. Seule l’Égypte figurait dans le peloton de tête de l’édition précédente. Une attractivité grandissante qui n’a pas échappé aux investisseurs internationaux. En 2007, le continent a établi un nouveau record avec 53 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE), selon le rapport 2008 sur l’investissement dans le monde de la Cnuced. Loin des 9 milliards par an enregistrés entre 1995 et 2000. Et dix pays (Nigeria, Égypte, Afrique du Sud, Maroc, Libye, Soudan, Guinée équatoriale, Algérie, Tunisie, Madagascar) concentrent 82 % des investissements étrangers.
Lourde Menace sur l’aide
Mais même si le continent affiche des résultats économiques probants, il reste un acteur économique modeste. Il ne représente que 3 % du montant total des IDE dans le monde en 2007. Et il demeure trop largement tributaire de l’extérieur (demande mondiale, aide au développement…) pour assurer sa croissance. Or, avec la crise, de lourdes menaces pèsent sur l’aide au développement, qui a atteint 13,7 milliards de dollars l’an passé (31,5 milliards hors remises de dettes). De plus, la récession économique mondiale devrait montrer ses premiers effets en Afrique d’ici à trois ou quatre mois. « La progression de ces dernières années est directement liée à la hausse des prix des matières premières exportées. Comme ils diminuent, la place de l’Afrique dans le commerce mondial va diminuer, résume Shanta Devarajan, économiste en chef pour l’Afrique à la Banque mondiale. Et il n’y a guère de perspectives de se rattraper sur les exportations, dont la progression est directement dépendante des performances des infrastructures africaines. Or elles souffriront de la baisse des flux d’investissements. »
Tant que l’Afrique figurera dans le camp « des clients » du FMI, plutôt que dans celui des bailleurs, elle n’aura guère de latitude pour renforcer son pouvoir de décision dans les institutions de Bretton Woods. Surtout qu’à la différence de l’ONU et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où un État égale une voix, le FMI calcule la capacité de décision d’un État en fonction de son poids économique. « Avec 2 % à 3 % du commerce mondial, l’Afrique détient 2 % des droits de vote du FMI, note un observateur de l’institution. Elle ne représente rien, donc elle n’aura droit à rien. »
L’Afrique doit se battre pied à pied pour s’imposer dans les instances internationales. En octobre, le continent a décroché un troisième siège d’administrateur à la Banque mondiale. Un objectif qu’elle n’a pas pu concrétiser au FMI, pour des raisons d’économies budgétaires. Ses deux administrateurs, ont, en revanche, obtenu chacun la nomination d’un second suppléant. Résultat ? Dans les deux institutions de Bretton Woods, chaque administrateur africain représente à lui seul 24 pays. Le continent n’a donc pas le choix. Sinon de booster son poids économique pour accroître sa puissance politique et faire entendre ses vues sur la réforme des institutions financières et l’émergence d’un Bretton Woods II.
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