Vaudeville pour un sacre

Le PS se choisira un nouveau premier secrétaire à l’issue de son congrès de Reims. Les prétendants étant d’accord sur (presque) tout, on s’interroge : pourquoi tant de haine ?

Publié le 30 novembre 2008 Lecture : 8 minutes.

Vous avez aimé le congrès de Rennes, en 1990 ? Vous devriez adorer celui de Reims, du 14 au 16 novembre. Le premier avait vu le furieux affrontement des grands chefs de harde de l’époque – les Lionel Jospin, Laurent Fabius, Michel Rocard et autres pachydermes de moindre pointure –, tellement acharnés à se disputer les dépouilles de la mitterrandie finissante qu’ils en oublièrent de donner le change face aux caméras. L’irruption sur les écrans, à l’issue de leur conclave breton, de leurs visages déformés par la haine fut un moment dramatiquement fort mais politiquement désastreux : le Parti socialiste mettra longtemps à s’en remettre.

Le second s’annonce sous de non moins gracieux auspices. Il y a dix-huit ans, les socialistes français avaient au moins l’excuse, ou le prétexte, d’une vraie controverse idéologique : fallait-il adapter la vieille social-démocratie aux exigences de l’économie de marché ? La question ayant été depuis longtemps tranchée – par l’affirmative –, que reste-t-il ? Une pénible macération de rancœurs et de rancunes tenaces, une litanie d’invectives et de petites phrases venimeuses, des gonflements d’ego d’autant plus irrépressibles qu’ils sont moins justifiés, un tournoiement d’ambitions dans le marigot des éléphants.

la suite après cette publicité

Désormais pris en tenailles entre le nouveau parti anticapitaliste (et crypto-trotskyste) du très médiatique Olivier Besancenot et le Modem béarno-centriste de François Bayrou, qui, rêvant de se renforcer à leur détriment, n’ont aucune intention de nouer prématurément alliance avec eux, les socialistes paraissent figés dans une sorte d’antisarkozysme pavlovien. Stimulus, réponse. Il suffit que le chef de l’État prenne position sur quelque sujet que ce soit pour qu’ils en prennent le contre-pied – à quoi rime de s’abstenir sur le plan de sauvetage du système financier soumis au Parlement français ? –, ce qui serait son rôle de parti d’opposition si cette hostilité de principe s’appuyait sur une politique de rechange tant soit peu élaborée et cohérente. Or on a le plus grand mal à en discerner les contours.

Si l’on excepte la gauche du parti rassemblée autour de Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Henri Emmanuelli, qu’on peut juger archaïque mais qui a au moins le mérite de la constance et de la fermeté, rien, sinon leurs appétits respectifs, n’oppose les ténors du parti. Engagés dans une indéchiffrable guerre de position, ils zigzaguent sur l’échiquier depuis des mois, nouent, dénouent et renouent des alliances au gré des circonstances.

VIREMENTS DE BORD

On a vu dans un passé récent (2005) qu’un Laurent Fabius pouvait fort bien se coucher « à droite », moderniste et européen, puis se réveiller « à gauche », quasi souverainiste et hostile à la ratification par référendum de la Constitution de l’UE. Il avait cru déceler dans les bons scores des candidats trotskystes à la présidentielle de 2002 un gauchissement de l’électorat, quand il ne s’agissait, pour l’essentiel, que d’un vote protestataire, anti-élites et franchouillard… A-t-il cru que ce brusque changement de cap suffirait à déboulonner François Hollande, qu’il estime peu et surnomme « fraise des bois » en raison de sa petite taille et de son teint fleuri, de son poste de premier secrétaire ? Enfin revenu de sa bévue, il esquisserait, aux dernières nouvelles, un énième virement de bord…

la suite après cette publicité

Mais Fabius, qui fut Premier ministre à 37 ans (en 1984), est un vrai chef de clan, loyal envers ses proches et prompt à distribuer prébendes et offices, raison pour laquelle, sans doute, son courant est resté soudé, quand celui de Dominique Strauss-Kahn, son rival avec Ségolène Royal lors de la primaire socialiste pour la présidentielle de 2007, a explosé après la désignation de l’ancien ministre des Finances comme directeur général du FMI, à Washington, les uns (Pierre Moscovici) ralliant Bertrand Delanoë, les autres (Jean-Christophe Cambadélis), Martine Aubry.

La responsabilité de Hollande dans la déliquescence de son parti est réelle. Intelligent et souvent drôle, c’est un habile manœuvrier, grand amateur « de synthèses molles et de Meccano improbables », comme dit l’un de ses « camarades », mais sûrement pas un chef charismatique. Depuis qu’il a remplacé Jospin à la tête du parti, en 1997, il prend un malin plaisir à ne jamais rien imposer, mais suggère, insinue, louvoie, cache si soigneusement son jeu qu’il n’a presque jamais l’occasion de le montrer et finit par indisposer tout le monde – à commencer par Ségolène Royal, son ancienne compagne. A-t-il véritablement l’intention de briguer l’investiture socialiste pour la présidentielle de 2012 ? Il se donne beaucoup de mal pour en accréditer l’idée, mais sans donner l’impression d’y croire vraiment. On l’a vu échafauder d’étranges combinaisons pour placer à la tête du parti, qu’il a depuis longtemps prévu d’abandonner à Reims, un homme à sa dévotion pour tenir la maison tandis qu’il prendrait son envol élyséen, mais ces velléités ont fait long feu. En désespoir de cause, il a fini, avec le dernier carré des jospinistes, par apporter son soutien à Bertrand Delanoë, autre aspirant président qu’il sera malaisé de convaincre de renoncer à ses ambitions.

la suite après cette publicité

Ex-« petit chose » du PS et membre de « la bande du 18e » (arrondissement) avec Jospin, Daniel Vaillant et quelques autres, celui-ci, triomphalement réélu maire de Paris au mois de mars, a déjà fait un sacré bout de chemin, mais n’entend pas s’arrêter là. S’il feint de s’offusquer dès qu’on évoque d’autres perspectives (« Laissez-moi travailler ! »), il ne convainc personne. Homme d’appareil efficace mais autoritaire, bon gestionnaire et débatteur pugnace, il lui reste à démontrer qu’il n’a pas atteint ses limites en accédant à l’Hôtel de Ville.

TROMPE-l’Œil

Tous les sondages le placent largement en tête, chez les sympathisants socialistes et l’ensemble des Français, pour le poste de premier secrétaire, mais ce n’est qu’un trompe-l’œil : ce ne sont pas eux qui votent lors du congrès. Au contraire, cette position de favori flattant son immodestie, il ne s’est pas lancé dans la campagne avec toute la conviction requise et a coalisé ses rivaux contre lui. Convaincu que la bonne stratégie pour prendre le PS était, par exception, d’attaquer par la droite, il s’est présenté, dans un livre censé marquer le début de sa marche triomphale vers la Rue de Solferino, comme un « libéral » en politique, adepte de la philosophie des Lumières, mais en jouant délibérément sur l’ambiguïté du terme, qui, en économie, a pris aujourd’hui un tout autre sens. Depuis le déclenchement de la tourmente financière, il s’en mord les doigts !

Reste qu’au-delà de ces vaines subtilités de positionnement on voit mal ce qui distingue ses orientations de celles de Martine Aubry, maire de Lille, fille de Jacques Delors et autre prétendante au leadership socialiste. Ces deux-là sont d’accord sur tout, sauf l’essentiel : qui doit être le capitaine, et qui le second ? Au cours de l’été, on les a vus esquisser un gracieux pas de deux et faire assaut d’amabilités. Ni l’un ni l’autre n’acceptant de s’effacer, on en est resté là. Depuis, le ton de leurs relations s’est aigri. Les militants trancheront, mais un raccommodement n’est pas exclu, une fois la hiérarchie établie.

Alliée aux fabiusiens et aux dissidents du strauss-kahnisme réconciliés par on ne sait quel miracle, Aubry n’est pas battue d’avance. Son fief, les vieux bastions socialistes du nord de la France, est solidement tenu, mais sa rigidité aux lisières du sectarisme, ses manières impérieuses et son ton souvent rogue ne la servent pas. Pour elle, l’essentiel est de faire barrage à Ségolène Royal, qu’elle déteste, même si elle affecte de ne pas exclure un rapprochement avec elle afin d’embarrasser le maire de Paris. Il est vrai que, simultanément, elle courtise Benoît Hamon…

Ah ! Ségolène… Portée par les 17 millions de voix recueillies au second tour de la présidentielle, la « Madone du Poitou » a multiplié foucades et improvisations au point de désespérer jusqu’à ses plus chauds partisans. Revendiquant comme un dû la direction du parti, elle a négligé de la conquérir pas à pas et s’est isolée. Et quand elle a compris que ses chances de l’emporter s’amenuisaient, elle a mis sa candidature « au Frigidaire », confiant à Gérard Collomb le soin de présenter sa motion, sans renoncer à défier une seconde fois Nicolas Sarkozy, dans quatre ans. Mais comment ? Avec le PS ou contre lui ?

Pour l’heure, relookée avec soin, elle s’efforce de faire de la politique autrement et y parvient au-delà du raisonnable. Le 27 septembre, son meeting au Zénith de Paris n’a ressemblé à rien de connu, entre transe mystique et one-woman show comique. Un humoriste imitant un homme (ou une femme) politique, c’est banal. L’inverse l’est moins. Mais faire scander « fra-ter-ni-té » avec des mines extatiques par quelques milliers de fidèles conquis d’avance ne fera pas forcément avancer le schmilblick.

Royal a pour elle, outre une poignée d’inconditionnels comme Jean-Louis Bianco, secrétaire général de la présidence au temps de Mitterrand, quelques roitelets de province comme Jean-Noël Guérini (Bouches-du-Rhône), Gérard Collomb (Rhône) ou Vincent Feltesse (Gironde). Las des intrigues de la Rue de Solferino, ces porte-parole autoproclamés de « la base » se sont regroupés sous un label prometteur, la « Ligne claire », avant de se lancer dans des manœuvres d’une rare opacité, passant sans états d’âme des bras du premier secrétaire à ceux de son « ex ».

Les militants choisiront entre les six motions qui leur sont soumises ce 6 novembre. Si la participation au vote est importante, Delanoë devrait l’emporter, sans obtenir la majorité absolue des suffrages. Dans le cas contraire, c’est la bouteille à l’encre. Le pire serait que les trois principales motions arrivent dans un mouchoir. D’autant qu’il n’est pas exclu que la gauche du parti, dopée par la crise financière et les difficultés sociales qu’elle annonce, fasse mieux que de la figuration.

Dans ce cas – le plus probable –, le petit jeu des tractations, des synthèses aléatoires et des alliances sans lendemain va se donner libre cours, entre tragédie et vaudeville, jusqu’à l’élection du premier secrétaire, le 20 novembre. Hollande a fait savoir qu’il se rallierait à la motion arrivée en tête.

Mais l’homme ou la femme qui, à l’instar des rois de France, recevra à Reims l’onction des militants ne sera pas ipso facto le candidat des socialistes à la présidentielle de 2012, trop de barons ayant choisi de ne pas figurer en première ligne dans le pugilat qui s’annonce. Que les amateurs se rassurent : il y en aura d’autres.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires