Emprunter plus… pour s’endetter plus

Les crédits à la consommation se multiplient, permettant â¨à de nombreux ménages d’accéder à la société â¨de consommation. Mais la médaille a son revers.

Publié le 30 novembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Téléviseur écran plat, lecteur DVD, salon marocain flambant neuf, machine à laver… En faisant visiter son nouvel appartement – un logement économique acheté à crédit –, Fadela énumère ses acquisitions comme autant de précieuses richesses. Pour cette veuve, employée de maison chez une riche famille de Casablanca, chaque objet symbolise son intégration sociale. Oubliée la baraque de la médina où elle s’était entassée avec ses quatre fils. Oubliées les longues années à économiser pour le moindre achat d’importance. À 50 ans, elle peut enfin accéder à la société de consommation. Mais cette nouvelle opulence n’est qu’illusoire, et sa petite famille accumule les dettes. Depuis trois ans, un crédit chasse l’autre. « On vient de finir de rembourser le salon, confie-t-elle. Mais on a aussitôt emprunté pour acheter un scooter ! » Chaque mois, plus des trois quarts des revenus de la famille, un peu moins de 5 000 dirhams (10 DH = environ 1 euro), sont engloutis pour payer des dettes à répétition. Et ce n’est pas un cas isolé.

Depuis deux ans, les crédits à la consommation explosent au Maroc. Leurs encours dépassent 50 milliards de DH, dont 30 milliards distribués rien que l’année dernière. Pour appâter le chaland, banques et sociétés de crédit rivalisent d’offres toutes plus alléchantes les unes que les autres. Leurs publicités s’étalent le long des avenues des grandes villes, envahissent le petit écran et abondent dans les pages des magazines. Principal argument mis en avant ? La réactivité. Certaines vont même jusqu’à proposer 100 000 DH en moins de trente minutes. Cette concurrence féroce a rendu très simples et très courtes les procédures d’octroi. Entre le dépôt de la demande et la réponse de l’agent, c’est souvent l’affaire d’une heure, parfois d’une journée et jamais plus de quarante-huit heures.

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« Les sociétés de crédit s’intéressent de plus en plus aux pays émergents, confie ce cadre d’une filiale d’une grande banque française au Maroc. En Europe, les consommateurs sont de plus en plus méfiants vis-à-vis de leurs produits. Au Maroc, en revanche, le développement économique s’est accompagné de nouveaux besoins chez une population qui n’est pas encore familiarisée avec le système du crédit. » La plupart des grands organismes de crédit français sont d’ailleurs présents sur le territoire via des filiales ou des participations dans des structures marocaines.

Selon une enquête de Bank Al-Maghrib, la tranche de revenus mensuels inférieurs à 4 000 DH concentre à elle seule 62 % du nombre total des dossiers et 54 % de l’encours global des crédits à la consommation. Plus inquiétante, une autre enquête, réalisée par l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF), révèle que pour 48 % des clients le remboursement représente au moins 60 % du salaire mensuel net. Pas étonnant alors que 17,7 % d’entre eux aient des problèmes pour honorer leurs dettes. â©Car dans cette course à la consommation, les perdants sont nombreux. Les classes populaires et moyennes – cibles privilégiées des sociétés de crédit –, en quête d’existence et de reconnaissance, tombent souvent dans les affres du surendettement. « D’importantes mesures ont été prises pour contrer ce problème, nuance le délégué général de l’APSF, Mostafa Melsa. Bank Al-Maghrib a mis en place un taux d’intérêt maximum. Notre profession a, quant à elle, adopté un code de déontologie et édité un guide du crédit à la consommation à l’intention des consommateurs. Enfin, nous avons développé un Système d’aide à l’appréciation du risque (Saar), qui contribue efficacement à la lutte contre le surendettement. » Cette banque de données recense les mauvais payeurs et permet d’éviter d’accorder un crédit à une personne qui accumule déjà les dettes impayées. S’il a permis de réduire le nombre de surendettés, le Saar n’intervient qu’en aval et n’empêche pas pour autant un client de papillonner d’une société de crédit à l’autre jusqu’à basculer dans la spirale du surendettement.

« Les sociétés de crédit prêtent avant tout à des personnes à revenus fixes, poursuit Mostafa Melsa. Une part importante revient aux fonctionnaires grâce à une convention conclue avec le Trésor. Elle permet notamment de prélever à la source les remboursements des crédits tout en surveillant l’état des dettes des emprunteurs. Dans le même souci, les sociétés de crédit à la consommation établissent, à titre individuel, des conventions avec les entreprises du privé. » Le système a néanmoins ses failles. Certains employeurs n’ont pas de scrupules à gonfler artificiellement les bulletins de salaires de leurs employés pour les aider à décrocher un crédit qui, sans ça, leur aurait été refusé.

Sans compter qu’en l’absence d’une véritable connaissance des mécanismes du crédit beaucoup de clients acceptent des offres de manière inconsidérée. L’exemple de Chadia est significatif. Cette jeune institutrice, en empruntant il y a deux ans 50 000 DH pour offrir un petit commerce à ses parents, s’est vu proposer en option un crédit revolving. « La vendeuse m’a proposé une carte en m’expliquant qu’il y avait 5 000 DH disponibles pour moi sur un compte, raconte-t-elle. J’ai fait l’erreur d’accepter… » Aujourd’hui, on lui réclame près de 55 000 DH… « Ma banque m’a prévenue au dernier moment, en me disant que j’avais dix jours pour rembourser cette somme, sous peine de poursuites judiciaires », s’alarme-t-elle. Une catastrophe pour cette jeune femme dont le salaire ne dépasse pas 5 000 DH.â©Dans un contexte de crise financière internationale, l’essor des crédits au Maroc a de quoi inquiéter. S’il reste difficile d’en mesurer les conséquences économiques, le risque de voir le surendettement détruire la vie de nombreux ménages est bien réel.

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