bons baisers de russie

Redevenu fréquentable grâce aux Américains, le « Guide » de la Jamahiriya en profite pour resserrer les liens avec son ancien protecteur lors d’une visite à Moscou. Une manière de ménager la chèvre et le chou.

Publié le 30 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Il flottait comme un parfum de nostalgie lors de la visite de Mouammar Kadhafi à Moscou, du 31 octobre au 2 novembre, la première depuis le démantèlement de l’ex-Union soviétique. Le « Guide » a eu droit à un orchestre tzigane rétro à la fin du dîner que lui a offert le président russe, Dmitri Medvedev, dans sa résidence près de Moscou, et, le lendemain, à un concert de Mireille Mathieu dans un palais du Kremlin en compagnie du Premier ministre russe, Vladimir Poutine, grand fan de la chanteuse française. Invité d’honneur, Kadhafi, en costume bédouin en poil de chameau brun, a salué l’assistance en lui envoyant des baisers. Populaire en Russie depuis l’ère soviétique, Mireille Mathieu, 62 ans, a ensuite accompagné les deux hommes à pied jusqu’à la tente dressée par le « Guide » dans les jardins du Kremlin. Là, face à un brasero, le trio a pris le thé en échangeant des propos sur le « dialogue culturel » pour la paix.

À ces intermèdes musicaux ont fait écho des discussions sur la géostratégie, l’armement, le gaz, le nucléaire et l’économie. Russes et Libyens ont évoqué le retour à des relations stratégiques, même si plus rien n’est comme avant. Car aujourd’hui, entre Washington et Tripoli, l’heure est à la détente. Au moment même où Kadhafi atterrissait à Moscou, George W. Bush levait le dernier obstacle à la normalisation avec le régime libyen en signant le décret d’application d’un accord de compensation qui « règle toutes les poursuites judiciaires liées au terrorisme contre la Libye », Tripoli ayant versé aux Américains 1,5 milliard de dollars pour l’indemnisation des victimes de la confrontation entre les deux pays dans les années 1980.

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Réhabilité sur la scène internationale, Kadhafi en profite pour stigmatiser l’omnipotence des États-Unis. « Nous sommes très préoccupés par le déséquilibre mondial, a-t-il déclaré devant Medvedev et Poutine. On en voit actuellement les résultats avec la crise économique et la dégradation de la situation sécuritaire à l’échelle mondiale. Il faut établir un nouvel équilibre dans les domaines économique et sécuritaire à travers le respect de la charte de l’ONU et de la légalité internationale, et pas en dehors. » À Minsk (Biélorussie), où il s’est rendu après Moscou, il a enfoncé le clou : « Le monde est devenu unipolaire. C’est le principe de la loi de la force et non de la force de la loi qui est en vigueur. »

Alliance stratégique

Kadhafi n’a pas oublié que c’est l’affaiblissement de la Russie qui a permis aux États-Unis d’isoler davantage la Libye, désignée comme un « État voyou », et d’exercer sur elle des pressions. Des pressions auxquelles il a fini par céder à partir de 1999, en acceptant de livrer à la justice écossaise les deux suspects libyens dans l’affaire Lockerbie, en renonçant au terrorisme et en démantelant son programme d’armes de destruction massive avec la livraison à l’armée américaine des équipements et documents s’y rapportant.

Depuis la levée de l’embargo de l’ONU, en 2001, et l’amorce d’une normalisation des relations entre Tripoli et Washington, en 2003, des Occidentaux, mais aussi des Russes, se bousculent en Libye pour vendre leurs marchandises et leurs armes, et étendre leur influence pour certains. Poutine, alors président de la fédération de Russie, cherche à reprendre pied en Méditerranée. Il propose à l’Algérie (en 2006), et ensuite à la Libye (en 2008), deux ex-gros acheteurs d’armes soviétiques, une formule pour effacer leur dette. Pour la Libye, ce sont 4,5 milliards de dollars qui doivent ainsi être compensés par la conclusion de contrats avec des firmes russes, notamment dans l’armement. Poutine, lors d’une visite à Tripoli en avril 2008, fait aussi miroiter une alliance stratégique. Russia Railways signe ainsi un contrat avec Tripoli pour la construction d’une liaison ferroviaire entre les villes côtières de Syrte et de Benghazi (550 km) pour une valeur estimée à plus de 2 milliards de dollars. En outre, Gazprom propose à la National Oil Company (NOC) libyenne de créer, avec l’italienne ENI, une coentreprise qui opérera tout au long de la chaîne des hydrocarbures : prospection, production, transport et commercialisation, particulièrement en Europe.

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Mais les Libyens traînent les pieds. Les Russes s’impatientent et, en septembre, invitent à Moscou le Premier ministre Baghdadi Mahmoudi. La voie est alors ouverte pour la visite de Kadhafi, fin octobre. Le général Abou Baker Jaber Younes, qui fait office de ministre de la Défense, et son propre fils, Mootassem Kadhafi, patron du Conseil de sécurité nationale, l’accompagnent. Lors des discussions avec Medvedev et Poutine, c’est Mootassem qui prend la parole au moment d’aborder le dossier de l’armement. La Libye est intéressée par l’achat de systèmes de missiles pour la défense antiaérienne (S-300 PMU-2 Favorit, Tor-M1, Buk-M1-2), des chasseurs de type MiG-29 et Su-30, six avions d’entraînement Yak-130, plusieurs dizaines d’hélicoptères de type Mi-17, Mi-35 et Ka-52, une cinquantaine de chars de type T-90S et un sous-marin à propulsion par diesel. Montant : plus de 2 milliards de dollars.

Echange de bons procédés

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« Nos entretiens ont été excellents, a déclaré le “Guide” à l’issue de la visite. Ce n’était pas une rencontre de circonstance. Nous avons une stratégie commune et une coopération dans tous les domaines, politique, militaire, et civil. » Un accord pour la fourniture d’un réacteur à combustible nucléaire à des fins civiles a été paraphé. Chokri Ghanem, patron de la NOC, qui était aux côtés de Kadhafi, confirme que le projet avec Gazprom et ENI sera discuté en novembre. Et les deux pays se disent favorables à la création d’une organisation mondiale des producteurs de gaz sur le modèle de l’Opep. Les travaux du chemin de fer vont être accélérés. Une banque d’investissement conjointe pour le financement des projets des compagnies russes en Libye sera créée. Poutine veut tripler dès l’an prochain les échanges commerciaux avec la Libye – exclusivement composés de ventes russes –, qui se sont élevés à 232 millions de dollars en 2007. Kadhafi, de son côté, propose aux entreprises russes de les aider à s’affirmer sur les marchés africains. Quant au contrat d’armement, il devrait être signé dans les prochains mois. Enfin, Kadhafi plaide pour l’ouverture d’une liaison aérienne entre Moscou et Tripoli.

« La Libye n’a pas besoin d’accumuler à nouveau des armements, qui se transformeront en ferraille comme jadis, mais de développement et de démocratie », commente le Front national du salut libyen (FNSL), principale force d’opposition en exil. Une crainte apparemment fondée, à moins que le « Guide » ne change son fusil d’épaule en cours de route…

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