Carthage au féminin
Pour la seconde fois, les Journées cinématographiques (25 octobre-1er novembre) étaient dirigées par une femme, Dora Bouchoucha. Portrait.
Dora Bouchoucha n’est pas ce qu’on appellerait une « figure publique », mais cette bosseuse hors norme est un nom respecté dans les milieux du cinéma. Ses années passées à sillonner l’Afrique et l’Europe pour défendre la production cinématographique des pays du Sud, son sérieux et sa capacité à rallier les grandes pointures du métier lui ont valu d’être nommée à la direction de la 22e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), qui s’est tenue à Tunis du 25 octobre au 1er novembre. C’est la seconde fois qu’une femme se voit confier cette charge depuis la naissance des JCC en 1966. Cette Tunisienne de 50 ans à l’apparence hautaine et froide est en réalité un écrin d’émotions cachées. Et d’étranges paradoxes : derrière sa silhouette frêle se révèle un caractère obstiné, et la dureté de son visage est vite effacée par un franc sourire. Faut-il chercher cette ambivalence dans une enfance passée entre un père tunisien, spécialiste des problèmes du comportement, et une mère algérienne, assistante sociale pour jeunes orphelins ? « Je suis née dans un hôpital de fous, raconte-t-elle. Mes premiers camarades ont été des enfants laissés à l’abandon et des malades mentaux. »
Réflexe masochiste
Mais Dora s’en veut « de se sentir bien » au milieu de cette misère morale. Surtout, elle a du mal à rentrer dans l’univers des gens « normaux ». D’autant que ses parents l’envoient étudier au collège Sadiki de Tunis, un établissement fréquenté par des garçons. À 11 ans, Dora se retrouve seule au milieu de 3 500 camarades de sexe masculin. Mais lorsque, quelques mois plus tard, son père lui propose de l’inscrire ailleurs, elle refuse catégoriquement. Non pas parce qu’elle a fini par aimer son calvaire, mais parce qu’elle ne veut pas être encore « la nouvelle élève qui débarque en cours d’année et que tout le monde remarque ». De là vient sans doute la tendance de cette femme à vouloir être discrète et fuir le clinquant et le vedettariat. Mais en même temps, dans un réflexe presque masochiste, elle choisit le milieu des paillettes et du cinéma. Alors qu’elle enseigne l’anglais à la faculté, le producteur Ahmed Attia la sollicite pour traduire quelques scénarios. C’est sa première rencontre avec le cinéma. En 1992, elle crée l’Atelier des projets des JCC. Trois années plus tard, elle lance sa propre société de production, Nomadis Images. Certains des films qu’elle finance sont promis à une belle carrière internationale, comme La Saison des hommes, de Moufida Tlatli, ou Satin rouge, de Raja Amari. Là où elle frappe, les portes s’ouvrent. Et elle parvient à se faire connaître à l’étranger. Elle est nommée responsable pédagogique du projet Meda films développement, financé par l’Union européenne et destiné aux producteurs et scénaristes du Sud. En 2008, elle est appelée à sélectionner les films africains pour la Mostra de Venise. On pourrait mettre cette activité sans répit sur le compte de l’ambition. Dora corrige : « C’est le syndrome du premier de la classe hérité de mon collège où il fallait en faire plus que les garçons. » De quoi, effectivement, forger un caractère.
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