Femi Kuti donne de la voix

Alors que Seun, son talentueux jeune frère, brille sur la scène internationale, Femi Kuti revient en première ligne avec un album original et une colère qui ne faiblit pas.

Publié le 18 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

La musique, juste « pour le fun », il ne connaît pas. Fela Anikulapo Kuti, son père, disait d’elle qu’elle était l’arme du futur. Femi, 46 ans, adhère à la proposition, sans hésitation. Coups de griffes et coups de gueule à travers les chansons, c’est quasi la seule attitude envisageable pour lui, même s’il s’autorise quelques digressions vers la légèreté. Dans Day by Day, par exemple, son nouvel album, le titre « Do You Know », d’une couleur très swing, essentiellement instrumental, ne contient qu’une énumération des noms de quelques-uns de ses héros musiciens, rappelant son goût pour le jazz, souligné par des clins d’œil plus ou moins appuyés dans sa version de l’afro-beat : Miles Davis, Dizzy Gillespie, John Coltrane, Billie Holiday, Duke Ellington… Et puis aussi : Fela Anikulapo Kuti. Héros tout court. Le premier de tous et pour toujours. Le créateur de l’afro-beat (avec la complicité de la frappe généreuse du batteur Tony Allen), décédé le 2 août 1997 à Lagos, son père, sa fierté. Beaucoup de gens veulent absolument comparer sa musique et ses mots à ceux de Fela, voir en quoi il se rapproche de lui, en quoi il s’en éloigne. Une attitude perceptible en Occident, mais également au Nigeria. « La presse nigériane a toujours été très agressive avec moi. Cette “presse”, qui a tenté de créer une polémique entre mon frère – Seun – et moi, a commencé à m’attaquer dès la mort de Fela. Ils disaient que je ne lui ressemblais pas, que ma mère, une métisse anglaise, était blanche, donc que je ne pouvais pas être son héritier… Puis ils se sont mis à écrire que Fela jouait du piano, de la trompette, et pas moi. Ils critiquaient mes capacités de musicien. En se focalisant sur ce point, cela leur permettait de nier mon côté politique. » « Pour leur laisser moins d’espace », Femi s’est mis à ces instruments. Sur Day by Day, son cinquième album, enregistré à Paris et réalisé par Sodi, producteur français (Les Négresses vertes, IAM, Les Têtes Raides, Fela…) fidèle à Femi depuis Shoki Shoki (1998), outre le saxophone, il fait toutes les parties de clavier et joue de la trompette. L’idée de passer à d’autres instruments est plus qu’un pied de nez aux plumes acerbes de la presse nigériane. C’est surtout pour le musicien l’envie de se diversifier. « Je devais me mettre à d’autres instruments pour exprimer tout ce que j’avais à dire. C’était un nouveau challenge pour moi, car apprendre un instrument est plus facile quand on est jeune, ce qui n’est plus tout à fait mon cas. » Si l’afro-beat est musicalement un « cocktail explosif né de la rencontre du jazz, du funk et de la musique traditionnelle africaine », comme le rappelle en raccourci dans son préambule un documentaire consacré à Femi, du jeune réalisateur français Raphaël Frydman (Live at the Shrine, sorti en 2005), Femi a toujours été partisan d’un afro-beat largement ouvert… D’un esprit très « soul » (présence marquée de l’orgue Hammond, voix souvent plus douce que rageuse), Day by Day est truffé de pépites.

Esprit de résistance

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On y entend quelques notes d’un de ces minuscules pianos dont jouent les bambins, un gosse chantant une ritournelle (le fils de Femi, 13 ans), une guitare habile (le compatriote Keziah Jones). On y croise aussi des invités que l’on pourrait croire hors sujet : le guitariste Seb Martel, les chanteuses Julia Sarr et Camille. Mais au fait, est-ce encore un disque d’afro-beat ? Absolument, répond Femi. « J’ai fait suffisamment d’afro-beat traditionnel. Celui que je joue aujourd’hui se nourrit de toutes les influences dont je me suis imprégné au fil de mes voyages. » Il fut une époque où les comparaisons incessantes avec son père avaient le don de l’irriter. Désormais, cela ne le perturbe plus le moins du monde. Comme tout un chacun sur le continent, Femi respecte profondément son géniteur et mesure ce qu’il lui doit. « L’histoire entre un père et son fils est toujours très importante, surtout en Afrique. » Le musicien se souvient avec émotion et fierté de l’époque où il a assuré la direction du groupe de Fela. C’était en 1985, lors d’une tournée aux États-Unis. Son père, au moment d’embarquer, s’était fait arrêter une nouvelle fois par la police nigériane. Le prétexte ? Exportation illégale de devises… Femi doit à Fela son engagement musical pour l’afro-beat et sa conscience aiguë, sa hargne, son indéfectible esprit de résistance. Tout va à vau-l’eau au Nigeria, et c’est de pire en pire, affirme le chanteur. « Jour après jour, c’est toujours la même galère. Il faut te battre pour gagner ta vie. Jour après jour, nuit après nuit, tu rêves de paix dans le monde, mais rien n’arrive. Tout ce que j’ai dénoncé et prédit il y a dix ans, à l’époque de mon disque Shoki Shoki, a empiré. L’Europe et les États-Unis étaient hypocrites lorsqu’ils promettaient d’investir en Afrique, pour aider au développement. »

Panafricanisme

Quant aux leaders en Afrique, ils ne sont que d’« éternels malentendus », lâche Femi dans un sourire désabusé. « Parmi les gens au pouvoir, il n’y a aucun visionnaire qui a l’inspiration de lutter contre la corruption, d’amener plus de justice. » Les raisons de la colère sont nombreuses, mais elles ne l’empêchent pas de vouloir croire encore et encore aux vertus du panafricanisme, auquel se référait également son père. « Quand l’homme africain pourra s’asseoir à l’ONU comme un seul peuple, alors là, le cours des choses pourra commencer à changer. » À l’Afrika New Shrine, le complexe – à la fois centre social et salle de concerts – que Femi a ouvert à Lagos, non loin de l’ancien club de son père, détruit en 1999, le nom de Kwame Nkrumah est accroché en fond de scène. Courant octobre, 10 000 personnes ont participé là au Felabration, le festival annuel organisé par Femi pour célébrer la date de naissance de son père (15 octobre 1938). Sur scène, il y avait des célébrités, telles que : Damon Albarn, Amadou et Mariam, Ginger Baker, Flea (Red Hot Chili Pepers) et… Femi, qui, le lendemain, y a donné un show de plus de trois heures. Vers cet endroit bouillonnant, îlot à la fois de résistance et de lâcher-prise, la police vient parfois semer le désordre. En décembre 2007, un groupe a débarqué violemment, cassant le mobilier, blessant plusieurs personnes. La presse nigériane ne s’en est pas fait l’écho. 

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