Gilbert Anoh Nguessan : « Ce qui va changer dans le cacao ivoirien »

Président d’un comité de gestion mis en place le 19 septembre, juste avant la campagne de commercialisation, il dispose de sept mois pour mettre de l’ordre dans toutes les structures de la filière en Côte d’Ivoire.

Publié le 18 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Àla tête d’un comité provisoire comprenant également deux vice-présidents et les administrateurs de trois structures – la Bourse du café-cacao et le Fonds de régulation et de contrôle (FRC), l’Autorité de régulation du café et du cacao (ARCC), et, enfin, le Fonds de développement et de promotion des activités de producteurs de café et de cacao (FDPCC) – Gilbert Anoh Nguessan est chargé de réorganiser l’ensemble de la filière café-cacao en Côte d’Ivoire. Ingénieur agronome, rompu au négoce international, le voilà, à 54 ans, en charge d’un secteur qui rapporte chaque année plus de 200 milliards de F CFA (300 millions d’euros) à l’État ivoirien et qui fait vivre quelque 3 millions de producteurs. 

JEUNE AFRIQUE : Nommé juste avant le ­démarrage de la campagne de commercialisation du cacao, quelles premières mesures avez-vous prises ?

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Gilbert Anoh Nguessan : Le temps nous est compté pour restaurer la confiance parmi tous les acteurs de la filière. Compte tenu de l’urgence, il fallait en effet intervenir dès le démarrage effectif de la campagne, c’est-à-dire le 1er octobre dernier. En fixant le prix du kilogramme de cacao bord-champ [aux planteurs, NDLR] à 700 F CFA (1,06 euro), soit une augmentation de 40 % par rapport au cours précédent, nous pensons avoir répondu à l’attente des producteurs, qui se sont toujours plaints de la faiblesse des prix pratiqués.

Quels paramètres sont pris en compte pour établir ce prix ?

Il est tout d’abord en rapport avec le marché international, où le kilogramme se vend autour de 1 600 F CFA. En même temps, compte tenu de la baisse prévisible de la production, imputable essentiellement à une pluviosité plus qu’abondante, au vieillissement et aux maladies du verger, nous avons voulu miser davantage sur la qualité pour maintenir au moins les revenus des producteurs, à défaut de pouvoir les augmenter. À terme, il faudra certainement revoir la parafiscalité pour réduire les prélèvements, mais cela est du ressort des autorités.

Mais la campagne 2008-2009 ne se présente pas très bien et vous pourriez ne pas tenir cet objectif ?

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Nous avons pratiquement acquis la certitude aujourd’hui que nous allons enregistrer un déficit de 150 000 à 200 000 tonnes pour la campagne en cours. Le respect du prix que nous avons fixé sera malheureusement fonction de la politique d’achat des exportateurs, qui se fondent sur l’importance du stock qu’ils détiennent. Au terme de l’inventaire auquel nous avons déjà procédé, nous en sommes à environ 170 000 tonnes de cacao en stock. Il aura certainement du mal à s’écouler rapidement : du fait de la persistance des pluies, les fèves auront du mal à sécher d’ici au mois de décembre. Nous tablons plutôt sur le premier trimestre 2009.

Êtes-vous intervenus dans d’autres domaines ?

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Parmi les problèmes auxquels sont confrontés les producteurs figurent le manque de financement, la prolifération des coopératives, dont beaucoup sont fictives, la défection des structures d’encadrement et la concurrence entre acheteurs de produits et coopératives. Celles-ci sont souvent confrontées à des problèmes de liquidités et jugent cette concurrence déloyale. Nous allons donc, assez rapidement, mettre en place d’ici à la fin de la campagne, en liaison avec le système bancaire ivoirien, un mécanisme de financement en faveur des petites et moyennes entreprises exportatrices, les PMEX, des coopératives exportatrices, les Coopex, et des coopératives de base.

Vous comptez leur apporter de l’argent frais sans avoir assaini la situation financière ?

Nous avons commencé à mettre de l’ordre, notamment en refusant de renouveler l’agrément à plusieurs Coopex [selon nos informations, seules 10 Coopex sur 48 et 39 sociétés exportatrices sur 49 ont reçu leur agrément pour la campagne en cours, NDLR]. Le comité va désormais veiller à ce que les exportateurs respectent leurs engagements contractuels. Nous ne tolérerons pas qu’ils soient violés. Et nous poursuivrons tous les exportateurs qui doivent de l’argent à la Bourse du café et du cacao (BCC). D’une façon générale, nous allons prendre des mesures à l’encontre des opérateurs défaillants et de ceux qui auront contrevenu aux dispositions que nous avons arrêtées.

Après les mesures immédiates, comment vous y prendrez-vous pour intervenir sur l’ensemble de la filière ?

Le comité va s’efforcer d’identifier les situations constitutives de monopole ou d’abus de position dominante. Dans cet objectif, nous allons examiner les transactions qui s’opèrent à tous les niveaux, notamment pour réduire le manque à gagner important que les finances publiques subissent du fait d’un certain nombre de pratiques devenues un peu trop courantes.

Concrètement ?

Prenons un exemple, celui du taux des impuretés déclarées par certains exportateurs. Avant la libéralisation de la filière, il n’y avait officiellement qu’environ 5 % d’impuretés. Aujourd’hui, le taux atteint près de 17 %. Il y a certainement des abus et il faut intervenir pour les identifier. Nous allons également instaurer un système de double pesage, à l’entrée et à la sortie de l’usine, pour éviter certaines « déperditions » qui représentent autant de manque à gagner pour le Trésor public. Pour des raisons similaires, le droit unique de sortie (DUS), qui était jusque-là réglé au transitaire, sera directement acquitté auprès de la direction des douanes.

Comment éviter, à l’avenir, les problèmes de mauvaise gestion et de détournements ?

Les décrets instaurant le comité, et définissant son mode de fonctionnement et les prérogatives de ses membres sont très clairs : tout doit être mis en œuvre pour éviter les dysfonctionnements que nous avons connus par le passé. Nous allons désormais fonctionner sur le mode de la transparence la plus totale en ce qui concerne la gestion de l’ensemble des structures, qui, rappelons-le, se trouvent désormais sous l’autorité de trois administrateurs provisoires et du président du comité de gestion que je suis.

De quelle façon s’articulent les responsabilités entre vous et les administrateurs ?

Nous serons directement responsables des éventuelles fautes de gestion qui seront constatées. Le décaissement des fonds pour telle ou telle structure s’effectuera sur signature conjointe du président du comité et de l’administrateur provisoire concerné, avant d’être validé par les banques agréées, avec la signature conjointe du ministre de l’Économie et des Finances et de son homologue de l’Agriculture. Par ailleurs, le financement direct des opérations de commercialisation des produits agricoles, qui a donné lieu à beaucoup d’abus, est interdit aux administrateurs provisoires. Ils peuvent néanmoins proposer la mise à disposition du système bancaire d’un fonds destiné à garantir les crédits consentis aux opérateurs du secteur.

La création du comité provisoire de gestion signe-t-elle l’échec de la politique de libéralisation de la filière café-cacao ?

Il est peut-être trop tôt pour parler d’échec. Vous constatez vous-même que toutes les structures de la filière sont restées en place. La filière café-cacao n’a pas été arrachée aux producteurs, qui sont d’ailleurs représentés par un comité des sages avec lequel nous travaillons. Les structures n’ont pas été supprimées, elles sont suspendues le temps que, parallèlement à ses activités, le comité engage des réflexions profondes pour améliorer leur fonctionnement.

Comment saurez-vous si votre mission a été menée à bien ?

Un audit sera mené par un cabinet international, six mois après le démarrage des activités du comité et des administrations provisoires. Dans l’immédiat, la priorité, pour les sept mois à venir, est de restaurer la filière, grâce à une gestion plus saine et plus transparente et en améliorant le fonctionnement de l’ensemble des structures qui interviennent. 

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