À quand un Obama français ?

Selon un sondage, près de la moitié des Françaisne se déclarent pas hostiles à l’élection d’un président noir. Pourtant, les minorités dites « visibles » restent très largement sous-représentées dans les institutions de la République.

Publié le 18 novembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Les Français, champions d’Europe de la tolérance ? Possible, à en croire un sondage publié par le quotidien International Herald Tribune pour illustrer un récent article sur le scrutin présidentiel américain du 4 novembre. À la question « Quel impact aurait, selon vous, l’arrivée au pouvoir d’un président ou d’un Premier ministre de couleur à la tête de votre pays ? » 47 % des personnes interrogées ont répondu « très ou assez positif », contre 35 % en Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie, et 27 % en Espagne…Il convient naturellement de prendre ces résultats avec précaution. Pourtant, selon Stéphane Rozès, directeur général de l’institut de sondage CSA, l’enquête en question « confirme celles que nous avons faites auparavant ». Toutes montrent que « les Français sont favorables à une représentation plus exacte des minorités, gage, selon eux, d’un meilleur fonctionnement de nos institutions ». Bien entendu, il y a loin de la coupe aux lèvres. Car ce n’est pas demain la veille qu’un Noir aura des chances raisonnables d’entrer à l’Élysée. Aucun des douze candidats à la présidentielle française de 2007 n’était issu des minorités dites « visibles ». Et un seul l’était en 2002. Une seule en l’occurrence puisqu’il s’agissait de Christiane Taubira, originaire de Guyane et candidate du Parti radical de gauche, une formation de second plan qui n’a recueilli que 2,32 % des suffrages exprimés. La situation n’est guère plus reluisante dans les autres institutions de la République. À l’Assemblée nationale comme au Sénat, l’archétype du député français reste un homme blanc âgé de plus de 50 ans, alors que, à en croire le Conseil représentatif des associations noires (Cran), au moins 10 % de la population française est composée de Noirs, d’Asiatiques et d’Arabo-Berbères…

SYMBOLE OU POUDRE AUX YEUX ?

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En arrivant au pouvoir l’an dernier, Nicolas Sarkozy a nommé au gouvernement trois femmes issues de la diversité : Rachida Dati, Rama Yade et Fadela Amara. L’objectif était évidemment de donner quelques couleurs à cette France institutionnelle décidément bien pâlichonne. Certains ont cru discerner un « geste symbolique » fort. D’autres n’y ont vu que « de la poudre aux yeux ». Peu importe. Au-delà des vœux pieux, la question cruciale reste toujours la même : pourquoi les Français issus de l’immigration – notamment africaine – ont-ils le plus grand mal à briguer les plus hautes fonctions de la République ? Font-ils preuve d’un désintérêt plus prononcé qu’ailleurs pour la chose publique ? L’héritage colonial joue-t-il un rôle ? Aux États-Unis, les combats menés par les Noirs pour la reconnaissance de leurs droits civiques les ont, au fil des années, aguerris à la lutte politique. En France, à l’inverse, le discours assimilationniste a longtemps découragé toute forme d’action communautaire. Et le vieil élitisme hexagonal a fait le reste. « Ici, la politique reste un métier quasi sacralisé, qui suppose de commencer par un mandat local et nécessite d’intérioriser des codes auxquels seuls des catégories sociales aisées ont accès », commente Rozès. L’ancrage, l’ancienneté de l’implantation des minorités « visibles » dans leur pays d’accueil joue un rôle essentiel. « Les populations noires ont débarqué en France beaucoup plus tard qu’aux États-Unis, rappelle Benjamin Stora, de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Raison pour laquelle l’émergence d’une élite noire y est plus récente. »

UNE AUTRE HISTOIRE

En réalité, cette comparaison franco-américaine est assez largement factice. Les premiers esclaves africains ont débarqué aux États-Unis dès le début du XVIIe siècle. L’esclavage a été aboli après la guerre de sécession en 1865, mais les Noirs n’ont arraché leurs droits civiques qu’en 1965. En France, l’esclavage a été plus ou moins supprimé en 1794 dans les colonies des Caraïbes (Guadeloupe, Martinique, Saint-Domingue, etc.), rétabli par Napoléon 1er en 1803 et définitivement aboli en 1848, sauf en Algérie et dans les futures colonies subsahariennes, la « question noire » n’a longtemps concerné que les territoires « d’outre-mer », dans l’indifférence, voire l’ignorance, quasi complètes de la population « métropolitaine », comme l’on disait alors. Le problème de l’intégration durable sur le territoire national de communautés étrangères – et en premier lieu africaines – nombreuses ne s’est véritablement posé qu’à partir des indépendances, autour de 1960, et surtout de la mise en place par décret, en avril 1976, à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing, de la politique dite de « regroupement familial ». Trois siècles et demi d’un côté, trente ans ou quarante ans de l’autre… Ce n’est pas tout à fait la même Histoire.

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