Voyage au cœur de l’Istiqlal
Même si Abbas El Fassi briguera probablement un troisième mandat de secrétaire général au congrès de janvier 2009,le Parti de l’indépendance souhaite jouer la carte de la modernité, avec, comme figures de proue, de jeunes ministres chantres du Maroc « qui bouge ».
Quartier général de l’Istiqlal, à Rabat, samedi 11 octobre. La réunion de la Commission nationale préparatoire du 15e congrès du parti vient de s’achever, mais les participants poursuivent des discussions animées dans la cour intérieure, couvrant le vacarme des automobiles qui circulent dans l’avenue voisine. Abdellah Elbakkali, le secrétaire général de la jeunesse istiqlalienne, s’avance, tout sourires : « Nous tiendrons finalement notre congrès du 11 au 13 janvier 2009. Nous avons pris une décision importante : au moins 20 % des postes au sein des instances dirigeantes seront réservés aux jeunes de moins de 40 ans et 20 % aux femmes. » Rédacteur en chef d’Al-Alam, le quotidien arabophone de la formation, l’homme de Larache milite de longue date pour l’injection de sang neuf au sein d’un parti réputé vieillot, clanique et rétrograde. Alors, même s’il ne fait plus guère de doute que le secrétaire général actuel, Abbas El Fassi, 68 ans, briguera un troisième mandat après modification des statuts, le Parti de l’indépendance (son nom en français) souhaite jouer la carte de la modernité avec, comme figures de proue, de jeunes ministres, chantres du Maroc « qui bouge ». Des quadras aux têtes bien faites, formés à l’étranger, comme Nizar Baraka (Affaires économiques et générales), véritable coordinateur général du gouvernement, Karim Ghellab (Équipement et Transport), Yasmina Baddou (Santé) et Ahmed Taoufiq Hejira (Logement et Urbanisme). Le nom de ce dernier, apprécié du Palais, a même été évoqué pour occuper le fauteuil de chef du gouvernement après la victoire de l’Istiqlal aux élections législatives de septembre 2007. Mais c’était mal connaître un parti où les « vieux turbans » gouvernent toujours tandis que les jeunes loups doivent attendre patiemment leur tour… Là réside l’une des clés du succès de l’Istiqlal : la grande majorité des adhérents se plie sans rechigner aux consignes d’un parti où dominent l’organisation, la discipline et le sens de la hiérarchie. Chaque semaine, le Premier ministre convie un comité restreint composé des ministres et élus de l’Istiqlal pour faire le point sur l’action du gouvernement, les relations avec le parti et les affaires internes. Des réunions qui se déroulent souvent chez lui ou chez un de ses ministres et qui servent aussi à désamorcer les crises. Mais, pour ses détracteurs, le plus vieux parti du royaume – il a été fondé en décembre 1943 – ressemble surtout à une zaouïa (confrérie), avec ses codes, ses rites et ses secrets. En haut de la pyramide, le conseil de la présidence, créé en 1982, véritable observatoire politique où l’idéologie est pensée et repensée. Cette « instance des sages » est réservée aux leaders historiques. Ils étaient cinq à y siéger avant le décès de Hachemi Filali, en juillet dernier. Restent aujourd’hui Aboubakr Kadiri, M’Hamed Boucetta, M’Hamed Douiri et Abdelkrim Ghallab. Leur influence n’est peut-être plus aussi déterminante que par le passé, mais Abbas El Fassi sait tenir compte de leurs avis lorsqu’il s’adresse au comité exécutif, instance de direction composée de vingt-cinq membres. Hassan II entourait de sollicitude les doyens pour mieux infléchir leurs décisions. Ghallab est notamment membre de l’Académie royale. « Feu le roi a facilité l’accession d’Abbas El Fassi avec leur appui. Il ne voulait pas d’Ahmed Douiri au poste de secrétaire général, car il est réputé moins malléable, précise un ancien cadre de l’Istiqlal. Il ne s’est pas trompé puisque le Premier ministre, une fois nommé, a déclaré que son programme était celui de Mohammed VI. »
Esprit de famille
Au sein de l’Istiqlal, une famille pèse plus que les autres, celle du père fondateur, Allal El Fassi, décédé le 19 mai 1974, beau-père d’Abbas, qui a épousé sa fille Oum El Banine. Et Abbas de perpétuer la tradition puisqu’il est le beau-père de Nizar Baraka, son plus proche collaborateur, et l’oncle de Taïeb Fassi Fihri, le chef de la diplomatie, dont le frère a épousé Yasmina Baddou. « On nous reproche toujours d’appartenir à un clan. Que voulez-vous ? On est né et on a baigné dans la politique depuis notre plus jeune âge. Inévitablement, on y a pris goût, explique Samira Koraïche, la belle-fille d’Allal El Fassi. Mais de là à dire que l’Istiqlal ne représente qu’une seule famille… Que faites-vous de nos 270000 membres ? » Certes, mais la descendance et les alliances se retrouvent à tous les échelons du parti. « On ne compte plus le nombre de cousins, fils, beaux-frères… Allal El Fassi, en choisissant ses gendres, a presque scellé, peut-être malgré lui, l’avenir du mouvement et d’une bonne partie de la classe politique marocaine. Un large pan des élites de l’Istiqlal, du gouvernement et des hauts dignitaires du régime est en effet le résultat, plus ou moins direct, d’un mariage contracté par l’un des membres El Fassi », estime le journaliste Karim Boukhari dans l’hebdomadaire Tel Quel. Une dynastie dont certains membres fréquentent la famille royale. Un exemple parmi d’autres : Nizar Baraka est un ami d’enfance de Moulay Hicham, même s’ils ne se côtoient plus aujourd’hui.
Compétence et Fidélité
L’Istiqlal sait également récompenser la compétence et la fidélité. Saad Alami est devenu le grand argentier du parti après avoir officié comme secrétaire particulier d’Allal El Fassi. Plus récemment, Elbakkali, le leader de la jeunesse, Malika Assimi, chargée des affaires culturelles, et Mouncef Kettani, président de l’Union générale des entreprises et professions, ont bâti leur légitimé sur le terrain et rejoint le comité exécutif. Issu du monde associatif, Kettani a adhéré à l’Istiqlal il y a une vingtaine d’années. Son « syndicat » regroupe quelque 40 000 adhérents. « On est en train de voir comment se positionner dans le futur conseil économique et social », indique l’entrepreneur. Illustration de la volonté du parti de s’impliquer dans tous les rouages socio-économiques du pays. L’Istiqlal se veut partout : il est à l’origine de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), de l’Union générale des agriculteurs (UGA), de l’Association marocaine des conseillers municipaux (AMCM), de l’Union générale des étudiants marocains (UGEM)… Il a également mis en place un grand nombre d’organisations professionnelles : alliance des médecins, des pharmaciens, des architectes, des professeurs universitaires, des ingénieurs et, dernièrement, celle des économistes, censée incarner ce Maroc de demain que veut promouvoir le roi Mohammed VI. « Composée de hauts cadres des secteurs public et privé, et de dirigeants et chefs d’entreprise, l’alliance des économistes ambitionne d’être une force de proposition en matière de mesures économiques et financières, tant à destination des instances du parti que du gouvernement », explique son président, Adil Douiri, fils de M’Hamed Douiri, qui a fait un passage remarqué au ministère du Tourisme dans le gouvernement Jettou. Reste que l’ascension de certains ministres appuyés par le Palais n’a pas toujours été bien acceptée. « En 2002, l’entrée au gouvernement d’Adil Douiri et de Karim Ghellab n’est pas bien passée au sein de la base », confie un militant. Des grincements de dents sans effet… Ingénieurs des Ponts et Chaussées, les deux hommes ont bénéficié du soutien, dit-on, d’un condisciple de poids : Abdelaziz Meziane Belfqih, conseiller du roi. Et ils se sont beaucoup impliqués dans le parti pour y asseoir leur légitimité.
L’heure des femmes et des jeunes ?
Dans un discours prononcé lors de l’ouverture de la session d’automne du Parlement, le 10 octobre, le roi a appelé au rajeunissement des partis et à leur féminisation. L’Istiqlal s’y attelle puisqu’une troisième génération de cadres, trentenaires, fait ses armes dans les ministères. Adil Ben Hamza, 32 ans, docteur en sciences politiques, est conseiller du Premier ministre. Abdeljabbar Rachidi, 38 ans, chargé de la communication, conseille Nizar Baraka. À l’étranger, les pontes du parti ne manquent pas une occasion d’aller rencontrer les étudiants des grandes écoles (Centrale, Polytechnique, Sciences-Po) pour les inciter à rejoindre le mouvement. On dénombre des sections étrangères en France, en Angleterre, en Italie, en Espagne… Quant aux responsables de la jeunesse, ils préparent la quatrième génération au sein de ses 180 sections (qui vont du scolaire à l’universitaire) et du mouvement scout marocain, fort de 25 000 adhérents. Les femmes istiqlaliennes entendent également jouer leur partition, même si, comme au sein des autres partis, elles sont relativement marginalisées. Naïma Khaldoun, présidente des femmes de la formation, y veille : « Nos efforts commencent à porter leurs fruits. Depuis 2007, la présidente du groupe parlementaire du parti, Latifa Smires Benanni, est des nôtres. Nous avons six députées et nous occuperons bientôt au moins 20 % des postes dans les instances de direction. On va se battre pour avoir 30 % des places sur les listes communales, mais ce sera difficile à faire accepter aux chefs de tribu. » Et de rêver un jour d’une secrétaire générale à la tête du parti. Ce qui ne signifie pas pour autant une évolution de fond des positions sur les grands sujets de société. Si les femmes du parti militent pour l’égalité des sexes et le renforcement des actions sociales, beaucoup sont très réservées, comme leurs homologues masculins, sur la légalisation de l’avortement ou l’abolition de la peine de mort. Un conservatisme intimement lié aux pesanteurs religieuses.
Une machine électorale
Premier dans les instances locales (municipalités et autres collectivités locales), dans les organisations professionnelles (agriculture, commerce, services…), à la Chambre des députés et des conseillers, le parti de la balance – symbole électoral – est également le mieux implanté dans les campagnes avec près de 1 200 municipalités rurales sur 1 530. Aux élections municipales du 12 juin 2009, il présentera entre 8 000 et 9 000 candidats, loin devant les autres formations. Le parti quadrille le pays à travers des cellules – les khalaya. Ses représentants prennent part aux congrès provinciaux, qui font remonter les revendications de la base. Près de 70 inspecteurs – des « gouverneurs politiques » salariés du parti (avec voiture de fonction, carburant, téléphone, fax) – sont chargés de gérer les relations entre le siège, les wilayas, les collectivités locales et les militants. Un modèle d’organisation qui a inspiré d’autres formations comme le Parti de la justice et du développement (PJD). « Il faut relativiser l’importance de toutes ces structures, certaines ne sont que des coquilles vides », tempère un ancien de L’Opinion, l’organe francophone du parti, avant de se reprendre : « L’Istiqlal est une formidable machine électorale capable de mobiliser des fonds importants et tout un réseau de sympathisants. Il devrait remporter, encore une fois, les élections municipales du 12 juin prochain. »
Le nerf de la guerre
Le parti dispose de moyens très importants pour financer ses activités. Mais il est difficile de connaître l’ampleur exacte de son patrimoine. Officiellement, l’Istiqlal bénéficie de subventions publiques. Il détient également les quotidiens Al-Alam et L’Opinion, une imprimerie, des parts dans une entreprise d’importation de papier journal, et il est actionnaire à 50 % de la société d’édition Sapress. Il envisage même de créer une radio FM. « On dispose aussi de très nombreux biens immobiliers, des écoles privées, des terres… sans oublier les fortunes personnelles de plusieurs de nos membres », ajoute un cadre de l’Istiqlal. Un inventaire financier bien difficile à dresser… même pour la trésorerie du parti.
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