LES HOMMES DU 7 NOVEMBRE
Il y a vingt et un ans, Zine el-Abidine Ben Ali devenait le deuxième président de la Tunisie indépendante. Qui étaient et que sont devenus les hommes qui, sous sa houlette, ont directement contribué au Changement ? Et à qui ont-ils transmis le flambeau ? Enquête.
Le président Zine el-Abidine Ben Ali, 72 ans, fête, ce 7 novembre, le vingt et unième anniversaire de son accession au pouvoir, quelques semaines après avoir annoncé, le 31 juillet, lors du congrès du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir), qu’il serait candidat à l’élection présidentielle de 2009. Dans la perspective d’un cinquième et dernier mandat de cinq ans, il a profité du congrès du RCD pour amorcer une opération de renouvellement du personnel politique du régime. Dans l’équipe qui entoure le président, l’heure est donc désormais à la relève. Comme elle l’a été, par touches successives, à différentes étapes de ses quatre mandats. L’occasion de revenir sur les hommes qui ont contribué, sous la houlette de celui qui était alors le Premier ministre de Habib Bourguiba, au Changement du 7 novembre 1987. Ceux du premier cercle et ceux qui leur ont succédé. Qui étaient les premiers et que sont-ils devenus ? Et à qui ont-ils transmis le flambeau ? Enquête. Vingt et un ans après, on serait tenté de dire que Ben Ali est le seul « homme du 7 Novembre ». Ceux qui étaient autour de lui dans la nuit du 6 au 7 novembre 1987 se comptent sur les doigts de la main. Et n’étaient, en réalité, que les membres d’un orchestre restreint où chacun jouait la partition qui lui revenait. Ils étaient, si l’on peut dire, « les hommes de l’homme du 7 Novembre ». À leur tête, on retrouve Habib Ammar, un vieil ami de Ben Ali, commandant de la Garde nationale (gendarmerie), à qui celui-ci donna instruction de prendre, au milieu de la nuit, le contrôle du Palais présidentiel de Carthage. Une opération facilitée par un dispositif de sécurité relativement lâche à l’époque. Le président Habib Bourguiba est écarté sur la foi d’une attestation médicale signée par sept médecins (voir encadré p. 45) « requis par le procureur général de la République de donner un avis médical autorisé sur l’évolution de la santé physique et mentale du président Bourguiba ». Aux termes de l’article 57 de la Constitution, le Premier ministre en exercice, Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis un mois et cinq jours, lui succède. Et devient ainsi le deuxième président de la Tunisie indépendante. Pacifiquement et sans effusion de sang. La grande majorité de la population tunisienne accueille ce « coup d’État médical » avec soulagement.
des amis de longue date
De tous les « hommes de l’homme du 7 Novembre », outre Habib Ammar, un autre au moins était dans le secret de ce qui s’est passé dans cette nuit du vendredi au samedi où tout a basculé : Hédi Baccouche. Ministre des Affaires sociales en 1987, il est lui aussi un vieil ami de Ben Ali, qui en fera son premier chef du gouvernement. Les deux hommes étaient-ils les seuls au courant ? Nombreux sont ceux qui l’affirment. Mais il y a fort à parier que d’autres personnalités dont Ben Ali était le supérieur hiérarchique ont eu à exécuter ses ordres cette nuit-là. La tension entre le pouvoir et les islamistes d’Ennahdha étant alors à son paroxysme, les opérations pour neutraliser toute velléité de résistance au Changement sont menées sous couvert de lutte contre un supposé coup d’État des intégristes. Un homme comme Abdallah Kallel, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur et entièrement acquis à Ben Ali, ne pouvait pas ne pas être au courant. Enfin, deux intimes étaient aux côtés de Ben Ali pendant cette période charnière : Slim Chiboub, son gendre et figure populaire dans le milieu du football, et Kamel Letaief, un entrepreneur et ami de longue date, dont le rôle occulte était de notoriété publique. Mais si le premier est resté, depuis, discret et modeste, le second, tombé en disgrâce en 1993, s’est épanché publiquement. Le dépit aidant, Letaief, qui s’était constitué un large réseau d’influence, est allé jusqu’à prétendre, en 2001, dans les colonnes du quotidien français Le Monde, qu’il figurait parmi la poignée d’hommes qui avaient « conçu et réalisé » le Changement du 7 Novembre. Les péripéties politiques, les ambitions, les rivalités, et l’âge pour certains, font qu’à l’exception de Kallel, les membres de ce premier cercle ne font plus partie de l’entourage de l’homme du 7 Novembre ou sont à la retraite, tandis que plusieurs personnalités du deuxième cercle sont encore en place.
Immédiatement nommé Premier ministre par le nouveau président, Hédi Baccouche restera en poste jusqu’en octobre 1989, soit moins de deux ans, payant sans doute un verbe que d’aucuns jugeaient trop haut. « Le changement, je l’ai fait », déclare-t-il, en 1989, à Jeune Afrique (J.A. n° 1472). Il se reprendra par la suite, mais ses rivaux politiques au sein du sérail avaient déjà monté en épingle ses propos et bien d’autres relatifs à la politique économique. Depuis, celui que le politologue français Michel Camau désignait, dans un livre collectif sur Habib Bourguiba, La Trace et l’Héritage (Karthala, Paris, 2004), comme étant « pratiquement le dernier entrepreneur politique en activité » en Tunisie, vit une retraite active. Militant destourien dès sa jeunesse, apprécié par son cadet Ben Ali, originaire, comme lui, de la ville de Hammam-Sousse, il a suivi un parcours atypique, collaborant avec Ahmed Ben Salah, le père de la collectivisation, puis Hédi Nouira, le Premier ministre libéral, avant de se mettre au service de Ben Ali. Baccouche, 78 ans, est aujourd’hui membre du comité central du RCD et de la Chambre des conseillers (Sénat). Il lit beaucoup quand il ne joue pas au golf ou ne donne pas de conférences à l’étranger. Sa silhouette frêle et ses cheveux blancs ne passent pas inaperçus dans les manifestations officielles auxquelles le convie régulièrement Ben Ali et où il est reçu avec les égards dus à son rang. « Ses rapports avec le régime et plus particulièrement avec le président sont très bons et empreints de respect, souligne l’un de ses amis. Mais, autant que je sache, il se garde de revenir en arrière. » Sauf pour louer le « courage et la sagesse » de Ben Ali, qui, il y a vingt et un ans, « a fait fi des conséquences et des dangers » en accédant à la magistrature suprême.
Né en 1936, la même année que son ami et camarade de promotion Ben Ali, Habib Ammar est aujourd’hui dans les affaires et coule une retraite dorée. Nommé ministre de l’Intérieur en novembre 1987, il quitte son poste au bout d’un an pour devenir conseiller spécial de Ben Ali, avant d’être envoyé comme ambassadeur à Vienne où il restera quatre ans. De retour en 1995, il prend la tête du ministère des Communications jusqu’en 1997. Il est rappelé en 2001 par Ben Ali, qui le nomme à la tête du Comité préparatoire des Jeux méditerranéens. En 2003, le président le sollicite de nouveau pour superviser la préparation matérielle du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), à Tunis, en novembre 2005, ce qui n’est pas du goût des organisations humanitaires étrangères. En mission au Congo (aujourd’hui République démocratique du Congo) dans les années 1960 avec les Casques bleus tunisiens de l’ONU, il aurait, selon certains, gardé son côté baroudeur de l’époque. On l’aperçoit parfois parmi les invités dans les manifestations officielles au palais présidentiel de Carthage, mais moins souvent que Baccouche. Il y est cependant reçu avec autant d’égards.
Haut fonctionnaire à l’Intérieur, Abdallah Kallel est promu secrétaire général du ministre de l’Intérieur en mai 1986, soit un mois après que Ben Ali en a pris les rênes. Depuis, les deux hommes ne se sont plus séparés. Dix jours avant la déposition de Bourguiba, Ben Ali, qui cumule la primature et l’Intérieur, en fait son secrétaire d’État à l’Intérieur. Le 7 novembre, Kallel se retrouve secrétaire d’État à la présidence, puis occupe, tour à tour, les postes de ministre de la Défense (1989-1991 ; 1996-1997), de l’Intérieur (1991-1995 ; 1999-2001) et de la Justice (1997-1999). Avec un tel CV, sa réputation de dur est toute faite, en tout cas auprès des associations humanitaires et des organisations de défense des droits de l’homme. Kallel, 65 ans, est aujourd’hui président de la Chambre des conseillers (Sénat) et demeure l’un des principaux collaborateurs de Ben Ali.
le deuxième cercle
Le deuxième cercle est celui des hommes politiques issus du sérail bourguibien et que Ben Ali a récupérés en les maintenant ou en les nommant à des postes clés. Comme Baccouche, Ammar et Kallel, ils sont devenus des « barons » du 7 Novembre. En tête figure Hamed Karoui, qui, après avoir pris la direction du parti en 1988, succède, un an après, à Baccouche au poste de Premier ministre qu’il réussit à conserver pendant dix ans. « Il avait un instinct de conservation très développé, à tel point qu’il prenait rarement la parole en Conseil des ministres », note, à ce propos, l’un de ses amis. Karoui est ensuite promu par Ben Ali premier vice-président du RCD et numéro deux dans le protocole de l’État. Au mois d’août dernier, ce médecin pneumologue de 80 ans cède sa place au Premier ministre Mohamed Ghannouchi dans le cadre du renouvellement du personnel politique. Et prend sa retraite. Il est particulièrement populaire à Sousse, dont il a longtemps été le député-maire mais aussi, vingt ans durant, le président de son club de football, l’Étoile sportive du Sahel. Nommé Premier ministre le 2 octobre 1987, Ben Ali désigne Mohamed Ghannouchi, un économiste, comme secrétaire d’État (vice-ministre) chargé du Plan. Mais le président Bourguiba fait une fixation sur ce dernier, à qui il reproche… d’avoir le même patronyme que son ennemi juré, Rached Ghannouchi, chef du Mouvement de la tendance islamique, alors poursuivi par la justice et dont le Combattant suprême réclame l’exécution. Bourguiba demande à plusieurs reprises à son Premier ministre de se séparer de Mohamed Ghannouchi. En vain. Non seulement Ben Ali maintient son secrétaire d’État dans ses fonctions, mais le promeut ministre du Plan dans son gouvernement post-7 Novembre avant de le nommer, en 1995, Premier ministre. Professeur de droit et ancien ministre de l’Enseignement supérieur sous Bourguiba, Abdelaziz Ben Dhia est nommé par Ben Ali président du Conseil constitutionnel, créé un mois après le Changement, avant de devenir l’un des principaux porte-étendards du 7 Novembre, surtout depuis qu’il est ministre d’État à la présidence, où il a notamment été la cheville ouvrière de la réforme de la Constitution, en 2002. Abdelwahab Abdallah, 68 ans, était déjà ministre de l’Information lorsque Ben Ali a accédé à la magistrature suprême. Celui-ci l’y a maintenu avant d’en faire un « baron » du 7 Novembre en le nommant ministre-conseiller à la présidence en charge de la communication, puis ministre des Affaires étrangères. Slaheddine Bali (décédé en 2002), déjà baron du bourguibisme, a été maintenu à son poste de ministre de la Défense, tirant profit de la passivité de l’armée le 7 Novembre. Parmi les cadres qui n’ont pas fait partie des gouvernements de Bourguiba, certains sont passés comme des météorites, mais d’autres sont toujours là. C’est le cas d’Abderrahim Zouari, ministre des Transports, et de Mondher Zenaidi, ministre de la Santé. D’autres ont été de très proches collaborateurs de Ben Ali, comme Moncer Rouissi, qui a occupé plusieurs postes ministériels avant d’être écarté, puis rappelé, cette année, pour présider la Commission chargée de la consultation nationale sur l’emploi (voir J.A. n° 2493-2394), grande priorité du régime.
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