Les ONG en font-elles trop ?
Après de vaines négociations, MSF-France a annoncé le 29 octobre son retrait du pays. Ses activités nutrionnelles étaient suspendues par Mamadou Tandja, qui accuse l’organisation de faire cavalier seul et d’exagérer la crise.
La bataille était perdue depuis plusieurs semaines déjà. Médecins sans frontières-France, dont les activités étaient suspendues à Maradi (centre-sud du Niger) depuis le 18 juillet, savait qu’il serait difficile de convaincre les autorités nigériennes de les laisser poursuivre leur travail. Il y a longtemps que les French Doctors agacent le président Tandja, un homme réputé très rigide. Au-delà de ce cas particulier, les organisations humanitaires ont de plus en plus de mal à se faire accepter, et pas seulement au Niger. Pour comprendre la défiance du chef de l’État nigérien envers MSF, il faut remonter à 2005. C’est le printemps en Europe, les vacances approchent. Au Niger, c’est le début de la période de soudure, celle qui, entre deux récoltes, est synonyme de disette pour les populations les plus vulnérables. Des organisations humanitaires, dont des agences des Nations unies, ont déjà tiré la sonnette d’alarme : il faudra cette année-là plus d’aide pour le Niger. Plusieurs facteurs sont en cause : les criquets, la flambée des prix sur les marchés, le non-retour des migrants de Côte d’Ivoire en proie à la guerre, etc. Sur le diagnostic, tout le monde s’accorde. Ce que le gouvernement va reprocher à MSF, c’est la publicité donnée à cette crise et l’emploi du mot « famine » par les médias après cette campagne où l’on a vu des photos d’enfants décharnés dans tous les journaux occidentaux. Le battage médiatique avait été assourdissant. Pour le président Tandja, ce déballage nuit à l’image du Niger. La campagne est perçue comme une insulte, insinuant que le pays ne serait pas capable de nourrir ses enfants. Les agences de Nations unies qui sont aussi impliquées dans la gestion de cette crise marchent sur des œufs et ne communiquent que dans la discrétion auprès de leurs bailleurs. Résultat, sur les 80 millions de dollars attendus, elles n’en recevront que la moitié.
lÉgitimité humanitaire
« On a froissé les plus hautes autorités nigériennes. Là, on tombe sur un sujet politique tout à fait central et très délicat », analyse aujourd’hui le Français Rony Brauman, ancien président de MSF et directeur du Crash, un centre de réflexion sur l’action humanitaire. « MSF a cherché à déclarer une sorte d’état d’urgence en 2005 et a eu le mérite de contribuer à faire de la malnutrition un enjeu politique. […] D’un autre côté, je comprends très bien que l’état d’urgence, même employé de façon métaphorique, soit le critère fondamental de la souveraineté. Là, on a un conflit de légitimité, la légitimité étatique et une forme de légitimité humanitaire », ajoute-t-il. Très jaloux de son indépendance, MSF ne fait appel qu’à des dons privés. La concurrence entre ONG est de plus en plus rude. Leurs capacités d’intervention, leur survie même, dépendent de leur visibilité dans un paysage humanitaire encombré. Sur le terrain, à Maradi, l’intervention de MSF était, jusqu’en juillet dernier, déterminante dans la prise en charge de la malnutrition. En 2005, près de 40 000 enfants atteints de forme sévère de sous-alimentation sont sauvés ; en 2007, ils sont environ 22 000 ; en 2008, ils étaient encore près de 14 000, avant même le début de la période de soudure. Globalement, les autres intervenants extérieurs dans cette crise endémique reconnaissent la qualité du travail de MSF mais s’accordent à dire qu’au Niger la situation est « extrêmement sensible », aujourd’hui comme en 2005. « Les responsables de MSF ont parfois fait preuve de maladresse dans leur rapport avec le gouvernement », indique le porte-parole d’une organisation présente dans le pays depuis plusieurs années. Et de citer le cas du Burkina, où les taux de malnutrition infantile sont supérieurs à ceux du Niger et où les humanitaires travaillent sans problème. L’attitude inflexible du président Mamadou Tandja, il est vrai, n’arrange rien. Et les signaux envoyés par le gouvernement ne sont pas clairs. D’un côté, il met en place une stratégie nationale de lutte contre la malnutrition, avec un nouveau protocole de traitement, et, dans le même temps, il nie totalement l’ampleur du problème. Le ministre de la Santé, Issa Lamine, réfute les chiffres avancés par les organisations internationales. Il affirme que l’hôpital de Maradi n’a accueilli depuis juillet que 46 enfants souffrant de malnutrition, alors que MSF avançait le chiffre de 500 admissions par semaine dans ses centres. Très remontées, les autorités nigériennes sont allées jusqu’à accuser MSF d’entretenir la malnutrition pour récolter des fonds.â©« Il y a avec la malnutrition un tabou, comme il y en a eu par exemple sur le sida. Les États rechignent à en parler », explique le docteur Marie-Pierre Allié, présidente de MSF-France, qui est allée plusieurs fois à Niamey tenter de résoudre le conflit.
PRÉSERVER LES EMPLOIS
Issa Lamine estime pour sa part que les structures gouvernementales peuvent prendre le relais des ONG. « Il ment ! Le gouvernement n’a pas les moyens. On ne repousse pas l’aide humanitaire internationale quand on a un budget qui dépend à 40 % des aides extérieures, même si je reconnais que, moi aussi, je me sens blessé quand je vois des images déplaisantes de mon pays », indique Sanoussi Jackou, député de Maradi et président du Parti nigérien pour l’autogestion (PNA). Le député, qui a interpellé le 20 octobre le ministre de la Santé, affirme que les 22 représentants de la région de Maradi au Parlement, tous partis politiques confondus, sont du même avis : il faut laisser travailler MSF. Avec un premier souci pour les parlementaires, préserver les 350 emplois locaux, qui à eux seuls permettent à plus de 3 000 personnes de vivre. Les ONG sont des grands pourvoyeurs d’emplois sur le continent et, parfois, ce seul apport à l’économie locale suffit aux yeux des autorités à justifier leur présence. Sanoussi Jackou reconnaît que l’organisation n’a pas su s’y prendre avec les autorités et a commis des impairs. Il est aussi très critique sur les interventions extérieures. « En 2005, le Niger était censé recevoir 47 milliards de F CFA de dons (plus de 70 millions d’euros). Une grande partie est consacrée au fonctionnement des ONG, c’est un premier problème. Le second, c’est qu’elles pulvérisent les structures étatiques. L’État ne contrôle plus rien, il n’est même plus maître des programmes de santé. Ça va largement au-delà de MSF. C’est un vrai problème, et ça il faut en parler à l’ONU, le résoudre globalement », explique le député. Il dénonce aussi la « malfaisance » de certains personnels de santé à Maradi, qui ont tout fait, selon lui, pour torpiller les opérations de MSF et conserver la mainmise sur les vaccinations ou les carnets de santé qu’ils vendent alors que les French Doctors, eux, les donnent. MSF a eu beau essayer de se rabibocher avec les autorités, rien n’y a fait. Au contraire, d’autres organisations humanitaires, qui négocient actuellement dans la plus grande discrétion, risquent à leur tour de voir se fermer les portes du pays. Au Niger, mais ce fut aussi le cas en Chine après le tremblement de terre, ou en Birmanie, pour n’évoquer que les cas les plus connus, les autorités supportent de plus en plus mal l’interventionnisme occidental. « Il y a globalement de moins en mois d’acceptation des ONG. On veut bien d’elles si elles sont des prestataires de services, mais on s’en méfie quand elles revendiquent leur autonomie et leur propre stratégie », analyse Philippe Ryfman, avocat, professeur à Sciences-Po et spécialiste des ONG. « On leur prête des intentions cachées », ajoute-t-il. Le doute persiste sur leur lien avec les gouvernements, les services de renseignements ou différents lobbies politiques, économiques ou religieux. Une déclaration de Bernard Kouchner avait ainsi fait scandale début octobre. Le ministre des Affaires étrangères, et fondateur de MSF – qu’il a quitté en 1979 –, avait dit à Jérusalem : « Officiellement nous n’avons aucun contact avec le Hamas, mais officieusement il y a des organisations internationales qui entrent dans la bande de Gaza, en particulier des ONG françaises qui nous donnent des informations. » Tollé évidemment du côté des humanitaires, qui veulent à tout prix ne pas passer pour des indics, malgré leur rôle évident de témoins, en particulier dans les zones à risque où, à part eux, personne ne s’aventure.
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