les raisons d’une défaite

Alors que tout le Nord-Kivu est directement menacé, comment expliquer que les forces gouvernementales n’aient pas su s’opposer à l’agression des rebelles de Laurent Nkunda, pourtant cinq fois moins nombreux ?

Publié le 17 novembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Goma, la belle capitale du Nord-Kivu, à la merci des rebelles du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) : pour l’armée congolaise, le coup est rude. De source proche des Nations unies, tout s’est joué le 29 octobre. La veille, une brigade des Forces armées de la RDC (FARDC) commandée par le colonel Padiri avait pourtant réussi à faire reculer l’ennemi de quelques centaines de mètres, dans le secteur de Kibumba, à une trentaine de kilomètres au nord de Goma. Mais à l’aube du 29, les soldats de cette même brigade ont été surpris par des tirs de mortier en provenance de l’est, donc de la frontière toute proche. Rien ne prouve que les tirs venaient du Rwanda, mais la réaction a été immédiate. Un officier de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) raconte : « Aussitôt, les FARDC ont pris peur. Face aux Rwandais, ils savent que la partie sera rude. Alors, dans le doute, ils se sont enfuis. En fait, il n’y a pas eu de vraie bataille, sinon sur le plan psychologique. » La ruse de guerre de Laurent Nkunda a payé…Sur le papier, la supériorité des FARDC semble écrasante : cinq fois plus de combattants (25 000 contre 5 000), plus la couverture aérienne des hélicoptères de combat de la Monuc. Depuis quatre ans, les revers de l’armée face aux agresseurs de l’ex- « général félon » tiennent à deux choses. D’abord, l’expérience du feu. Les rebelles de Laurent Nkunda sont rompus à toutes les techniques de  la guérilla. Quand ils veulent tenir une position face à un bombardement d’artillerie, ils s’enterrent dans des tranchées. Quand ils veulent faire mouvement, ils se dispersent en petits groupes pour échapper â¨aux tirs d’hélicoptères. Le CNDP a été à l’école de l’armée patriotique rwandaise… Ensuite, la corruption d’une bonne partie de l’état-major congolais. « À quoi bon se battre pour des officiers qui restent à l’arrière et s’en mettent plein les poches ? » se dit l’homme de troupe. Depuis les dernières années du régime Mobutu, l’armée congolaise est devenue avant tout une pompe à finances. Avec deux méthodes privilégiées. Le détournement de matériels de guerre accompagné d’une dîme trop souvent prélevée sur la solde des militaires. Et l’exploitation des mines de l’est du pays. Dans un rapport publié le 10 septembre, l’ONG britannique Global Witness affirme par exemple que la 85e brigade des FARDC participe au pillage des mines d’or et de cassitérite au Nord-Kivu. De son côté, l’ONG congolaise Pole Institute met en évidence le rôle d’un officier congolais, « Colonel Sam », dans le trafic des minerais de la région aux côtés des rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).  Au Congo, personne ne s’étonne de voir un officier supérieur à la tête d’une société commerciale ou d’un club de sport. Ainsi, à Kindu, le chef d’état-major des forces terrestres de RD Congo, le général Gabriel Amisi, dit « Tango Four », possède une compagnie de fret aérien, Maniema Union, et un club de football du même nom. À Kinshasa, Tango Four est le président d’un autre club, l’AS Vita Club. Au bord du grand fleuve, les nouveaux riches de l’armée congolaise ne se cachent plus. Dans la capitale, on ne compte plus les belles demeures bâties par des généraux, des colonels et même de simples capitaines ou lieutenants. « Au Congo, l’armée est privatisée », lâche un conseiller auprès de la Monuc. Depuis cinq ans, l’Union européenne et la Monuc s’efforcent de faire le ménage. Grâce à un recensement biométrique, elles ont réussi à débusquer plus de 150 000 soldats fantômes, c’est-à-dire autant de soldes qui échouaient dans les poches de quelques dignitaires en vue. Elles ont aussi imposé une procédure de paiement distincte de la chaîne de commandement. Aujourd’hui, ce n’est plus le chef de corps qui paie ses hommes. Premier résultat : la solde moyenne est passée de 10 dollars à plus de 40 dollars. Mais l’objectif d’une armée de 100 000 hommes touchant une solde de 60 dollars est encore loin d’être atteint…  Évidemment, rien ne changera tant que les officiers supérieurs affairistes, dont beaucoup sont originaires du Katanga, du Maniema et des deux Kivus, auront, à tort ou à raison, le sentiment d’être protégés. Signe que les choses sont peut-être en train de changer : depuis la reprise des hostilités, le 28 août, le président Joseph Kabila suit de très près l’évolution des combats au Nord-Kivu. Sans passer par le chef d’état-major général des FARDC, le général Kayembe, ou par celui de la 8e région militaire, le général Mayala, il lui arrive de téléphoner directement au colonel Delphin Kahimbi, un ancien chef maï-maï devenu commandant chargé des opérations au Nord-Kivu. Désormais, ce qui compte avant tout dans l’armée congolaise, c’est d’avoir l’oreille du président.

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