Il faut tuer Bretton Woods
Je m’insurge, et j’espère que nous serons très nombreux à le faire, contre la composition de ce « machin » dénommé le « G20 ». Il avait une existence sporadique au niveau ministériel, mais, vous l’avez appris, il se réunira, pour la première fois au niveau des chefs d’État ou de gouvernement, le 15 novembre prochain, dans les environs de la capitale fédérale américaine. On ne sait pas très bien qui l’a décrété, mais c’est au sein de cet étrange aréopage – un G8 élargi à la va-vite – que se prendront désormais les décisions censées sortir la planète de la crise économique dans laquelle elle est en train de s’enfoncer. Ce G20 sera, collectivement, une espèce de chef de clinique prescripteur d’ordonnances : il ne nous restera, à nous autres malades, qu’à absorber les potions qu’il aura prescrites et qui seront amères. Nous le savons bien : le médecin le plus compétent ne sera efficace pour vous guérir que s’il vous inspire une grande confiance. Or ce G20 n’en inspire aucune : sorti à la hâte d’on ne sait quel chapeau pour remplacer un G8 trop discrédité, il n’est pas représentatif du monde d’aujourd’hui, beaucoup s’en faut :
1) L’Europe, « la vieille Europe », a dit d’elle un malveillant, y est outrageusement surreprésentée : cinq pays (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Russie) sur les dix-neuf États membres. Plus, pour faire bonne mesure… l’Union européenne, seule entité régionale à siéger au sein de ce G20 ! Ajoutez-y la Turquie, futur membre de l’Union, et vous avez un total étonnant : sept participants sur vingt – le tiers – sont européens !Cette Europe, Turquie incluse, ne compte pourtant que 810 millions d’habitants, 12 % des habitants de la planète.
2) Les pays de l’Amérique du Nord : Canada, États-Unis et Mexique sont là tous les trois : on ne pouvait faire mieux ! Ajoutez le Brésil et l’Argentine pour l’hémisphère sud de l’Amérique et vous avez cinq voix pour le continent américain (950 millions d’habitants). Dont celle des États-Unis, qui pèse beaucoup plus que toutes les autres. Bien que quatre fois plus peuplée, l’Asie n’a que cinq représentants : le Japon, l’Inde, la Chine, l’Indonésie et la Corée du Sud (à eux seuls, ces cinq pays regroupent 50 % de la population mondiale). Parent pauvre, l’Afrique, qui, avec 950 millions d’habitants, est plus peuplée que l’Europe, a un seul représentant au sein de ce G20 : l’Afrique du Sud. Estimons-nous heureux que ce ne soit plus, de justesse, le pays de ce détestable apartheid de triste mémoire.Qui représente au sein de ce G20 le monde arabe ? Le pays le plus peuplé ? Le plus proche de la démocratie ? Celui dont la population est la mieux éduquée ? Que nenni. On a désigné, au contraire, le pays arabe le plus éloigné de la modernité et de la démocratie, le plus proche de l’intégrisme, le seul au monde où les femmes n’ont même pas le droit de conduire une voiture : l’Arabie saoudite.Pourquoi l’Arabie saoudite ? Pour une seule raison, mais significative de l’état d’esprit de ceux qui l’ont choisie : son territoire recèle et protège un océan de pétrole, et ses dirigeants se sont engagés à faire de leur mieux pour que l’accès à ce pétrole soit garanti à ceux des autres membres de ce G20 qui en ont grand besoin. Au risque de mettre encore plus les pieds dans le plat, comme on dit, j’ajouterai au passif de ce G20, qui se veut une adaptation du G8 au nouveau siècle, qu’il est trop blanc : les deux tiers de ses membres sont blancs alors que la population mondiale est, pour les deux tiers, voire les trois quarts, non blanche. Ce mauvais héritage du XXe siècle se retrouve dans les droits de vote au sein du Fonds monétaire international. Regardez comment s’y répartit le pouvoir encore aujourd’hui. Nous ne devrions pas accepter plus longtemps que cet autre médecin de l’économie mondiale soit, lui aussi, d’un siècle et d’une ère révolus. J’espère que la crise, dont j’ai écrit ici qu’elle est porteuse de bienfaits, scellera la fin du système de Bretton Woods. Et imposera un G14, un G20, un G25 ou un G30 plus représentatif de la nouvelle ère. Le président de la Banque mondiale a parlé tout récemment d’un « nouveau multilatéralisme ». On a beau écarquiller les yeux on ne voit, dans ce G20 qui se réunit le 15 novembre prochain près de Washington, que l’esquisse d’un faux renouveau.
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