L’Afrique subsaharienne, son pétrole, ses djihadistes…

Sécurisation de l’accès aux ressources naturelles – hydrocarbures, en premier lieu – et lutte contre le terrorisme islamiste : le futur président, quel qu’il soit, sera confronté à ces deux défis.

Publié le 17 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Ni pour Barack Obama ni pour John McCain, l’Afrique n’est un enjeu électoral, l’opinion américaine se moquant comme d’une guigne du reste du monde. En revanche, elle est un enjeu stratégique. George W. Bush, qui s’y est rendu à deux reprises, ne s’y est pas trompé. Et son successeur, quel qu’il soit, aura intérêt à faire de même. Aux yeux des Américains, le continent africain est avant tout un champ de bataille. Avec deux fronts principaux : la lutte contre le terrorisme islamiste et l’accès aux ressources naturelles, en premier lieu pétrolières. Tout pays instable constitue donc un danger potentiel, ce qui implique un travail de fond sur la gouvernance, la lutte contre la pauvreté et les grandes pandémies. Pas d’angélisme, du pragmatisme. C’est autour de ces principes simples que se fonde la politique africaine des États-Unis.

DOUBLEMENT DE L’AIDE

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En 2001, Bush avait affirmé qu’il ne voulait ni « de paternalisme » ni d’un « modèle d’exploitation qui vise à faire main basse sur les ressources du continent ». Il a doublé l’aide de son pays à l’Afrique pendant son second mandat et prévoyait de la porter à 8,7 milliards de dollars en 2010. Une grande partie de cette aide a été absorbée par les annulations de dettes. Reprenant à son compte l’initiative de Bill Clinton sur le commerce, Bush a prorogé la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (Agoa), qui permet à 98 % des produits africains d’entrer hors taxes aux États-Unis. En 2007, le montant des exportations réalisées dans ce cadre a atteint 50 milliards de dollars. Six fois plus qu’en 2001 ! Au milieu d’une multitude d’initiatives en faveur de l’école, de l’agri­culture ou de la compétitivité des entreprises, le Plan d’aide d’urgence à la lutte contre le sida (Pepfar) aura été le programme phare de la présidence Bush. Grâce à lui, 1,3 million d’Africains ont aujourd’hui accès aux antirétroviraux. En juillet dernier, Bush a prorogé ce programme en lui allouant un budget de 48 milliards de dollars sur dix ans. L’approche de la pandémie reste très marquée par l’idéologie chrétienne et est accompagnée d’appels à l’abstinence et la fidélité conjugale, souvent contre-productifs. Les démocrates ne contestent pas l’effort entrepris par Bush en faveur de l’Afrique. Obama se félicite même de l’augmentation de l’aide américaine, mais regrette qu’elle ait délaissé le volet développement. Autre axe de la politique américaine, la sécurité. Ainsi est né le 1er octobre dernier Africom, le commandement militaire américain pour l’Afrique. Aucun pays africain n’ayant pour le moment accepté cette présence militaire sur son territoire, son QG se trouve à Stuttgart, en Allemagne. Au cours des dernières années, les États-Unis ont considérablement augmenté leurs importations de pétrole en provenance d’Afrique : 1,6 million de barils/jour en 2000, 2,7 millions en 2007. Aujourd’hui, 20 % du pétrole qu’ils consomment vient du continent africain. Et la proportion devrait rapidement atteindre 25 %. Assurer la sécurité des installations pétrolières et de l’acheminement du brut est donc, pour l’administration, une priorité. Selon Antonia Juhasz, chercheuse à Foreign Policy in Focus, un think tank de Washington, le Pentagone envisagerait d’ouvrir des bases militaires au Sénégal, au Ghana et au Mali, projets qui, selon elle, auraient pour résultat d’« accroître les tensions internes, l’instabilité régionale et l’hostilité à l’égard des États-Unis ». Champ de bataille entre Américains et Soviétiques, par alliés interposés, au temps de la guerre froide, l’Afrique polarise aujourd’hui la rivalité américano-chinoise sur un enjeu : les hydrocarbures. Si l’on y ajoute la « lutte mondiale contre le terrorisme », les États-Unis ont au moins deux raisons d’augmenter leur présence militaire, ainsi que leurs effectifs dans le renseignement, en Afrique. Focalisés sur les nouvelles technologies, ils ont largement oublié les vieilles techniques de l’espionnage et n’ont plus guère d’agents sur le terrain. Sur le continent comme ailleurs, leur efficacité est, de ce fait, réduite. Dans son programme, Obama propose la création d’un « programme de partenariat sur la sécurité partagée ». Officiellement, ses objectifs sont « l’échange d’informations, la formation, la sécurisation des frontières, la lutte anticorruption, les nouvelles technologies du renseignement et la traque du financement des réseaux terroristes ». Le candidat démocrate est également favorable à un développement rapide d’Africom. S’agissant du Darfour, il se montre plus évasif que son concurrent républicain et se borne à évoquer des « pressions » pour « faire cesser le génocide » et contraindre le Soudan à accepter le déploiement d’une force des Nations unies. Moins multilatéral, McCain indique que son administration envisagera « tous les moyens de la puissance américaine » pour faire cesser les atteintes aux droits de l’homme.

MULTILATÉRALISME

De manière générale, Obama semble plus enclin que McCain à travailler avec l’ONU. Avec d’autres sénateurs, il s’est fait, en février, l’avocat au Congrès du « Global Poverty Act », un texte de loi qui engage le président des États-Unis à mettre en place une politique visant à réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015, embrassant ainsi les Objectifs du millénaire. Les deux candidats n’ont cependant pas de désaccords de fond sur la politique africaine. Du fait de ses origines kényanes, Obama a un avantage sur McCain : il connaît le continent autrement qu’à travers des rapports ou des missions éclairs. Il n’a jamais vécu au Kenya et n’a pratiquement pas connu son père, mais « il a été élevé dans une double culture africaine et américaine par une mère soucieuse de ne pas le couper de ses racines », explique Martin Even, auteur d’un livre sur Obama*. Pour élaborer sa politique, Obama a fait appel à Susan Rice, qui fut secrétaire d’État adjointe chargée de l’Afrique dans l’administration Clinton (1997-2000) et qui travaille aujourd’hui pour la Brookings Institution, un think tank proche des démocrates, et à Zbigniew Brzezinski, patron du Conseil national de sécurité sous Jimmy Carter. Obama compte aussi sur Anthony Lake, autre ancien de l’équipe Clinton (il recommanda à ce dernier de ne pas intervenir au Rwanda pendant le génocide de 1994), et sur John Prendergast, documentariste, conseiller à l’International Crisis Group et fondateur de l’« Enough Project » sur le Darfour. McCain est, lui, entouré de vieux routiers qui firent l’essentiel de leur carrière pendant la guerre froide (Henry Kissinger, George Shultz, Lawrence Eagleburger) ou d’incorrigibles néoconservateurs (William Kristol, Robert Kagan), chantres d’une « hégémonie bienveillante » des États-Unis fondée sur un large déploiement militaire. Pour l’instant, on chercherait en vain un africaniste dans la longue liste des conseillers de McCain…Détail significatif : le site officiel du candidat républicain ne comporte pas d’entrée « politique internationale », le reste du monde étant, exception faite de l’Irak, réparti entre les sections « sécurité nationale », « économie » et « énergie ».

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