La Francophonie qui gagne
Hubert Haddad a reçu le prix des Cinq continents de la Francophonie pour Palestine. Un road movie en terre biblique, inspiré par le suicide de son frère, un juif tunisien parti vivre dans un kibboutz. Entretien.
«On tient avec Palestine un livre grave, très fort, très humain. Ce livre est tragique, mais il est plein de détails qui font que cette tragédie n’est pas désespérée. » Dans la bouche de Jean-Marie Gustave Le Clézio, tout juste couronné Nobel de littérature, ces mots prenaient une résonance particulière au cabaret du Capitole de Québec, le 13 octobre, lors de la cérémonie de remise du prix des Cinq continents de la Francophonie. Le jury, dont l’écrivain franco-mauricien est un membre assidu depuis la création du prix par l’Organisation internationale de la Francophonie, en 2001, a unanimement salué les qualités littéraires du roman d’Hubert Haddad. Palestine est à la fois un reportage poétique, l’histoire d’un amour impossible et un plaidoyer contre la politique colonialiste de l’État hébreu. L’intrigue elle-même ne manque pas de ressort. Près d’Hébron, deux soldats de Tsahal sont pris sous le feu d’un commando palestinien. Tzvi, le premier, est tué. Le second, Cham, sérieusement blessé, est enlevé par les assaillants. Après que la colonne palestinienne a été anéantie par un bombardement israélien, le jeune otage se retrouve dans une maison habitée par une vieille femme aveugle et sa fille, Falastìn, anorexique. Entre-temps, Cham a perdu à la fois ses papiers d’identité et la mémoire. Pour la vieille femme, il ne peut être que Nessim, le fils dont elle attend le retour depuis des années. Falastìn, elle, n’est pas dupe, mais fait comme si Cham, dont elle s’est éprise, était son frère. Quant au soldat amnésique, il est devenu un Palestinien à part entière. La suite est une espèce de road movie en terre biblique, jusqu’à un dénouement incertain, à l’image du destin de deux peuples si proches (comme le montre le changement d’identité de Cham) et pourtant incapables de se comprendre. Les pérégrinations de Falastìn et de Cham sont avant tout un prétexte pour raconter le quotidien des Territoires occupés : contrôles, arrestations, brimades en tout genre. Ce roman a encore plus de force symbolique quand on connaît les origines de l’auteur. Né à Tunis en 1947, Hubert Haddad, auteur d’une cinquantaine de livres, a grandi dans les quartiers populaires de Paris et de sa banlieue. Mais il n’a rien oublié de ses origines juives. Il lui faut donc beaucoup d’audace et de courage pour raconter le désespoir des Palestiniens et, sinon justifier, du moins comprendre, les actes meurtriers de certains d’entre eux.
JEUNE AFRIQUE : Vous considérez-vous comme Tunisien ?
HUBERT HADDAD : Bien sûr. Ma famille paternelle, des juifs dhimmisés, est tunisienne depuis des générations et des générations. Donc bien avant la colonisation. La famille de ma mère, elle, vient d’Oran et de Constantine en Algérie.
Retournez-vous en Tunisie ?
Assez fréquemment. On m’invite à des rencontres. J’y vais aussi pour moi. À Sidi Bou Saïd ou à La Goulette, où j’ai vécu quand j’étais enfant.
Êtes-vous un écrivain engagé ?
C’est la poésie qui compte avant tout pour moi. Dans le roman, l’engagement surgit dès lors que le sujet a un rapport avec la réalité. Si je situe mon histoire dans l’Algérie contemporaine, comme c’est le cas dans Les Derniers Jours d’un homme heureux1, il sera évidemment question du drame de la décolonisation. On trouve un regard politique, mais pas de manichéisme dans mes livres. Il y a une quête de l’universel à travers des destins individuels.
Est-ce votre premier livre lié au conflit israélo-palestinien ?
J’ai écrit il y a vingt ans un livre intitulé Oholiba des songes2. Les cinquante dernières pages s’achèvent au bord de la mer Rouge. C’est l’étrangeté de la fiction : les personnages reviennent plus ou moins dans Palestine. Je les avais oubliés, mais ils ont resurgi quand j’ai relu Oholiba des songes à l’occasion de sa réédition.
Pourquoi revenir à la Palestine vingt ans après ?
Parce que rien n’a changé. La situation a même empiré, notamment avec la construction de la barrière de sécurité. Entre-temps, aussi, j’ai été bouleversé par la fin tragique de mon frère, Michaël, militant pour la paix à Jérusalem. Un jour, il a un peu perdu la tête et a tout abandonné pour aller vivre dans une cabane. Avant de se suicider. Son suicide avait à voir avec la situation politique ? Son désespoir était complètement lié à ce drame. Juif tunisien, il était parti dans un kibboutz à 20 ans, plein d’espérance. Il rêvait d’un monde où l’on peut vivre en fraternité avec chacun. Il a vécu la dépossession et était dans l’abandon total à la fin de sa vie. Exactement comme un Palestinien qui se retrouve dans un camp et qui cherche une issue. Petit à petit, Michaël en a perdu la raison. Et moi, j’essaie aujourd’hui de lui imaginer d’autres vies.
Peut-on, à votre avis, entrevoir une solution de paix au Proche-Orient ?
La paix viendra. Elle est fatale. Mais ce qui est douloureux et inadmissible, c’est de parler de paix à la dimension de l’Histoire, alors que c’est aujourd’hui qu’il faut la faire. Mon livre, il faut le prendre comme un geste, parmi beaucoup d’autres, pour qu’elle survienne dans les meilleurs délais.
Palestine sera-t-il traduit en arabe et en hébreu ?
Je le souhaite, bien sûr. En attendant, un cinéaste israélien s’y intéresse.
Le personnage principal, Cham, devient amnésique. Dans l’un de vos précédents ouvrages, L’Univers3, le narrateur était déjà amnésique. Ce n’est pas fortuit…
Nous ne sommes que des êtres de mémoire. Nous vivons dans le choix et la sélection consciente et inconsciente. Alors, nous passons notre temps à oublier, à occulter, à mettre des censures. Mon personnage, un soldat juif, gravement blessé, est soigné par deux Palestiniennes. Quand il reprend conscience, il a presque tout oublié. Mais pas le visage, pas l’amour de ces deux femmes, et c’est cet amour qui est sa genèse, son éveil. À ce moment-là, il va faire de ces gens-là sa famille et s’identifier à eux. La mémoire lui reviendra plus tard, mais ce qu’il a vécu l’aura métamorphosé.
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