Africa n°1, radio libyenne ?
Entré depuis 2006 dans le capital de la plus importante des radios du continent, Tripoli prend possession des lieux. Non sans susciter l’inquiétude.
C’est au cours de ce mois d’octobre que la nouvelle société de radiodiffusion à capitaux majoritairement détenus par la Libye doit voir le jour, sur les cendres d’Africa n°1. En effet, depuis le 15 juin 2006, la plus importante des radios à vocation continentale, Africa n°1, créée en 1981, est tombée dans l’escarcelle de Tripoli. La Libyan Jamahiriya Broadcasting (LJB) a mis 5 millions de dollars sur la table pour reprendre les parts détenues jusqu’en 2002 par la Société financière de radiodiffusion française (Sofirad), soit 52 % du capital. L’État gabonais, qui portait l’entreprise à bout de bras depuis le départ des Français, n’est pas fâché de partager la charge d’une société qui ne survit que grâce aux subventions. Obsolète et menacé par des difficultés d’exploitation, l’outil de production pourrait être sauvé par l’argent frais apporté par les Libyens. « Il a été convenu qu’ils s’occuperaient du renouvellement du matériel et de la réhabilitation du centre émetteur de Moyabi, installé à 600 km au sud-est de Libreville », se réjouit Albert Edou-Nkoulou, journaliste et porte-parole du syndicat des communicateurs d’Africa n°1 (Syca). Par ailleurs, une convention signée le 22 novembre 2006 entre le gouvernement et l’entreprise engage l’État à apurer le passif de la société et à payer les droits et indemnités de licenciement dus aux employés. Sur le plan éditorial, un consultant, Hugues Durocher, ancien directeur de la rédaction d’Europe 1, a été embauché mi-septembre pour conseiller Louis-Barthélemy Mapangou, le PDG de la station, et préparer le relookage tant du format que des programmes. « Nous travaillons à monter une radio au format plus orienté, moderne et populaire, avec des contenus attractifs. » À l’en croire, la présence de Tripoli au conseil d’administration de la station n’aura aucune influence sur la ligne éditoriale. Que Mouammar Kadhafi prenne le contrôle d’une radio qui revendique 20 millions d’auditeurs dans le monde, après avoir fait son entrée dans le capital de l’Agence panafricaine de presse, Panapress (voir encadré), et financé à 61 % le premier satellite panafricain, Rascom-QAF1, lancé en décembre 2007, ne préoccupe ni les syndicats ni la rédaction. « Pourquoi ne posiez-vous pas cette question lorsque les Français étaient majoritaires à travers la Sofirad ? » s’agace Albert Edou-Nkoulou. Quant au directeur de l’information, Louis-Claude Moundzicaud Koumba, il assure que la radio restera aux mains de ceux qui l’ont toujours tenue. Prise de contrôle. La preuve, en dehors du PDG et de lui-même, l’équipe dirigeante compte dans ses rangs le directeur général adjoint chargé de l’exploitation, Nativité Ongala, également Gabonais. Il n’en reste pas moins que les grandes orientations seront désormais décidées en Libye. À l’instar de celles qui ont été définies au cours de cette assemblée générale des actionnaires qui s’est tenue le 8 janvier dernier à Tripoli – la toute première jamais organisée en dehors du Gabon –, sous la présidence d’Abdallah Mansour, secrétaire général du comité de direction de la LJB. S’appuyant sur les préceptes de la « révolution culturelle » prônée par le « Guide », le Libyen a recommandé une « profonde sensibilisation » qui servirait à faire face à « toute forme d’hégémonie [occidentale] » afin de se libérer des « séquelles de l’héritage colonial ». Si Mansour peut être considéré – à juste titre – comme le véritable patron de la radio, c’est à Ammar el-Mahjoub, directeur technique de la LJB et président du conseil d’administration de la « radio africaine », que revient la tâche de travailler en étroite collaboration avec la direction basée à Libreville. Mais cette tutelle médiatique n’est pas du goût de certains, qui craignent que l’ancien « État voyou » ne pervertisse le « professionnalisme » dont la station a fait preuve depuis sa création. D’autant que le pays de Kadhafi a toujours mal à son image. Tout juste sorti de son isolement diplomatique et grâce à ses caisses remplies de pétrodollars, Tripoli multiplie des investissements en Afrique subsaharienne sans montrer une vraie lisibilité de sa stratégie. Entre la construction des hôtels de luxe, l’installation d’un réseau de stations essence et la prise de contrôle de médias à vocation panafricaine, « on a du mal à voir un plan directeur, eu égard aux luttes internes que se livrent les réformistes libéraux et les révolutionnaires accrochés aux prescriptions du “livre vert” », s’inquiète un journaliste sénégalais et ancien cadre de l’Unesco basé à Paris. Mais, face au désintérêt des autres investisseurs africains potentiels, « le Gabon avait-il le choix que de céder aux Libyens ? » s’interroge-t-il. Exception parisienne. Reçue en modulation de fréquence sur 107.5 en région parisienne, Africa n°1 a rassemblé 129 000 auditeurs par jour en septembre, selon les chiffres de Médiamétrie. Les autorités françaises devraient-elles s’inquiéter de cette radio à capitaux majoritairement libyens ? Libreville répond que non. En mai dernier, le PDG, Louis-Barthélemy Mapangou, est allé porter le message au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel français, Michel Boyon. D’autant que la société qui exploite le nom et le logo d’Africa n°1 à Paris est différente de celle de Libreville. Il s’agit d’Africa Media, de droit français, au capital de laquelle la « maison mère », Africa n°1, ne détient que 20 % des parts, conformément à la loi Carignon de 1994, qui plafonne les participations des investisseurs étrangers dans le capital des médias audiovisuels autorisés à émettre en France. Paris échappe donc au contrôle de la LJB. Au quotidien, cependant, les deux stations s’échangent des programmes et « aucune influence d’aucune sorte n’est imaginable », martèle-t-on chez Africa Media à Paris. De plus, grâce à la publicité, l’entreprise jouit d’un « équilibre » qui la met à l’abri du besoin. Son chiffre d’affaires a même augmenté de 80 % entre 2003 et 2007. À l’instar de Paris, douze pays d’Afrique au sud du Sahara, dans lesquels la station a installé des relais FM, guettent les premiers pas de la nouvelle radio. Peu appréciée, elle pourrait rencontrer des obstacles dans la mise en œuvre de son ambitieux plan de développement, qui prévoit la création de pôles linguistiques arabe au Maghreb, bambara en Afrique de l’Ouest, swahili en Afrique de l’Est, et l’important pôle anglais, qui sera installé en Afrique du Sud. Dans un avenir proche, il n’y aura qu’à écouter la radio pour juger de la qualité des nouveaux contenus promis aux auditeurs…
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