L’Afrique suspendue aux cours des matières premières

Détenteur de 30 % des réserves minières de la planète et important producteur de pétrole, le continent craint les conséquences de l’effondrement des cours. Seules notes d’espoir : la baisse de la facture alimentaire et la manne des phosphates.

Publié le 17 novembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Lugubre. Le dîner annuel du London Metal Exchange (LME), la Bourse mondiale des matières premières, qui s’est tenu le 14 octobre dans la capitale britannique, s’est déroulé dans une sombre ambiance. Triés sur le volet, les dirigeants d’entreprise minière, les banquiers et les traders venaient de vivre une nouvelle journée noire. Depuis leur dernier dîner d’octobre 2007, les cours du cuivre, du nickel ou du zinc se sont effondrés de 25 % à 50 %. Et ils ne s’attendent pas à une embellie. Au moins à court terme. Au troisième trimestre 2008, les marchés des métaux non ferreux ont déjà perdu 500 millions de dollars, tandis que l’ensemble des matières premières perdaient 60 milliards de dollars en valeur. Ces cinq derniers mois, les quarante plus importantes sociétés cotées dans le pétrole et les mines (BHP Billiton, Rio Tinto, Gazprom, ExxonMobil…) ont vu leur capitalisation fondre de 3 000 milliards de dollars ! Une situation préoccupante, qui masque à peine la descente aux enfers du prix du baril de pétrole, qui tutoie les 80 dollars alors qu’il plafonnait à 147 dollars en juillet. « On ne sait pas trop où cette situation nous mènera. Il est très difficile de faire des pronostics ou de tirer des conséquences de la chute des cours boursiers et des matières premières », s’inquiète Marcel Genet, directeur général du cabinet Laplace Conseil.

Un climat délétère qui fait peser de lourdes menaces sur l’Afrique des mines et du pétrole ainsi que sur la croissance du continent. Avec des exportations de matières premières et d’hydrocarbures proches de 68 milliards de dollars l’an passé vers l’Union européenne et les États-Unis et de 70 milliards à destination de la Chine, le continent joue gros dans les mois à venir. « La crise financière commence à avoir un impact sur l’économie réelle. Il y a un risque de récession, qui aura un effet négatif sur les cours des matières premières », anticipe Bernard Conte, professeur d’économie au Centre d’études d’Afrique noire (Cean), à Bordeaux. Le nickel, qui était le métal le plus cher en mai 2007, à 51 000 dollars la tonne, se retrouve à son prix du mois de mai 2004 (12 000 dollars). À ce niveau, la moitié des mines dans ce secteur ne sont plus rentables. Et l’exemple n’est pas unique. « Les pays africains sont exportateurs de matières premières brutes, d’énergie et de matières agricoles tropicales. Les conséquences sont simples : leurs prix et les recettes d’exportation diminueront. Ce qui affectera la richesse nationale, les budgets des États, et se traduira par une baisse du taux de croissance », poursuit-il. La fuite des investisseurs étrangers menace aussi l’Afrique, même si le secteur des matières premières et des hydrocarbures devrait échapper à des défections majeures. À voir. Hydrocarbures

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Le pétrole à 50 dollars ? Après avoir annoncé parmi les premiers un baril à 100 dollars, la banque d’affaires Goldman Sachs se distingue à nouveau. Considérant que la crise financière s’est propagée à l’économie réelle, les analystes de l’établissement américain prédisent un baril à 70 dollars d’ici à décembre, contre 115 dollars initialement. Et si la baisse de la demande mondiale s’affirmait, ils n’hésitent pas à tabler sur un prix de 50 dollars. « Avec un baril à 80 dollars, la rentabilité des projets d’exploration en grande profondeur n’est plus assurée, juge Bernard Conte. D’une manière générale, les projets fondés sur un baril à 150 dollars ne sont plus en mesure d’être financés. Et si les pays veulent pallier cette diminution de recettes par des crédits internationaux, ils n’obtiendront rien actuellement. Les banques sont trop frileuses. » Un coup de frein qui n’arrange pas les producteurs africains. Ils engrangent entre 15 % et 40 % des revenus pétroliers extraits de leur sous-sol. Une manne qui alimente l’essentiel des recettes de l’Algérie, de la Libye, de l’Angola, du Gabon, de la Guinée équatoriale, du Nigeria et du Congo. Les pays désendettés (Algérie, Angola…) sont encore épargnés. L’Algérie attend des recettes pétrolières de 80 milliards de dollars cette année (59 milliards en 2007). « Conjuguée à la poursuite des réformes et à la gestion financière prudente, l’économie algérienne est, à court terme, à l’abri de ces turbulences », assure Karim Djoudi, le ministre des Finances. Toutefois, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a déjà précisé qu’un baril à 70 dollars affecterait le programme d’investissements du pays.

Acier Baisse de la demande

« L’évolution du marché du minerai de fer dépendra bien plus de l’Asie que des pays industrialisés. Si la Chine n’est pas affectée par la crise mondiale, la consommation de minerai ne devrait pas baisser », assure Marcel Genet. La Chine et l’Inde assurent respectivement 38 % et 10 % de la production mondiale d’acier. Selon lui, l’activité en Afrique du Sud (71,5 % du minerai de fer produit sur le continent) devrait se maintenir, de même que les projets d’investissement pour accroître les capacités de production, en Mauritanie et au Liberia. Comme les gisements géants de Nimba et de Simandou, en Guinée, qui assureront, entre 2010 et 2013, 5 % de la production mondiale (2 millions de tonnes). Reste que les principaux marchés de l’acier (BTP, automobile, biens d’équipement) devraient baisser jusqu’au second semestre 2009. Or chaque chute d’un point de la croissance mondiale entraîne une diminution de 1,9 % de la consommation d’acier. Dans un contexte de surproduction et avec un prix de la tonne d’acier (650 dollars) qui correspond aux coûts de production, Marcel Genet se veut rassurant. « En septembre 2008, les importations chinoises de minerai de fer ont crû de 5 %, alors que l’on s’attendait à une baisse après les JO. » 

Métaux non ferreux chute libre

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L’aluminium a été foudroyé par la crise. À 2 250 dollars la tonne, le métal blanc a reflué à son plus bas niveau depuis trente et un mois. Alors que la demande mondiale faiblit et que les coûts de fabrication s’élèvent (prix de l’électricité), un tiers des aluminiers vendraient en dessous de leurs coûts de production. D’ici à la fin de l’année, les stocks pourraient atteindre 2 millions de tonnes, soit deux fois plus qu’à la fin de 2007. Une même dégringolade frappe tous les métaux non ferreux. En une semaine, début octobre, le nickel et le cuivre ont perdu 20 %, l’étain a reculé de 18 %, le plomb de 14 % et le zinc de 9 %. Depuis mars, l’indice synthétique des cours des métaux non ferreux, le LMEX, a perdu 35 %. Il stagne à son niveau le plus bas depuis janvier 2006. Une chute amplifiée par la remontée du dollar. Misant son redressement sur l’exploitation des minerais (cuivre, aluminium, plomb, zinc, nickel et étain), qui profitent de 2 milliards de dollars d’investissements, la RD Congo est particulièrement concernée. Dans les dix ans, le pays veut hisser la part du secteur minier dans le PIB de 6 % aujourd’hui à 20 % ou 25 % et en retirer un tiers de ses recettes fiscales, soit de 388 à 689 millions de dollars par an dès 2008. Un pari incertain.

Phosphates L’exception africaine

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L’envolée du prix de la tonne de minerai de phosphate, qui est passée de 100 à 400 dollars au premier semestre 2008, fait le bonheur des producteurs, qui n’avaient pas vu son prix bouger depuis trente ans. Ingrédient de base pour la fabrication d’engrais, le phosphate connaît une explosion de son prix qui s’explique par la demande croissante de l’Inde et de la Chine ainsi qu’une augmentation croissante des terres agricoles pour satisfaire la demande alimentaire. C’est une véritable aubaine pour le commerce extérieur africain, qui assure 25,7 % de la production mondiale de minerai et d’engrais phosphatés (Maroc, Afrique du Sud, Sénégal, Togo). À lui seul, l’Office chérifien des phosphates (OCP), qui réalise un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars, est le premier exportateur de minerai brut avec 45,6 % de parts de marché mondial. Dans les dix ans, le groupe veut quasi doubler sa capacité de production, à 55 millions de tonnes par an, pour un investissement de 4 milliards de dollars. Nouvel outsider sur ce marché, l’Algérie veut investir 1,5 milliard de dollars dans la construction d’un complexe industriel de 2,7 millions de tonnes par an, pour une mise en production étagée entre 2011 et 2013.

Matières premières agricoles récoltes exceptionnelles

Après la flambée du début d’année, en raison, entre autres, de stocks bas et de terres détournées pour les biocarburants, les prix des matières premières agricoles retrouvent un peu de modération. Les raisons : le retrait de fonds d’investissement du marché, la rumeur de bonnes récoltes attendues, notamment de riz en Asie, et l’arrêt de restrictions aux exportations de grains et de riz par certains pays (Thaïlande, Vietnam, Ukraine, Kazakhstan…). De leur côté, les cotations internationales de blé français et américain ont pratiquement chuté de moitié depuis le pic de mars. Une récolte record de 676 millions de tonnes de blé (+ 67 millions par rapport à 2007) est attendue en 2008, pour une consommation de 646 millions de tonnes. Des pays du Bassin méditerranéen, notamment le Maroc et l’Égypte, en profitent pour constituer des stocks. C’est aussi une bouffée d’oxygène pour les finances du Bénin, du Mali, du Niger, du Rwanda, du Burundi, de Centrafrique…, qui se sont déjà tournés en début d’année vers le FMI et la Banque mondiale pour décrocher de nouveaux financements pour faire face à leur facture alimentaire.

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