Je t’aime… Moi aussi

Les Ivoiriens installés au Burkina sont attachés à cette terre et à son peuple pour lesquels ils ont eu le coup de foudre. Ils sont aussi les premiers ambassadeurs de la normalisation des relations entre les deux pays.

Publié le 14 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

«Je soignais les hommes, aujourd’hui je soigne les relations. » Et, visiblement, Richard Kodjo y prend un grand plaisir. Ambassadeur de Côte d’Ivoire au Burkina depuis 2000, cet ancien chirurgien-obstétricien fut en première ligne pour sensibiliser, dialoguer et éviter la rupture fatale des relations entre les deux pays lorsque la crise politico-militaire de septembre 2002 a éclaté en Côte d’Ivoire. « À l’époque, on a vite fait d’attribuer les tensions qui régnaient à Abidjan à la xénophobie des Ivoiriens envers les Burkinabè, explique-t-il. À Ouagadougou, ma priorité absolue était de ne pas verser dans la surenchère, en évitant notamment la chasse à l’Ivoirien que l’on pressentait dans certains quartiers. » Ils sont à peine 2 500 à figurer sur les registres de leur ambassade, mais ils seraient en fait 4 000, voire 5 000. On ne sait pas très bien. Les Ivoiriens du Burkina n’ont, par leur nombre, rien de comparable aux Burkinabè de Côte d’Ivoire, qui sont près de 4 millions. Mais tous ont en commun une vraie passion pour le pays des Hommes intègres.

Expatriés de plein gré

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Qui sont ces originaux qui n’ont pas hésité à quitter Abidjan la douce, le miracle économique des années 1970 et les plages de Grand-Bassam pour venir « s’enterrer » dans un pays enclavé, parmi les plus pauvres du monde et aux conditions climatiques rudes ? Très peu d’entre eux, en tout cas, se sont « réfugiés » par nécessité ou pour fuir la crise de 2002. Comme la première génération des Libanais d’Afrique, ils se sont établis au Burkina de longue date et de leur plein gré. Le Burkina s’est imposé à eux à la faveur de leurs études, de l’envie irrépressible d’y monter une affaire ou d’un coup de foudre à l’occasion d’un voyage. Le plus délicat n’est pas, en tout cas, d’ordre géographique ou climatique, mais bien psychologique. Entendez, de surmonter les préjugés. « Mes amis me demandaient en riant si j’avançais ou si je reculais. Cette aventure était vue d’un mauvais œil », explique l’un de ces expatriés. « Un mauvais œil » que l’histoire commune aux deux pays a façonné, depuis l’époque coloniale, à coups de tensions et de défiances mutuelles. D’abord avec le rattachement d’une partie de la Haute-Volta à la Côte d’Ivoire, en 1932. Mais aussi sous la révolution sankariste, qui, au début des années 1980, n’a cessé de tirer à boulets rouges sur le président Félix Houphouët-Boigny. Plus récemment encore, parce que le Burkina fut suspecté de soutenir, voire d’alimenter, la rébellion des Forces nouvelles. Ancien ambassadeur du Burkina aux États-Unis, Frédéric Guirma* rappelle que ses concitoyens ont longtemps été considérés par les Ivoiriens comme des kangas, des « esclaves » besogneux toujours prompts à remplir des fonctions de domestiques ou à travailler dans les plantations de cacao. Autant de tâches considérées comme subalternes. Si cette image demeure dans certains cercles abidjanais, tous les expatriés l’ont surmontée. Et aucun ne regrette son choix. Installé depuis vingt-cinq ans au Burkina, Jérémie Attoumgbré, 58 ans, trois enfants, est « la » figure de la communauté ivoirienne. Doyen respectable et respecté pour son carnet d’adresses, cet ancien employé de la compagnie Shell, originaire de Bouaké, ne tarit pas d’éloges sur son pays d’accueil. « J’aime la sympathie et l’humilité de ses hommes. » Mais c’est surtout sa femme, Sophie, célèbre restauratrice en Côte d’Ivoire, qui l’a persuadé un jour de poser ses bagages à Ouagadougou. Ses aspirations ? Mieux faire connaître la cuisine ivoirienne et profiter du calme d’un pays « sécurisé, où l’on a le temps de vivre ». C’est en 1989, au cœur de la capitale, qu’est né le restaurant l’Akwaba. Il devient rapidement le lieu de rendez-vous du Tout-Ouaga. Les affaires tournent bien. D’autres membres de la famille rejoignent le couple. Un second établissement s’ouvre, puis un troisième, ainsi qu’un piano-bar, l’Akwaba Terminus. Alors que sa femme s’affaire en cuisine et gère les établissements, Jérémie Attoumgbré se charge des relations publiques. Grâce à ses entrées à l’ambassade de France, l’Akwaba est retenu pour accueillir Jacques Chirac et ses ministres un soir de décembre 1998, à l’occasion du Sommet Afrique-France organisé au Burkina. « Une soirée mémorable, confie-t-il. Nous avions réservé du champagne, mais Chirac n’a bu que de la Brakina, la bière locale. » Le restaurant est aussi la table de l’acteur américain Dany Glover, à l’occasion de ses participations au Fespaco (le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Nommé consul de la Côte d’Ivoire à Bobo-Dioulasso, Jérémie affronte la crise de septembre 2002 avec circonspection : « Les clients se faisaient plus rares. Les Ivoiriens de passage étaient moins nombreux et les Burkinabè sont devenus méfiants. Aujourd’hui, la situation est revenue à la normale. » Sur le terrain, il n’a cessé d’aplanir les divergences, confiant : « Nous sommes comme des courroies qui resserrent les liens distendus. » Autre vie, autre parcours. Celui de Kwassi Kouame, 52 ans, directeur des études et des services académiques de la célèbre école d’ingénieurs panafricaine 2iE, l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement de Ouagadougou. Après une maîtrise de physique obtenue à Abidjan, cet originaire de Dimbokro se spécialise dans le froid industriel et décide, en 1979, de suivre son 3e cycle d’études supérieures à l’Institut 2iE. Il découvre alors le Burkina, qui était encore la Haute-Volta. Un pays miné par les sécheresses récurrentes, sorti de nulle part pour aller on ne sait où. Malgré sa rudesse, ce plat pays d’Afrique lui plaît. « Son image ne m’a jamais repoussé. Et je suis frappé par la capacité des Burkinabè à accepter l’autre. » Ce passionné de football est cependant reparti en Côte d’Ivoire après ses études pour mettre ses compétences au service de la Compagnie ivoirienne de développement de vivriers (CIDV). Dix ans passent. Sa carrière n’offre plus guère de perspectives d’évolution. « Depuis tout jeune, je désirais enseigner. » Cela tombe bien, des postes se libèrent au 2iE. Son dossier de candidature est retenu. Il est embauché comme professeur d’hydraulique générale. Il préside même, de 1994 à 1995, l’Association de la communauté des Ivoiriens du Burkina. Père de quatre enfants, il n’a pas pour autant coupé les liens avec la Côte d’Ivoire. « J’y passe toutes mes vacances et, vous savez, à Ouaga, j’ai mes repères. Je mange mon foutou tous les jours ! »

UNE COMMUNAUTÉ SOUDÉE

Docteur en pharmacie, Sylvie Kouandi a, quant à elle, découvert le Burkina « par hasard », au gré des nominations de son mari, cadre au sein du groupe de BTP Sogea-Satom. Aujourd’hui, elle est dans son élément. « J’avais des a priori, mais la vie est ici plus agréable qu’ailleurs. Y compris au niveau des prix. Malgré les récentes augmentations, ils n’ont rien de comparables avec ceux de la Côte d’Ivoire. » Au point qu’elle a décidé de ne travailler qu’à mi-temps en tant que préparatrice dans une petite officine du quartier chic de Gounghin. Préférant s’occuper plus de ses enfants, scolarisés à l’école française Saint-Exupéry. Pour qui se hasarderait à dresser une sociologie des Ivoiriens du Burkina, force est de constater qu’ils sont présents dans tous les métiers. Du commerçant au coiffeur formé à l’Institut de beauté d’Abidjan (l’IBA, unique institut de ce type dans la sous-région), en passant par le fonctionnaire international, l’homme d’affaires ou l’artiste… Pour l’anecdote, la plupart des DJ des boîtes de nuit burkinabè sont ivoiriens. Très soudée, cette communauté, fondue dans le paysage et les mœurs locales, a sans cesse œuvré à la réconciliation entre les deux pays. Une œuvre de pacification dont ses membres retirent aujourd’hui tous les bénéfices.

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